Mots choisis pour réfléchir au racisme et à l’anti-racisme

En définissant clairement les concepts clés reliés au racisme, comme la blanchité, le privilège blanc ou le racisme systémique, l’auteure propose une analyse synthétique de ces derniers.

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Alexandra Pierre, militante féministe
Membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Blanchité ou blanchitude (whiteness) : Le fait d’appartenir, de manière réelle ou supposée, à la catégorie sociale « Blanc ». Le concept de blanchité fait ressortir qu’être « Blanc » est une construction sociale, comme être « Noir-e » ou « Arabe ».

Les « non-Blancs » sont ceux qui sont racisés, à qui on attribue des caractéristiques spécifiques et immuables, alors que les « Blancs » sont souvent décrits comme la norme, la référence à partir de laquelle on définit le différent, l’ « Autre ». Le fait d’être « Blanc » est rarement questionné ou examiné. D’ailleurs, la plupart des « Blancs » ne se perçoivent pas comme tel. Or être une personne blanche, c’est aussi subir une forme de racisation qui, dans ce cas précis, octroie des privilèges. Nommer la blanchité, c’est interroger le sous-texte qui suggère que les « Blancs » sont la référence, un universel qui englobe toute l’humanité alors que les « non-Blancs » ont des particularités.

La blanchité met donc en lumière les présuppositions associées à l’identité blanche et en révèle les privilèges.

Fragilité blanche : État émotionnel intense dans lequel se trouvent les personnes blanches lorsque qu’une personne racisée critique certains de leurs comportements jugés racistes. Cet état est caractérisé par des réactions vives, défensives, voir violentes. Cela se traduit par des émotions comme la peur, la colère, la culpabilité ou des comportements comme argumenter, minimiser ou arrêter la conversation. Le propre de ces interactions est de mettre l’accent sur les sentiments négatifs que provoque la critique plutôt que sur l’expérience vécue du racisme.

La fragilité blanche provoque souvent un retournement de situation : la personne racisée se retrouve à rassurer la personne blanche – qui se sent coupable ou injustement accusée – et doit apaiser ses craintes sur le fait qu’elle est « une bonne personne ». La fragilité blanche permet de réduire au silence la personne qui fait la critique, de la remettre à sa place. Ainsi, le racisme n’est ni contesté ni questionné, sauf de manière superficielle : l’équilibre du système raciste est alors maintenu. En somme, la fragilité blanche est une réponse émotive et individuelle à la dénonciation d’un système inégalitaire.

La fragilité blanche révèle que les personnes blanches sont rarement confrontées au racisme : elles peuvent facilement éluder le sujet. Elles sont donc généralement inconfortables lorsque la question est abordée sans détour. Par ailleurs, la fragilité blanche sous-entend qu’une « bonne personne » ne peut être raciste, que le racisme recouvre des comportements conscients et intentionnels. Or, cette conception occulte le fait que le racisme est un système qui forge le comportement et les attitudes des « Blancs », comme des « non-Blancs ». Ces comportement sont souvent inconscients, internalisés, d’où l’importance de les nommer pour les débusquer.

 Intersectionnalité : outil pour analyser la manière dont les différents systèmes d’oppression s’articulent et se renforcent mutuellement.

En 1989, Kimberlé Crenshaw, inspirée par une longue tradition féministe afro-américaine, s’intéresse à comment la lutte des femmes afro-américaines les place dans une position spécifique : les personnes noires sont invisibles dans les enjeux féministes et les femmes sont invisibles dans les mouvements d’égalité raciale. L’intersectionnalité est une critique de l’homogénéisation de certaines catégories et de la tendance à uniformiser les expériences vécues : toutes les femmes ne sont pas « Blanches » et tous les « Noirs » ne sont pas des hommes.

Par ailleurs, l’intersectionnalité affirme qu’il n’est pas possible de discuter de privilège et d’oppression sans prendre en compte tous les aspects (classe, genre, handicap, âge, origine ethnique, orientation sexuelle, etc.) qui constituent l’identité des personnes. En effet, leur vie est façonnée par l’interaction de plusieurs dynamiques. Le concept d’intersectionnalité rejette la hiérarchisation des systèmes d’oppression : cloisonnement des luttes contre les différentes formes d’oppression peut conduire à renforcer ces mêmes systèmes.

Pour comprendre l’application du concept d’intersectionnalité, la lutte pour l’avortement s’avère être un bon exemple. Cette lutte pour le droit de choisir ou non d’avoir des enfants est emblématique du mouvement féministe dit majoritaire. Dans les années 1990, des féministes racisées et autochtones imposent le concept de justice reproductive. Elles affirment que, pour plusieurs femmes non-Blanches considérées comme indignes d’être mères et dangereuses car capables de perpétuer leur « race », c’est la stérilisation et la contraception forcée qui est un enjeu prioritaire, non le droit à l’avortement. Les revendications des mouvements pro-choix n’intégraient pas les expériences de certaines femmes; des femmes racisées et autochtones ont donc développé un nouveau cadre de revendications[1] où l’interaction de diverses oppressions est prise en compte.

Préjugé : Opinion défavorable sur une personne ou un groupe et qui n’est pas fondée sur une expérience réelle. Il est important de distinguer les préjugés du racisme. L’équation suivante est souvent évoquée pour illustrer les deux concepts : préjugés + pouvoir = racisme.

Les préjugés raciaux sont d’ordre individuel alors que le racisme est un système qui attribue positions et privilèges de manière inégale et systématique.

Privilège blanc : Avantages invisibles mais systématiques dont bénéficient les personnes dites « Blanches » uniquement parce qu’elles sont « Blanches ».

La blanchité permet de tirer avantage involontairement, voire inconsciemment, du fait que d’autres personnes soient racisées et donc discriminées. « On peut le nier, l’ignorer ou être le plus fervent des antiracistes, rien n’y fait : être Blanc signifie hériter d’un système de domination qui procure des bénéfices »[2]. Non seulement, les personnes blanches n’ont pas à subir de discrimination en tant que « Blancs », mais elles possèdent « un sac à dos invisible et sans poids, rempli de fournitures spéciales, cartes, passeports, carnets d’adresses, codes, visas, vêtements, outils et chèques en blanc »[3], selon la chercheuse Peggy McIntosh. Voici quelques exemples du privilège blanc :

  • Être largement représenté-e au sein du pouvoir politique;
  • Être assuré-e que l’histoire représente de manière majoritaire et positive mon groupe;
  • Ne pas être accusé-e de se regrouper en un ghetto quand on vit majoritairement avec des « Blancs »;
  • Trouver facilement des affiches, des livres d’images, des poupées ou des magazines pour enfants représentant de son groupe;
  • Ne pas subir de contrôle d’identité par la police sans raison apparente;
  • Ne pas avoir à s’exprimer ou à se justifier au nom de tous les membres de son groupe;
  • Se sentir bienvenu-e et « normal-e » dans la plupart des situations liées à la vie publique, institutionnelle et sociale.

Personne racisée ou racialisée : Personne qui appartient, de manière réelle ou supposée, à un des groupes ayant subi un processus de racisation. La racisation est un processus politique, social et mental d’altérisation. Notons que, les « races » et les groupes dits « raciaux » ou « ethniques » sont souvent un mélange des genres : on les invoquera ou les supposera en parlant par exemple de musulman-e ou de Juif, juive (religion), de Noir-e (couleur de peau), d’Arabe (langue) ou d’Asiatique (continent).

Ainsi, le terme « racisé » met en évidence le caractère socialement construit des différences et leur essentialisation. Il met l’accent sur le fait que la race n’est ni objective, ni biologique mais qu’elle est une idée construite qui sert à représenter, catégoriser et exclure l’ « Autre ». Le terme « racisé » permet de « rompre avec ce refus de prendre publiquement au sérieux l’impact social du concept de race, refus qui n’obéit ni à un manque ou à une cécité, mais permet justement de reconduire les discriminations et hiérarchies raciales »[4].

Racisme ou racisme systémique : Théorie qui, sur la base de l’appartenance ethnique ou « raciale », considère que les personnes et les groupes sont inégaux entre eux. Il s’agit aussi d’un système qui maintient une répartition inégale des ressources. Pour des raisons de clarté, notamment pour le distinguer d’un racisme trop souvent compris comme l’ensemble des attitudes individuelles déplorables (préjugés, insultes, actes de violence, etc.) plutôt que comme un phénomène systémique (écart dans les revenus, l’espérance de vie, ségrégation spatiale, etc.), certains utilise le terme de « racisme systémique ». Le racisme n’est donc ni nécessairement conscient, ni exclusivement individuel et fait autant partie des institutions que de la socialisation.

La définition première du racisme parle d’une croyance en des races biologiques et hiérarchisées. Il y a donc aujourd’hui une conception erronée que le racisme a disparu ou est peu prégnant puisque la preuve a été faite que les races n’existent pas. Mais le mépris et l’hostilité dont sont victimes les personnes racisées, leur accès aux ressources et leurs conditions de vie différenciés persistent eux Il faut maintenant « penser le racisme sans les races »[5] puisque sa justification est maintenant basée sur l’inégalité des « cultures », des coutumes « ethniques » et des religions.

Racisme anti-blanc. Racisme qui toucherait spécifiquement les personnes blanches. Les insultes et les préjugés raciaux des personnes faisant partie de groupes minoritaires peuvent évidemment être blessants, voire violents, mais ils ne sont pas historiquement chargés et n’émanent pas d’un système. Il faut faire l’importante distinction entre les préjugés individuels et un système de pouvoir institutionnalisé inégal.

Les « Blancs » ne subissent aucune discrimination sur la base de leur couleur. Les personnes blanches vivent évidemment des difficultés mais ces dernières ne découlent pas de la discrimination raciale : au Québec, aucune personne blanche ne se voit refuser un logement, un emploi, etc. parce qu’elle est blanche.

Par ailleurs, on peut présumer que les comportements discriminatoires des personnes de groupes minoritaires sont souvent des réactions aux discriminations subies en continu.

Le racisme anti-Blanc n’est donc « pas une expérience de masse »[6] et c’est la vie des personnes non-Blanches que la question raciale affecte négativement. La thèse d’un racisme « anti-blanc » correspondrait plus à une peur, ou une perception d’une domination sociale et politique des minorités, qui cache une peur de perdre son statut privilégié.

Suprématie blanche ou domination blanche : Idéologie fondée sur un système complexe de croyances sous-entendant la suprématie des valeurs culturelles et des normes des peuples d’origine européenne par rapport aux autres groupes humains. La suprématie blanche s’enracine dans l’histoire (pensons à la colonisation et à l’impérialisme) et dans les institutions (justice, éducation, etc.) construites par ces nations[7]. Elle se décline dans des habitudes (comme le langage), de structures sociales, des actions, des gestes et de croyances (notamment les stéréotypes sur les personnes non-Blanches), etc. Les « Blancs » seraient ainsi habilités à dominer politiquement, économiquement et socialement les « non-Blancs ».

Comme toute idéologie, cette suprématie blanche n’est pas basée sur des gestes ou des intentions conscientes et volontaires de ceux qui en bénéficient mais plutôt sur des biais inconscients et sur la validation régulière du « gros bon sens ». Le privilège blanc est central à la suprématie blanche qui insinue constamment que les « non-Blancs » sont inférieurs, négligeables ou secondaires. Le terme « suprématie blanche » aide à comprendre le caractère idéologique du système raciste où les personnes blanches sont considérés comme normales et où toutes les expériences humaines sont jugées à l’aune de cet universel blanc.

Il faut distinguer le concept de « suprématie blanche » du mouvement des suprémacistes blancs. Ces derniers ne sont évidemment pas étrangers à l’idée de domination blanche. Cependant, dans leur cas précis, ils l’incarnent de manière brutale, consciente et assumée, individuellement ou à travers des organisations politiques d’extrême droite.

 

Bibliographie

 

[1] Fédération du Québec pour le planning des naissances (2014). « La justice reproductive ou l’application du prisme de la justice sociale à la santé et aux droits sexuels, reproductifs et maternels http://www.fqpn.qc.ca/main/wp-content/uploads/2014/03/PDF_FR_COULEUR.pdf

[2] Diallo Rokhaya (2013). Le privilège blanc. http://www.ministere-de-la-regularisation-de-tous-les-sans-papiers.net/joomla1.5/images/documents_pdfs/le_privilege_blanc.pdf

[3] Véronique Chagnon, Marie-Pier Frappier et Sophie Chartier. « Se libérer sans vous, se libérer de vous. Pourquoi certains groupes d’opprimés choisissent la non-mixité ». Le Devoir, le 5 décembre 2015. http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/457146/se-liberer-sans-vous-se-liberer-de-vous

[4] Rafik Chekkat (2015). Ce que le mot « racisé-e » exprime et ce qu’il masque. http://www.etatdexception.net/ce-que-le-mot-racise-e-exprime-et-ce-quil-masque/

[5] « Un racisme sans race. Entrevue avec Étienne Balibar ». Revue Relations, mars 2013. http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=3095

[6] Sylvain Mouillard. « Le racisme «anti-blanc» n’est «pas une expérience de masse» ». Libération, 8 janvier 2016 http://www.liberation.fr/france/2016/01/08/le-racisme-anti-blanc-n-est-pas-une-experience-de-masse_1425131

[7] « Beyond the Whiteness – Global Capitalism and White Supremacy: thoughts on movement building and anti-racist organizing ». Colours of Resistance Archive. http://www.coloursofresistance.org/492/beyond-the-whiteness-global-capitalism-and-white-supremacy-thoughts-on-movement-building-and-anti-racist-organizing/

 

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