Initiatives contre le profilage racial

Le racisme à l’endroit des personnes noires, autochtones et racisées, même si on n’en parle que trop rarement au Québec et au Canada, reste endémique. Le ciblage d’inspiration raciste par les forces policières et le traitement discriminatoire dans le système de justice pénale en sont les principaux aspects. Cet article souligne les initiatives qui visent à contrer le profilage racial.

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Robyn Maynard, auteure et militante afro-féministe
Membre fondatrice de Justice for Victims of Police Killings et de Montréal Noir

Traduit par Albert Beaudry

 

Montréal 17 août 2014 - Vigile en solidarité avec le soulèvement à Ferguson Crédit photo: blogocram, Flickr, CC BY-NC 2.0 https://www.flickr.com/photos/blogocram/14767739559/in/album-72157646162621057/
Montréal 17 août 2014 – Vigile en solidarité avec le soulèvement à Ferguson
Crédit photo: blogocram, Flickr, CC BY-NC 2.0 

Le racisme anti-noir, même si on n’en parle que trop rarement au Québec et au Canada, reste endémique. Le ciblage d’inspiration raciste par les forces policières et le traitement discriminatoire dans le système de justice pénale en sont les principaux aspects.

Les communautés noires présentent des taux de criminalité semblables à ceux des communautés blanches, mais elles font face à une surveillance lourdement accrue de la part de la force policière parce qu’on suppose que leurs membres « correspondent au profil » du criminel. C’est ce qu’on appelle le profilage racial. D’un bout à l’autre du Canada, des personnes noires, autochtones ou autrement racisées sont victimes de profilage racial de la part de la police. C’est ainsi qu’une étude commandée par le SPVM a relevé une énorme surreprésentation des jeunes Noirs lors d’interpellations dans la rue, dont on prétendait qu’elles étaient faites « au hasard ». Dans certains quartiers, les personnes noires représentaient près de 40 % des jeunes interpellés sur une période d’un an de 2006 à 2007, allant jusqu’à 721 personnes noires en un mois[1]. Plusieurs jeunes racisés ont déclaré à la Commission québécoise des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) qu’ils étaient incapables de se déplacer librement en public, particulièrement en groupe, sans être ciblés par la police[2]. Le profilage racial entraîne la surincarcération; or des études faites à Montréal et à la grandeur du Canada ont établi un lien direct entre les préjugés raciaux dans la police et la surincarcération, qui a atteint des niveaux de près de 70 % entre 2005 et 2015[3]. Le profilage ne se limite pas aux interpellations, aux arrestations et au temps passé derrière les barreaux; il engendre souvent aussi une violence disproportionnée. Le Québec ne divulgue pas de données raciales sur le recours à la force par la police, mais des recherches faites en Ontario ont montré que les personnes noires sont victimes du tiers des cas de recours à la force par la police, alors qu’elles constituent un pourcentage beaucoup plus faible de la population[4].

Le profilage racial soulève un autre problème important – celui de l’impunité policière. Jusqu’à tout récemment, quand des personnes étaient tuées par des agents, l’enquête était confiée à un autre corps de police. La SQ enquêtait sur le SPVM et réciproquement. Cette pratique, largement assimilée à un conflit d’intérêts, faisait que des accusations étaient rarement portées contre des policiers, quelles que soient les circonstances. Depuis 1999, sur 500 enquêtes portant sur des incidents de violence policière ou de bavure policière, il n’y a eu que 9 mises en accusation[5]. Les personnes noires et autochtones, les personnes racisées, les migrant-e-s et autres communautés marginalisées, telles les personnes transsexuelles, celles qui ont des problèmes de santé mentale et les travailleuses et travailleurs du sexe (communautés qui se recoupent souvent), font trop souvent l’objet d’interventions « aléatoires » de la police et ont peu de recours en cas de violence ou de décès aux mains de la police.

 

Le combat aujourd’hui contre le profilage racial à Montréal et ailleurs

Aujourd’hui, plusieurs mouvements de justice sociale continuent de lutter contre le profilage racial et l’impunité policière. Depuis la mort d’Anthony Griffin, des militantes et des militants pour la justice raciale protestent contre le fait que ce soient des policiers qui font enquête sur d’autres policiers. Un exemple : Justice pour les victimes de bavures policières, initiative de la base lancée en 2010, regroupe des parents, des ami-e-s et des défenseur-e-s de personnes tuées par la police, dont Anas Bennis, Claudio Castagnetta, Ben Matson, Jean-François Nadreau, Quilem Registre, Gladys Tolley, Fredy Villanueva et Brandon Maurice, qui ont tous perdu la vie à la suite d’actions et d’interventions policières. Justice pour les victimes de bavures policières a mobilisé l’opinion contre les pratiques de profilage racial et social en montrant que les personnes noires et autochtones, les personnes racisées et celles qui ont des problèmes de santé mentale continuent de faire l’objet d’un nombre disproportionné d’incidents de violence policière ou de bavure policière. Autre exemple: Montréal Noir, groupe de militantes et de militants noirs contre le racisme anti-noir à Montréal. Créé au lendemain de l’assassinat par la police au printemps 2016 de Jean-Pierre Bony, Haïtien de 47 ans qui n’était pas armé, Montréal Noir demande aussi qu’on mette fin à la pratique du profilage racial. Le groupe exige qu’on en finisse avec la surveillance policière accrue des quartiers noirs et racisés, ainsi qu’avec la surveillance policière proactive en général. Il demande aussi que la police rende publiques chaque année toutes les données de race et de genre relatives à toutes ses interventions.

Après des années de travail contre l’impunité policière, une victoire importante pointait à l’horizon avec l’annonce en 2013 d’un nouvel organisme d’enquête neutre pour les cas de violence policière et de bavure policière. Mais ces espoirs se sont estompés en 2016, quand le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a été mis sur pied. Cet organisme n’a rien d’« indépendant » puisqu’il est formé presque entièrement d’anciens policiers. Quinze des 22 membres du Bureau des enquêtes indépendantes ont déjà travaillé pour la police et le « superviseur des enquêtes désigné », Patrice Abel, est un ancien enquêteur de la Sûreté du Québec, corps policier qui vient d’être accusé par 44 femmes autochtones de les avoir agressées sexuellement, de les avoir violentées physiquement ou de les avoir abandonnées loin de chez elles en les obligeant à rentrer à pied[6].

Bridget Tolley a participé à la fondation de Justice pour les victimes de bavures policières. Autochtone dont la mère a été tuée par la SQ en 2001, elle a vécu un conflit d’intérêts particulièrement horrible puisque l’agent chargé de l’enquête était le frère de celui qui avait abattu sa mère. Elle dénonce le nouvel organisme d’enquête; « le BEI, a-t-elle déclaré aux médias, c’est la police qui enquête sur la police[7] ».

Montréal Noir s’est joint avec les familles et allié-e-s de personnes tuées par la police pour demander la fin de l’impunité policière et donc pour exiger qu’on mette fin sans équivoque à ces enquêtes faites par des policiers sur d’autres policiers; dans un communiqué commun publié en juin 2016, on a dénoncé le profilage racial et social et la composition du BEI : « Cette homogénéité donne la priorité à une seule voix déjà trop puissante : elle laisse le pouvoir entre les mains d’une élite très distincte, qui domine déjà la société québécoise[8]. »

Outre la fin du profilage racial, Justice pour les victimes de bavures policières et Montréal Noir réclament un organisme vraiment indépendant pour faire enquête sur les cas de violence policière et de bavures policières afin de prévenir les préjudices qu’entraînent la surveillance policière raciste et l’impunité qui résulte du fait que des policiers fassent enquête sur d’autres policiers.

Ensemble, Justice pour les victimes de bavures policières et Montréal Noir ont organisé une manifestation pour dénoncer la mort d’Abdirahman Abdi, un Noir atteint de maladie mentale qui a été battu à mort à Ottawa : la marche s’est terminée aux cris de « Black Lives Matter » devant un poste de police du centre-ville.

Des efforts d’organisation se font à Montréal au sein d’un mouvement plus vaste qui rejette les pratiques racistes de la police. Black Lives Matter – Toronto, dirigé largement par des femmes queer et trans, lutte aussi pour un organisme d’enquête indépendant sur les bavures de la police. Le groupe a abondamment critiqué l’Unité des enquêtes spéciales [Special Investigations Unit (SIU)], formée principalement d’anciens policiers, et qui a exonéré presque tous les agents mis en accusation. À force de protestations dans la rue, le groupe a réussi à mobiliser l’opinion pour qu’on mette fin au contrôle d’identité raciste, pratique qui consiste à interpeller des passants au hasard, mais qui visait lourdement les communautés noires de Toronto. Plus largement, le Movement for Black Lives a pris position non seulement contre le profilage racial et le meurtre de civils noirs, mais pour la non-incarcération : c’est-à-dire pour qu’on arrête d’investir dans la surveillance policière, les prisons et les pénitenciers, et qu’on investisse plutôt dans l’éducation, la lutte contre la pauvreté et le développement communautaire[9]. Ce n’est pas nouveau puisque cela fait suite à des décennies de travail par des militantes féministes noires comme Angela Davis et Joy James.

Depuis des siècles, la violence de l’État vise les populations noires, autochtones et racisées. Il importe, en réclamant des réformes cruciales qui vont sauver des vies, de ne pas perdre de vue la justice réparatrice et de prendre au sérieux les appels qui se multiplient pour le désarmement, voire le démantèlement, des institutions responsables d’une grande partie des préjudices que subissent les communautés marginalisées et exclues.

Pour en savoir plus :  www.robynmaynard.com

Bibliographie

[1] Charest, Mathieu, Mécontentement populaire et pratiques d’interpellation du SPVM depuis 2005. Doit-on garder le cap après la tempête? Montréal, 2009.

[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés. Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences, Québec, 2011.

[3] C’est la surveillance exagérée des jeunes Noirs et non leur criminalité qui explique près de 60% de la surreprésentation des jeunes noirs dans le système de justice pénale à Montréal, selon McAll, Christopher et Leonel Bernard, « Jeunes noirs et système de justice », Revue du CREMIS, 3.1 (hiver 2010); voir aussi la Déclaration aux médias du Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine, sur ses conclusions au terme de sa visite officielle du 17 au 21 octobre 2016.

[4] Wortley, Scot, Police Use of Force in Ontario: An Examination of Data from the Special Investigations Unit, Final Report, 2006.

[5] The Montreal Gazette, « Policing the police in Quebec », éditorial du 11 janvier 2016. http://montrealgazette.com/opinion/editorials/editorial-policing-the-police-in-quebec

[6]  Catou MacKinnon, CBC News, le 12mai 2016, http://www.cbc.ca/news/canada/montreal/val-dor-police-abuse-hotline-1.3577963

[7]Joshua De Costa, « Seventh Annual Vigil for Victims of Police Killings Continues », The Link, 27 octobre 2016. http://thelinknewspaper.ca/article/seventh-annual-vigil-for-victims-of-police-killings-continues

[8] « Montreal Noir and families of persons killed by police reject the Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) ». Tiré de http://robynmaynard.com/montreal-noir-and-families-of-persons-killed-by-police-reject-the-bureau-denquete-independente-bei/

[9] The Movement for Black Lives, « Platform », 2016. Sur le Web : <https://policy.m4bl.org/platform/>.

 

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