Les régimes d’autorisation préalable – Une atteinte à la liberté d’expression

La liberté d’expression peut se réaliser par divers moyens, la manifestation en représente une forme essentielle puisqu’elle représente un canal politique à la portée d’un grand nombre de personnes. Malgré les diverses fonctions de la manifestation, les autorités publiques cherchent à l’encadrer, à la contrôler, voire même à l’empêcher, notamment en utilisant les régimes d’autorisation préalable.

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Lynda Khelil, étudiante à la maîtrise en science politique à l’UQAM
Jessica Leblanc, étudiante à la maîtrise en science politique à l’UQAM et membre du comité liberté d’expression de la LDL 

Si la liberté d’expression peut se réaliser par divers moyens, la manifestation en représente une forme essentielle puisqu’elle représente un canal politique à la portée d’un grand nombre de personnes, notamment à celles qui n’ont pas accès aux forums politiques institutionnels. La manifestation permet certainement d’occuper et de se réapproprier l’espace public, mais aussi de déranger dans l’objectif de communiquer un message ou un mécontentement. Malgré ces fonctions, les autorités publiques cherchent à l’encadrer, à la contrôler, voire même à l’empêcher.

Les régimes d’autorisation préalable font partie des mesures prises par les autorités publiques et policières pour prévoir le moment et le lieu des manifestations. L’obligation de divulguer l’itinéraire ou l’obligation d’obtenir un permis font partie de ces régimes. Par leurs effets et en raison du pouvoir policier arbitraire qui en découle, ces régimes d’autorisation préalable menacent la liberté d’expression d’une manière injustifiée.

 

Les exigences préalables : une atteinte à la liberté d’expression

Les exigences règlementaires préalables à la tenue d’une manifestation procèdent de la même logique de contrôle que les interdictions formelles de manifester[1] ou les barrières imposantes érigées lors des grands sommets internationaux pour rendre les lieux de pouvoir inaccessibles aux manifestantes et manifestants. Elles sont de ce fait des entraves à l’exercice de la liberté d’expression des groupes qui se mobilisent dans l’espace public. Ces entraves peuvent prendre différentes formes. Parmi les méthodes policières qui ont déjà été mises en œuvre, on peut penser à la dispersion d’une manifestation en cours au prétexte que l’itinéraire ne lui a pas été divulgué, aux arrestations de masse dites « préventives », ou encore à l’intimidation et aux menaces contre les personnes qui organisent ou participent à la manifestation.

 

Cibler les groupes qui dérangent

Les régimes d’autorisation permettent de cibler les manifestations organisées par des groupes qui ne collaborent généralement pas avec la police et dont la légitimité des revendications n’est pas reconnue par les autorités. Leurs manifestations sont alors l’objet de profilage politique, c’est-à-dire qu’elles sont la cible de répression non pas en raison de leur absence de conformité à la loi, mais plutôt en raison de leur caractère perturbateur et dérangeant pour les élites politiques et économiques, et pour la police elle-même. Le rapport de la Ligue des droits et libertés publié en juin 2015, Manifestations et répressions[2], fait état des revendications portées par les manifestations qui font l’objet de profilage politique : la cause étudiante, la dénonciation de la brutalité et de l’impunité policières, les luttes écologistes, anticapitalistes et anticolonialistes.

 

Interdire les manifestations qui respectent les exigences réglementaires

Manifestation des groupes communautaires du 30 septembre Crédit photo: Nicolas Lefebvre Legault
Le 30 septembre, le SPVQ  a interdit une manifestation des groupes communautaires qui respectait le règlement municipal – Crédit photo: Nicolas Lefebvre Legault

On pourrait penser que le respect des exigences réglementaires offre une garantie contre la répression policière, or il n’en est rien! À Québec, la police s’est souvent substituée au législateur en interprétant à sa convenance l’article 19.2 du Règlement 1091 de la ville de Québec. Nous relatons ici deux situations survenues en 2014 et 2016.

Le premier exemple remonte au 21 septembre 2014, alors que le SPVQ utilise l’intimidation pour contraindre au trottoir plusieurs centaines de manifestantes et manifestants qui ont répondu à un appel du regroupement Stop Oléoduc Capitale-Nationale. Bien qu’un itinéraire leur ait été remis, comme le prescrit le règlement municipal, les policières et les policiers présents ont interdit à la manifestation de prendre la rue[3] en prétextant un manque d’effectifs et en menaçant les personnes en charge de l’organisation de recevoir des contraventions « si une seule personne mettait le pied dans la rue »[4].

Le second exemple, tout récent, est survenu le 30 septembre dernier : une manifestation de groupes communautaires qui avaient entrepris de dénoncer les conséquences de l’austérité, auprès de croisiéristes qui arrivaient au port de Québec, a été interdite par le SPVQ[5]. Sans surprise, la version des forces policières présentée par le maire Labeaume lors du Conseil de ville le 3 octobre 2016 était très différente de celle des manifestantes et manifestants[6]. Ces violations de la liberté d’expression sont donc largement soutenues par les autorités politiques, alors que les autorités policières en assurent la mise en œuvre, pour des raisons qui ne résistent pas à une analyse des faits.

 

Des violations injustifiées

Si les autorités publiques et policières reconnaissent l’importance de la liberté d’expression dans leur discours, il n’en reste pas moins qu’elles soutiennent fermement les atteintes susmentionnées. Les régimes d’autorisation préalable sont nécessaires, nous dit-on, pour assurer un certain ordre dans le déroulement de la manifestation, pour assurer la sécurité des personnes qui manifestent et ils font appel à leur civisme. Toutefois, les motifs invoqués par les autorités publiques, par exemple de Montréal ou de Québec, ne passent pas l’épreuve des faits.

Examinons l’exemple de la ville de Montréal et son entêtement à exiger le dévoilement de l’itinéraire préalablement à la tenue d’une manifestation. Dans le rapport de la Ligue des droits et libertés mentionné précédemment, il est démontré que le SPVM fut en mesure d’assurer la sécurité durant 116 manifestations dont l’itinéraire n’avait pas été dévoilé au cours des années 2013 et 2014. Aucune de ces manifestations n’a donné lieu à une intervention policière. C’est donc dire que le dévoilement de l’itinéraire n’est pas essentiel pour atteindre les objectifs que le SPVM se fixe et que cette exigence constitue dans les faits une entrave à la liberté d’expression injustifiée qui permet à la police de réprimer préventivement les manifestations des groupes qui sont la cible de profilage politique. Quant à la sécurité des personnes qui manifestent, les groupes sociaux ou militants sont souvent en mesure de déployer leurs propres méthodes de gestion qui permettent de répondre à cette préoccupation.

Malgré ces faits, les autorités publiques continuent à défendre les régimes d’autorisation préalable ainsi que leur application par les forces policières. Plusieurs groupes ou militant-e-s ont donc choisi de privilégier la voie judiciaire pour contester ces entraves à la liberté d’expression. En juin dernier, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement[7] sur la validité constitutionnelle des articles 2.1 et 3.2 du Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics (le fameux règlement P6 de Montréal). Ces deux articles portent respectivement sur le port de masque dans le cadre d’une manifestation et l’obligation de remettre un itinéraire aux forces policières. Le premier fut complètement invalidé, alors que le deuxième fut déclaré inopérant, mais seulement dans le cas de manifestations instantanées. Ce jugement est par ailleurs porté en appel[8].

 

Conclusion

Les régimes d’autorisation préalable sont des violations injustifiées de la liberté d’expression qui sont mises en place par les autorités municipales pour garantir le contrôle et la prévisibilité de l’action collective, en plus de limiter les manifestations. Dans les faits, ces régimes permettent le profilage politique par les forces policières. Il faut donc continuer, en prenant en exemple les militant-e-s de Stop Oléoduc Capitale-Nationale, à interroger nos élus quant aux pouvoirs dévolus aux forces policières et à réaffirmer, de multiples façons, le droit de manifester.

Bibliographie

[1] Par exemple, en 1969, le comité exécutif de la ville de Montréal décrète par ordonnance une interdiction de manifester. Cette interdiction est appliquée du 12 novembre au 13 décembre en vertu de l’article 5 du Règlement 3926 [devenu le Règlement P-6], à la demande du chef de police.

[2] Ligue des droits et libertés, 2015 : Manifestations et répressions. Points saillants du bilan sur le droit de manifester au Québec, p. 8.

[3] Ligue des droits et libertés (section de Québec), Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches et Stop oléoduc Capitale-nationale : Communiqué de presse. Droit de manifester à Québec – La police dépasse les bornes! www.repac.org/?p=85.

[4] Lynda Forgues, 2014 : La capitale anti-manifs, Droit de parole. www.droitdeparole.org/2014/10/la-capitale-anti-manifs/

[5] Lynda Forgues, 2016 : Droit de manifester – Le SPVQ fait comme il l’entend, Droit de parole. www.droitdeparole.org/2016/10/droit-de-manifester-le-spvq-fait-la-loi-comme-elle-lentend/

[6] Vidéo youtube. « Le droit de manifester à Québec selon Régis Labeaume » https://www.youtube.com/watch?v=y3TC-N1qRXU

[7] Julien Villeneuve c Ville de Montréal, [2016] J.Q. no 2136, 2016 QCCS 2888.

[8] Julien Villeneuve, 2016 : P-6 et l’itinéraire: pourquoi, entre autres raisons, nous irons en appel, Ricochet, https://ricochet.media/fr/1300/P-6-et-litineraire-pourquoi-entre-autres-raisons-nous-irons-en-appel.

 

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