« La race naît du racisme, et non le contraire »

Cette présentation du dossier expose les nombreuses interventions de la LDL sur les enjeux du racisme et de discrimination raciale. De plus, il est question des stratégies de la LDL pour lutter contre le racisme systémique.

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Lysiane Roch, responsable des communications
Ligue des droits et libertés

L’élection de Donald Trump aux États-Unis fait craindre le pire en termes de racisme et de xénophobie. Sa campagne et sa victoire ont déjà libéré un torrent de haine, avec une multiplication des insultes, graffitis et agressions racistes, en particulier dans les écoles et les universités[1]. Celui qui, le soir de sa victoire, s’engageait à « être le président de tous les Américains » a tôt fait de nommer un suprémaciste blanc comme haut conseiller à la Maison-Blanche.

La situation aux États-Unis est loin d’être isolée, comme en témoignent la montée de la xénophobie en Europe ainsi que la recrudescence de groupes d’extrême-droite, tels que Pegida.

Au-delà de ces manifestations d’un racisme décomplexé, le racisme prend souvent des formes plus insidieuses mais non moins violentes : brutalité médiatique, discrimination systémique en emploi, profilage racial par les forces policières, colonialisme dans nos relations avec les Peuples autochtones, etc. De plus en plus de voix s’élèvent au Québec pour exiger que nous nous attaquions collectivement au racisme en tant que problème systémique. Pour y arriver, il nous faudra d’abord reconnaître l’existence de ce problème. Il reste en ce sens beaucoup de chemin à faire. Pensons notamment aux propos inacceptables des ministres de la Sécurité publique et des Affaires autochtones du Québec, qui, dans la foulée des événements de Val d’Or, en réponse à la demande d’enquête systémique sur les pratiques policières envers les Autochtones, se sont empressés de déclarer qu’il n’y a pas de racisme systémique à la Sûreté du Québec.

 

Interventions de la LDL sur le racisme : un rôle en évolution

Au cours de son histoire, la LDL est intervenue à de nombreuses reprises sur les enjeux du racisme et de discrimination raciale. Dans les années ‘80, elle a notamment participé aux luttes pour contrer le racisme dans l’industrie du taxi et envers les Autochtones lors de la guerre du saumon et de la crise d’Oka, entre autres. En plus de son travail terrain, la LDL a aussi effectué un travail d’analyse sur les mouvements d’extrême-droite et la montée des violences racistes au Québec[2]. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, la LDL a dénoncé à plusieurs reprises l’islamophobie. Plus récemment, la LDL est aussi intervenue pour dénoncer le profilage racial des forces policières, le racisme systémique envers les Autochtones et les atteintes discriminatoires de différents projets de loi proposés au nom de la laïcité de l’État.

Au printemps 2016, lors de l’Assemblée générale annuelle, les membres de la LDL ont décidé de faire des enjeux du racisme un dossier prioritaire. Les membres ont aussi retenu la proposition d’aborder le racisme à partir d’un angle qui ne porte pas uniquement sur la discrimination mais qui tient compte à la fois de l’évolution des analyses sur le racisme systémique et des changements dans le contexte québécois et canadien :

Le racisme est l’expression de rapports de domination et la contribution de la LDL sera de mettre en lumière ces rapports afin de participer à la lutte pour les abolir et non de se limiter à en dénoncer les manifestations.

Ce n’est pas par hasard si cette question a été ramenée à l’avant-scène par les militant-e-s de la LDL impliqué-e-s dans le dossier de la laïcité et dans les débats autour des différents projets visant à limiter les libertés religieuses, en particulier le projet de Charte des valeurs. Derrière la façade qui prétend opposer une laïcité républicaine à une laïcité molle faite de compromis multiculturels, s’exprime, la plupart du temps sans fard, l’affirmation de notre supériorité culturelle et civilisationnelle sur le reste de l’humanité. De ce point de vue, notre civilisation occidentale (chrétienne, humaniste, éclairée, humanitaire, égalitaire) serait présentement menacée par les musulman-e-s et la montée de l’islam. L’islamophobie, cette diabolisation irraisonnée des musulman-e-s – et des arabes est exacerbée par les attentats terroristes et le discours dominant à propos de ce phénomène. Avec des conséquences directes et inquiétantes pour la population concernée : discrimination en matière d’emploi et de logement, agressions verbales et physiques envers les femmes voilées, profilage racial dans l’application des mesures antiterroristes dont les listes d’interdiction de vol et les certificats de sécurité, etc.

La montée de l’islamophobie à laquelle on assiste depuis les attentats du 11 septembre 2001 s’ajoute aux autres expressions du racisme ayant des racines plus anciennes au Québec et au Canada. En premier lieu, celle liée à l’histoire coloniale du Canada vis-à-vis des peuples autochtones. Ce racisme procède de la même vision que l’orientalisme, soit celle de la supériorité des personnes blanches en Europe sur les autres peuples. Il ne pourra être combattu efficacement que par la reconnaissance du colonialisme canadien et fait partie de la lutte pour la décolonisation des peuples autochtones. Enfin, il y a les autres groupes racisés, en particulier les Noir-e-s. Ce racisme reçoit trop peu d’attention, autant dans l’opinion publique que de la part des politicien-ne-s, sauf lors d’explosion de colère comme lors de l’émeute suite à la mort de Fredy Villanueva.

Dans la foulée de ces nouvelles orientations de travail, une première action de la LDL a été de donner son appui à la demande de création d’une commission sur le racisme systémique au Québec. Au cours des prochaines années, la LDL entend développer une pratique de lutte contre le racisme, fondée sur le caractère systémique du racisme, qui nomme la blanchité[3] et appelle l’opinion publique, les institutions et les décideurs à s’attaquer aux causes structurelles du racisme. C’est dans ce but qu’elle a choisi de consacrer le dossier du numéro d’automne de sa revue Droits et libertés au racisme systémique.

 

Un dossier pour mieux comprendre le racisme et réfléchir aux perspectives pour le combattre

Par ce dossier, la LDL souhaite contribuer au développement d’une meilleure compréhension des fondements du racisme et de ses manifestations, tout en suscitant une réflexion sur les perspectives de luttes contre le racisme et la responsabilité des personnes non-racisées. Comme le dit si bien Deni Ellis Béchard dans le livre « Kuei, je te salue », nous n’avons pas à nous sentir coupables de cette culture raciste. « Aucun d’entre nous ne l’a inventée. Nous en avons hérité. Toutefois, nous sommes responsables de la comprendre et de la changer[4]. »

Pour agir contre le racisme, il faut d’abord comprendre les processus dont il relève et s’entendre sur la définition des concepts de base. Des disciplines comme la sociologie et la psychologie sociale ont contribué de façon importante à la compréhension du racisme[5]. Dans son article sur les biais implicites, Régine Debrosse se penche sur ce concept issu de la psychologie sociale qui apporte un éclairage crucial à la question « Peut-on être raciste sans le savoir? ». Un autre concept incontournable pour aborder les enjeux du racisme est celui de racialisation. Dans leur article, Sirma Bilge et Mathieu Forcier nous présentent une perspective sociologique de ce concept fréquemment utilisé mais pas toujours bien défini. Alexandra Pierre, pour sa part, nous propose un lexique permettant de clarifier les définitions des principaux concepts mobilisés dans les luttes antiracistes.

Le racisme systémique se manifeste à différents niveau et prend plusieurs formes. Plusieurs articles témoignent de ces manifestations. Tout d’abord, nous présentons un article de Mouloud Idir qui nous invite à découvrir le racisme prenant forme dans les relations internationales. Estelle Carde, pour sa part, révèle les manifestations du racisme systémique dans le domaine de la santé, où « les voies que suit le racisme pour s’incorporer sont fort diverses mais [s’écrivent] souvent discrètement, dans la banalité du quotidien ». Alors que les chiffres témoignant de la discrimination raciale dans le domaine du travail sont souvent évoqués, Sid Ahmed Soussi se penche plus spécifiquement dans son article sur les programmes de « travailleurs étrangers temporaires ». Son article met en lumière l’existence de « dispositifs institutionnels stigmatisant spécifiquement cette catégorie de travailleuses et travailleurs », que certains analystes qualifient de racisme institutionnel.

Le racisme, par sa violence, par son effet stigmatisant et par les violations de droits qu’il entraîne, peut contribuer à la rupture sociale de certaines personnes racisées. Or, face à ce phénomène somme toute marginal, le gouvernement a choisi la voie de la lutte contre la radicalisation, plutôt que de s’attaquer au racisme lui-même. Dans leur article à six mains, Bochra Manaï, Will Prosper et Widia Larivière abordent cette question de la radicalisation à partir de leurs perspectives à la fois différentes et complémentaires. Cet article montre comment « les expériences de militant-e-s et citoyen-ne-s engagé-e-s, autochtones, noir-e-s et musulman-e-s du Québec, éclairent sur la façon avec laquelle les débats sur la ‘radicalisation’ qui prennent des formes différentes dans l’histoire ont pour effet de marginaliser des catégories de citoyen-ne-s. »

Comment faire face collectivement au racisme systémique? Comment changer nos propres pratiques comme organisations, à la fois dans notre fonctionnement interne et dans nos interventions externes? Ce dossier ne prétend pas apporter des réponses complètes à ces questions complexes, mais propose quelques pistes de réflexion.

Il nous semble d’abord incontournable de mettre en lumière le rôle de premier plan que jouent les personnes racisées dans les luttes antiracistes. Robyn Maynard, dans son article, rapporte des exemples inspirants de luttes menées ici au Québec contre le profilage racial et l’impunité policière, et fait le lien entre ces luttes et le mouvement Black Lives Matters. Cynthia Smith et Olivia Thomassie, quant à elles, nous font découvrir la campagne « Juste parce que je suis autochtone ». Les jeunes autochtones impliqué-e-s dans cette initiative « veulent non seulement dénoncer la discrimination à laquelle ils font face juste parce qu’ils sont autochtones, mais ils veulent aussi arriver à sensibiliser les gens sur leurs réalités et créer des ponts entre nos peuples ».

En entrevue avec Alexandra Pierre, Amandine Gay présente pour sa part les thèmes abordés dans son documentaire Ouvrir la voix, une œuvre sur «‘le paternalisme, la confiscation et la réappropriation de la parole des femmes afro-descendantes’, un appel pour que les femmes noires prennent le micro, un contre-pied à ceux et celles qui prétendent parler à leur place ». Cette nécessité de libérer la parole des femmes racisées, Marlihan Lopez y revient dans son article sur l’intersectionnalité. Plus largement, son article nous invite à surmonter l’écart qui existe présentement « entre la reconnaissance de la diversité et l’application d’une pratique d’inclusion capable de distinguer clairement les différents axes d’oppression et les inégalités vécues par les femmes ».

Le dossier se termine par une entrevue de Bochra Manaï avec Guillaume Hébert, un militant qui s’intéresse à l’antiracisme et s’interroge « sur le rapport qu’entretiennent les progressistes du Québec et la gauche québécoise (définie ici comme une sensibilité politique érigée sur le socle de la solidarité humaine) avec les enjeux du racisme ».

En tant qu’organisation qui souhaite elle-même développer sa compréhension du racisme et améliorer ses propres pratiques de lutte antiraciste, c’est avec beaucoup d’humilité que la LDL lance ce dossier sur le racisme systémique.

 

*Ta-Nehisi Coates, Une colère noire, Lettre à mon fils, 2016.

Bibliographie

[1]http://www.slate.fr/story/128483/apres-la-victoire-de-trump-les-actes-racistes-se-multiplient

[2] Ces travaux ont mené à la publication du livre Les Skins Heads et l’extrême droite, ainsi qu’à la production d’un rapport sur la violence raciste réalisé conjointement avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, le Centre maghrébin de recherche et d’information et le Congrès Juif.

[3] Pour une définition de ce concept, voir le lexique à la p.15 de ce numéro.

[4] Deni Ellis Béchard et Natasha Kanape Fontaine, Kuei, je te salue, Conversation sur le racisme, Les Éditions écosociété, 2016, p. 12.

[5] Notons que de nombreuses autres disciplines, dont l’histoire et l’anthropologie, ont aussi apporté des éclairages importants au phénomène du racisme. Il ne nous a pas été possible de faire le tour des différentes perspectives dans le cadre de ce numéro.

 

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