Hommage à Rémi Savard

La LDL rend hommage à Rémi Savard, un anthropologue dont l’œuvre est empreinte d’un grand respect pour les peuples qui habitent le territoire nord-américain depuis des millénaires.

Rémi Savard (1934-2019) a été actif au sein de la Ligue des droits et libertés (LDL), surtout dans les années 1970-90. Il a participé à la mise sur pied du Comité d’appui aux nations autochtones (CANA) et a notamment joué un rôle de premier plan lors de la Guerre du saumon à la fin des années 70. Lors de ses funérailles, des leaders autochtones et des familles innues sont venus lui rendre hommage et souligner son apport à la promotion des droits des peuples autochtones au Québec et au Canada.

Rémi Savard était anthropologue et professeur, un des membres fondateurs de la Société Recherches amérindiennes au Québec, fondée en 1973, et un fidèle collaborateur de la revue depuis ses débuts. Rémi a travaillé avec passion à comprendre et diffuser les œuvres orales des peuples originaires de l’est de l’Amérique du Nord, en particulier les Innu-e-s. Il a appuyé les luttes pour la reconnaissance de ces dernier-ère-s, de même que celles des Algonquin-e-s et des Makwaninis-Algonquin-e-s de Trois-Rivières, à une époque où on accordait malheureusement très peu d’attention aux revendications des peuples autochtones. Son œuvre est empreinte d’un grand respect pour les peuples qui habitent le territoire nord-américain depuis des millénaires. Il a publié plusieurs ouvrages qui en témoignent. Souverainiste, Rémi Savard a toujours défendu l’Idée que l’indépendance est un vain projet sans la reconnaissance de ce droit aux Premières Nations.

Au nom des militant-e-s passés et actuels de la LDL, nous souhaitons saluer sa contribution à la promotion et la défense des droits des peuples autochtones.

Gérald McKenzie et Martine Eloy

La Guerre du saumon des années 1970 et 1980[1]

Entre 1975 et 1983, sur la Côte-Nord et en Gaspésie, les incidents violents se multiplient entre Autochtones et non-Autochtones : arrestations, saisies de filets, coups de feu, manifestations, gestes de défiance, interventions de l’escouade anti émeute, mobilisation d’associations de chasseurs et de pêcheurs sportifs, campagne de salissage des autochtones dans la presse sportive, propos incendiaires lors d’émissions de lignes ouvertes de stations de radio locale, etc. C’est la Guerre du saumon.

[…] Comment comprendre cette escalade sur les rivières à saumon, précisément au milieu des années 1970? D’abord, les Innu-e-s de la Côte-Nord et les Micmac-que-s de la Gaspésie étaient devenus, selon l’expression de Panasuk et Proulx[2], « des étrangers sur leurs propres rivières ». Mais l’Opération gestion faune ou opération dite de déclubbage amorcée au Québec au début des années 1970 y est également pour quelque chose. Un mouvement légitime s’était amorcé dans la population québécoise pour l’abolition des clubs privés et la restitution de territoires jusque-là inaccessibles aux citoyen-ne-s du Québec. Cependant, au moment où le déclubbage des rivières à saumon va de l’avant, les Amérindien-ne-s sont laissés pour compte. Elles et ils ne sont pas bienvenus et se retrouvent dans la situation anachronique d’être traités comme des hors-la-loi sur toutes les rivières à saumon du Québec. […] Sur plusieurs rivières à saumon, la situation est devenue explosive. À la Romaine, un gardien du club de pêche est condamné pour avoir tiré sur des Amérindiens. Sur la rivière Moisie, deux Amérindiens, Achille Vollant et Moïse Régis, sont retrouvés morts alors qu’ils pêchaient la nuit. Les circonstances de leur décès demeurent nébuleuses et les Innu-e-s soupçonnent tout de suite un incident qui a mal tourné avec des garde-pêche. Le coroner, de son côté, conclut à une mort accidentelle par noyade. À ce moment, le père d’une des victimes demande l’aide de l’anthropologue Rémi Savard, qui convainc la Ligue des droits et libertés de s’intéresser au dossier. Après avoir décelé de nombreuses erreurs, irrégularités et incohérences dans les notes sténographiques de l’enquête du coroner, Rémi produit une petite brochure intitulée Mistashipu, la rivière Moisie : la mort suspecte de deux Montagnais et les sophismes du ministre de la justice[3].

 

Durant cette époque peu glorieuse de la « Guerre du saumon » les militants de la Ligue ont fait, à mon sens, un travail remarquable. Ils l’ont fait à contre-courant d’une certaine opinion publique.

[…] Le ministre québécois du Loisir, de la Chasse et de la Pêche de l’époque, Lucien Lessard, avait ordonné une opération d’envergure dans la communauté de Listuguj et sur la rivière Restigouche afin d’y saisir les filets des pêcheurs micmacs qui s’adonnaient à une pêche au saumon jugée illégale. Cinq cents policiers et agents de conservation de la faune avaient envahi la communauté, suspendu les pouvoirs du conseil de bande, procédé à des arrestations et à des saisies de filet. La petite communauté micmaque était alors en état de choc. Sans hésiter, la LDL avait nolisé un avion pour se rendre d’urgence à l’assemblée publique qui se tenait à Listuguj pour recueillir les témoignages bouleversants des femmes de la Réserve. Rémi était alors intervenu, au côté des militants de la LDL, du CANA et du Mouvement québécois contre le racisme, pour appuyer les Innu-e-s de la Côte-Nord dans leur lutte pour préserver leur droit de pêche.

Pierre Lepage

 


[1] Extraits adaptés d’un témoignage de Pierre Lepage, paru dans LDL, « Au Cœur des luttes 1963-2013 », revue Printemps 2013, p. 57-59. L’implication de la Ligue dans la Guerre du saumon. Pierre Lepage est anthropologue de formation et a été agent d’éducation à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

[2] La résistance des Montagnais à l’usurpation des rivières à saumon par les Euro-canadiens du 17e au 20e siècle.

[3] Comité pour la défense des droits des autochtones, Ligue des droits et libertés, Montréal, 1979.