La pensée unique engendre l’intolérance

En s’inspirant de l’éco-féministe Vandana Shiva, il faut s’attaquer à la discrimination, qui se fait en ce moment islamophobe, ainsi qu’aux causes structurelles des violations des droits, qui résident non seulement dans leur application par les États, mais dans l’idéologie du marché qui entretient la violence, l’intolérance et l’injustice au profit du plus petit nombre.

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Amélie Nguyen, membre du conseil d’administration
Ligue des droits et libertés

 

Photo : Par Fiona Krakenbürger, https://www.flickr.com/photos/postwachstum/5742350763, CC BY-ND 2.0

Vandana Shiva, l’une des leaders du mouvement des paysannes indiennes, porteuse de la pensée éco féministe, présente une vision holistique de la source des discriminations coloniales, ancrée dans sa réflexion sur l’écologie et l’agriculture. Selon elle, la logique de la pensée unique basée sur l’idéologie de la croissance, imposée aux paysan-ne-s dans leur manière de cultiver leur terre serait aussi à l’origine des discriminations systémiques et de la répression raciste à laquelle on fait actuellement face à l’échelle du monde. Quelle aberration pour elle que « chaque fois qu’on détruit la planète, le produit intérieur brut augmente »!

Elle considère que le non-respect de la vie, dans sa diversité et ses manières de faire, est fondé sur un totalitarisme idéologique qui conduit à la discrimination des plus marginalisés, puis à la répression du groupe qui tente de changer de modèle politique et économique. Elle voit l’obligation faite par les grandes compagnies et « l’État corporatif » d’utiliser des semences génétiquement modifiées, de produire selon un modèle agricole industriel destiné à l’exportation, et l’absence de valeur qu’ils donnent à la diversité biologique, ce qui mène à sa destruction, comme les sources de l’intolérance vécue ailleurs, plaidant pour un lien plus grand avec la nature et pour une gouvernance qui soit en faveur des populations et non des dits « citoyens corporatifs ».

Quel lien avec l’islamophobie vécue ici et pourquoi cette introduction?

Comme on l’a vu dans l’actualité récente, l’attaque contre l’adjudant Patrice Vincent à Saint-Jean-sur-Richelieu, puis celle perpétrée contre le Parlement canadien, qui a mené au décès de Nathan Cirillo, ont été un levier pour tenter de convaincre les député-e-s et la population de la nécessité d’adopter le projet de loi C-51. L’interprétation de ces actes, sans nuance et précipitée, comme des actes terroristes potentiellement liés à l’État islamique, inquiète. Le projet de loi laisse planer l’ombre d’un État doté de pouvoirs arbitraires qui surveille, arrête, limite la liberté d’expression et la possibilité de protester de sa population en étant soumis à peu de contrôles. L’islamophobie a été utilisée pour restreindre les droits de l’ensemble de la population, sous couvert de nécessité pour la sécurité nationale.

De plus, cette peur attisée par le gouvernement est utilisée pour détourner l’attention des politiques qui promeuvent ce modèle économique unique. Au moment où le projet de loi était devant le Parlement, le gouvernement fédéral procédait en parallèle à une restructuration profonde des institutions d’État par un budget qui, par ses coupures aux dépenses publiques, creusera d’autant plus les inégalités et marginalisera encore davantage les populations déjà appauvries. La catégorisation binaire de la population entre ennemis et bons citoyens en fonction de lignes conservatrices, divise, nuisant à la solidarité sociale de manière opportune à un moment où la population en a pourtant un besoin criant. La peur de l’Autre, et la peur de prendre la parole, mine la mise en œuvre d’un débat de société démocratique sur les enjeux sociaux actuels.

Ce modèle économique, en affaiblissant durablement le rôle social de l’État, tend à créer de l’intolérance et à polariser les groupes de la population en créant de plus en plus d’injustices et d’inégalités, touchant en particulier les femmes, les Autochtones, les plus pauvres. La violence ne vient pas uniquement d’enjeux identitaires, mais bien d’une vulnérabilisation des populations qui s’indignent devant l’injustice et le manque d’opportunités, et d’un bris de confiance en les forces de l’ordre qui répriment avec une rapidité et une violence souvent injustifiable des luttes sociales.

À l’international, l’islamophobie se fait discours néocolonial, là où on laisse entendre que les « Arabes » sont violents et inférieurs aux « Occidentaux », que ces populations n’ont pas de libre arbitre, qu’elles sont violentes et manipulées par les groupes terroristes, laissant encore place à une interprétation univoque de la réalité. Que dire alors du rôle qu’ont joué les interventions militaires, illégales selon le droit international, en Libye et en Syrie dans la déstabilisation des dynamiques régionales? Comment ne pas voir que les flux d’armes et d’ex-combattant-e-s ont en grande partie mené au conflit malien? Que dire des affirmations selon lesquelles la Tunisie serait un foyer de radicalisation des jeunes, au vu des réajustements structurels imposés par les grandes banques internationales grâce au bâton de la dette et de la précarité? Que dire du manque d’opportunités que ces réajustements ont causé dans le pays? Que dire du rôle joué par les compagnies minières canadiennes dans la création de conflits dans les régions où elles sont implantées, en Amérique latine, en Afrique du Nord, de l’Est et de l’Ouest, et en Asie, qui affectent en particulier les populations autochtones? L’histoire est plus complexe, belle et porteuse de résistances et d’inspiration dans tous les pays et nous ne devons pas nous laisser berner par le discours unique qui nous est présenté.

Comme le soulignait le rapport sur les droits humains de 2011 :

« La conjoncture actuelle renferme des tendances structurantes qui dans la pratique s’avèrent de moins en moins compatibles avec le plein exercice des droits humains. Dans ce contexte, le rôle de l’État se transforme radicalement : de garant des droits de la personne et porteur de l’intérêt public, il tend à devenir essentiellement l’organisateur de la société de marché. De ce fait, il abandonne ses responsabilités en matière de respect et de protection des droits pour devenir un agent de leur érosion.

 C’est l’ordre social, économique et politique dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les droits humains qui doit être examiné et mis en cause car cet ordre ne répond plus aux exigences de leur mise en œuvre. (…)

 La Ligue soumet que lorsque l’ordre sociétal ne permet pas la mise en œuvre des droits, c’est l’ordre qu’il faut changer, pas les droits. »

 Ce que Vandana Shiva évoque, c’est donc que cette société de marché profite de la discrimination, car elle fait partie de sa logique fondamentale de l’imposition d’une pensée unique et dominante. Pour la Ligue des droits et libertés, cela confirme l’idée que pour contrer cette discrimination, qui se fait en ce moment islamophobe, il faudra s’attaquer aux causes structurelles des violations des droits, qui résident non seulement dans leur application par les États, mais dans l’idéologie du marché qui entretient la violence, l’intolérance et l’injustice au profit du plus petit nombre.

 

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