Soutenir la réussite universitaire des étudiant.e.s autochtones

L’accès aux études universitaires pour les étudiant.e.s autochtones est une question complexe et multidimensionnelle. Considérant que plusieurs organismes ou groupes autochtones travaillent sur cette question depuis bon nombre d’années, il apparaît que toute mesure mise en place par les universités devrait inclure des consultations, voire des partenariats avec ces organismes ou groupes.

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Emanuelle Dufour, doctorante Department of Education, Concordia University
Marie-Pierre Bousquet, directrice du programme en études autochtones et professeure Département d’anthropologie, Université de Montréal

 

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Crédit photo: Terry Randy Awashish

Intro: bref état de situation*

Depuis la publication du Rapport Erasmus-Dussault (1996), le nombre d’étudiants autochtones ayant obtenu un diplôme universitaire est en croissance. Or, l’écart entre les taux de diplomation de ces étudiants et ceux de la population allochtone augmente de façon encore plus considérable (AADNC 2011). Ainsi, non seulement les inégalités en matière d’accès aux études postsecondaires perdurent, mais elles s’intensifient.

L’aspiration à de meilleures conditions de vie et la poursuite d’objectifs personnels ou communautaires constituent d’importants déterminants de la persévérance scolaire. Encore faut-il que les possibilités de carrières, les prérequis et les avantages socioéconomiques liés à l’éducation postsecondaire soient connus. Différentes initiatives institutionnelles ont été élaborées (ex. Mini-écoles de la santé de l’U de M, Salon Emploi Autochtone de Montréal MAMU!, etc.) afin d’enrichir l’éventail de perspectives scolaires et professionnelles chez les Autochtones. Plusieurs universités offrent également un service d’information et de recrutement dans des espaces autochtones, souvent par la participation aux foires de l’emploi. Cependant, il ne s’agit pas seulement de favoriser l’intégration des autochtones à nos institutions, mais aussi d’accepter de remettre en question nos paradigmes éducationnels afin de faire place à de nouvelles perspectives épistémologiques et enrichir nos pratiques didactiques.

Bien qu’il n’existe pas encore d’universités des peuples autochtones au Québec, soulignons le succès de Kiuna, un institut collégial bilingue par et pour les Premières Nations, situé dans la communauté abénaquise d’Odanak, affilié au Cégep d’Abitibi-Témiscamingue et au Collège Dawson. Son programme novateur de Sciences humaines-Premières Nations, qui mène à l’octroi d’un diplôme d’études collégiales reconnu par le Ministère, propose d’adapter les programmes curriculaires ainsi que les services de soutien aux cultures et réalités de leurs étudiant-e-s. Du côté universitaire, on note également d’intéressantes initiatives lancées par certains établissements (tels que l’UQAT et l’UQAC) pour développer des programmes adaptés aux besoins des communautés autochtones avoisinantes. Depuis quelques années, on observe également la multiplication de programmes d’études autochtones (notamment à l’Université McGill, à Concordia et à l’Université de Montréal), qui s’adressent à l’ensemble des étudiant-e-s autochtones comme allochtones et visent à démystifier les cultures et savoirs autochtones.

Or, pour s’assurer que les mesures et programmes mis en place ou envisagés répondent aux besoins de sécurité culturelle des peuples autochtones, les instances éducationnelles devront s’efforcer de développer des partenariats avec les ressources spécialisées en éducation autochtone (ex. Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN)) et être à l’écoute de la réponse des étudiant-e-s concernés.

 

« A home away from home » et les services d’accueil et de soutien aux étudiant-e-s autochtones

Nombreux sont les étudiant-e-s autochtones qui sont appelés à quitter leur communauté et leurs réseaux pour poursuivre leurs études loin de chez eux, dans un environnement culturel étranger et parfois hostile. Ainsi, l’aménagement d’espaces de rassemblement destinés aux étudiant-e-s autochtones (souvent décrits comme un home away from home) dans les institutions constitue l’une des mesures les plus efficaces et appréciées pour soutenir leur réussite intégrée. Leurs usagères et usagers vont jusqu’à affirmer que, sans la présence de ces espaces, elles et ils n’auraient pas trouvé la force de vaincre les obstacles relatifs à leur adaptation au monde universitaire et à la ville.

La disponibilité de personne(s) ressource(s) autochtones, ou présentant une connaissance approfondie des enjeux, réalités et cultures autochtones, est également indispensable. En raison de facteurs historiques, socioéconomiques, politiques et culturels, les populations étudiantes autochtones manifestent des besoins particuliers en matière de réussite postsecondaire. Les services aux étudiant-e-s offerts à la population générale ne peuvent être transposés aux étudiant-e-s autochtones sans prendre en compte leurs besoins spécifiques.

En plus d’assurer un soutien psychosocial et logistique, plusieurs centres offrent un soutien scolaire au moyen de tutorats et d’ateliers de renforcement adaptés aux défis linguistiques, conceptuels et de mise à niveau de leurs cohortes étudiantes. L’organisation d’activités culturelles récurrentes (ex. perlage, cercle de parole) ou d’envergure (pow-wow, conférencières ou conférenciers autochtones, projection de films) constitue également de précieux outils. La première catégorie d’activités consolide l’esprit de communauté au sein du centre, favorise la création de liens de confiance et crée une ambiance culturellement familière facilitant l’intégration. La deuxième permet de sensibiliser la population étudiante allochtone aux réalités et cultures de leurs collègues et ainsi, de favoriser le dialogue et l’ouverture interculturels. Pour un certain nombre d’étudiant-e-s autochtones, cet aspect peut constituer l’occasion de renouer ou d’aller à la rencontre d’éléments, pratiques ou enseignements issus de leur patrimoine culturel dont elles et ils peuvent avoir été privés (conséquence intergénérationnelle des pensionnats autochtones ou du fait d’avoir grandi hors communauté). Notons que le rôle de l’enracinement culturel et identitaire dans le potentiel de résilience des peuples autochtones a été souligné par plusieurs auteur-e-s[1].

La majorité de ces centres offrent des facilités comme des ordinateurs, téléphones, divans, babillard, espaces de travail, petite bibliothèque spécialisée ainsi que des services d’orientation (aide au logement, à l’organisation, etc.), de soutien psychologique, de tutorat ou de mentorat, d’organisation d’activités culturelles, etc. Cette concentration de services à l’intérieur d’un espace qui leur est réservé est appréciée par les étudiant-e-s autochtones qui s’y retrouvent pour travailler, s’impliquer dans l’organisation d’activités, chercher du soutien ou simplement pour socialiser. La disponibilité de ces espaces constitue un incitatif pour plusieurs étudiant-e-s autochtones quand il s’agit de choisir une université d’accueil. Elle représente également un important facteur favorisant la rétention des étudiants en contribuant à atténuer les chocs culturels inhérents aux études postsecondaires tout en facilitant l’expression des cultures autochtones au sein des institutions.

 

Financement de l’éducation autochtone

La réussite des étudiant-e-s au sein du réseau universitaire pose néanmoins un défi considérable. Nombreux sont les étudiant-e-s issus des communautés qui ne sont pas préparés adéquatement sur le plan scolaire pour réussir à l’université. Le sous-financement dont souffre l’éducation autochtone n’est pas étranger à ce phénomène. Lise Bastien, directrice générale du CEPN, rappelait, en 2008 , que les écoles autochtones ne bénéficiaient d’aucune structure de soutien de type commissions scolaires ou ministère de l’Éducation. Seules les écoles étaient financées.

Bien que le nombre d’étudiant-e-s des Premières Nations au niveau postsecondaire ait augmenté, le nombre d’étudiant-e-s subventionnés a diminué de 27 000 à 23 000 entre 1996 et 2005[2]. Ce déclin serait partiellement attribuable au fait que les frais de scolarité ont augmenté plus rapidement que le budget du Programme d’aide aux étudiant-e-s postsecondaires. En 2000, l’Assemblée des Premières Nations (APN) dénombrait qu’environ 9 500 étudiant-e-s des Premières Nations auraient été contraints d’abandonner leur scolarité postsecondaire faute de financement[3]. L’APN estime qu’il faudrait 545 millions de dollars pour financer adéquatement les étudiant-e-s autochtones au Canada, dont environ 24 millions pour le Québec[4] [5].

Ce financement inadéquat constitue un paradoxe, considérant que la Chambre des Communes et l’ensemble de la fonction publique et du secteur privé, dans le rapport Notre priorité la plus haute : l’éducation postsecondaire des autochtones du Canada, se sont entendus sur l’importance d’améliorer la scolarisation des Autochtones. Comme le souligne Ghislain Picard, chef de l’APNQL :

« […] Si le gouvernement ferme les yeux sur ces recommandations, il devra assumer la responsabilité et les conséquences de la situation socioéconomique chez les Premières Nations[6]. »

On observe un écart entre les préoccupations gouvernementales et les revendications des organismes des Premières Nations. L’approche gouvernementale, qui cherche à remplacer une main d’œuvre canadienne vieillissante, relève d’une approche intégrationniste, voire purement économique. Les organismes comme l’APNQL ou le CEPN conçoivent, eux, l’éducation sous un angle socioéconomique, politique et culturel. Les motivations intégrationnistes du gouvernement semblent s’inscrire dans la continuité des mesures de redressement économique entreprises dès la première moitié du vingtième siècle par la Direction des affaires indiennes pour se libérer du fardeau économique de ce qui fut appelé, à partir de l’après-guerre, « le problème indien », en mettant en place des programmes d’intégration au travail[7].

Le financement de la scolarisation des étudiant-e-s des Premières Nations constitue un enjeu central. À ce sujet, la Commission de vérité et réconciliation du Canada recommande :

« … de fournir un financement suffisant pour combler les écarts mentionnés sur le plan des niveaux de scolarisation en une génération […] d’éliminer l’écart entre le financement en matière d’éducation qu’il verse pour les besoins des enfants des Premières Nations qui fréquentent des écoles dans les réserves et celui qu’il accorde pour les besoins des enfants des Premières Nations qui fréquentent des écoles à l’extérieur des réserves […] de fournir un financement adéquat pour remédier à l’insuffisance des places disponibles pour les élèves des Premières Nations qui souhaitent poursuivre des études postsecondaires.[8] »

Au cours de sa campagne électorale, le nouveau premier ministre libéral, Justin Trudeau, s’est engagé à octroyer 2,6 milliards de dollars pour financer l’éducation autochtone primaire et secondaire, en plus d’injecter 500 millions pour améliorer les infrastructures scolaires et 50 millions supplémentaires pour soutenir les étudiant-e-s du niveau postsecondaires. Il faut espérer que ces promesses seront tenues, que la gestion de ce nouveau financement sera faite dans le respect des compétences culturelles et du droit à l’autodétermination des principaux intéressés et que les élèves et étudiant-e-s autochtones auront enfin accès à un financement de leur éducation comparable à celui des autres citoyen-ne-s canadien-ne-s, voire plus spécifiquement, à celui des populations scolaires présentant des besoins et des défis particuliers.

 

Conclusion

L’accès aux études universitaires pour les étudiant-e-s autochtones est une question complexe et multidimensionnelle. Considérant que plusieurs organismes ou groupes autochtones travaillent sur cette question depuis bon nombre d’années, il apparaît que toute mesure mise en place par les universités devrait inclure des consultations, voire des partenariats avec ces organismes ou groupes. En plus de profiter de leur expertise et d’accroître l’efficacité des mesures proposées, cette approche collaborative pourrait permettre de tisser de nouveaux liens, d’accroître la participation des peuples autochtones au sein de nos institutions et d’appuyer leur combat pour la reconnaissance d’une certaine souveraineté politique.

*Cet article a fait l’objet de légères modifications depuis sa parution dans la version papier de la revue Droits et libertés

Bibliographie

[1] Voir entre autres Chandler, Michael J., Christopher E. Lalonde, Bryan W. Sokol et Darcy Hallett, 2010 : Le suicide chez les jeunes Autochtones et l’effondrement de la continuité personnelle et culturelle. Québec, Presses de l’Université Laval.

[2] Simeone, Tonina, 2011: Aide-mémoire sur les questions autochtones. Bibliothèque du parlement, Section des affaires sociales, culturelles et de santé, Service d’information et de recherches parlementaires, 22 septembre 2011, p.11.

[3] Ibid, p.12.

[4] Seuls les Amérindien-ne-s inscrits au registre gouvernemental ont actuellement accès à ce soutien financier.

[5] Fédération canadienne des étudiantes et des étudiants, 2013 : Financement des étudiantes et étudiants autochtones, automne 2013, http://cfs-fcee.ca/wp-content/uploads/sites/2/2013/11/Factsheet-2013-11-AborignalEd-FR.pdf, p.2.

[6] Conseil en éducation des Premières Nations, 2007 : L’éducation postsecondaire des autochtones exige une approche impartiale, pratique et avant-gardiste, révèle le rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord. Market Wired, 16 février 2007.

http://www.marketwired.com/press-release/leducation-postsecondaire-des-autochtones-exige-une-approche-impartiale-pratique-et-1404667.htm

[7] King Plant, Byron, 2009 : The Politics of Indian Administration : A Revisionist History of Intrastate Relations in Mid-Twentieth Century British-Colombia. Thèse de doctorat en histoire, Université de Saskatchewan, Saskatoon, p.15.

[8] Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2012 : Appels à l’action, Winnipeg, http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Calls_to_Action_French.pdf

 

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