Le droit criminel, la justice transformatrice et la violence faite aux femmes : regards croisés

La reconnaissance de la violence sexuelle en tant que crime contre la personne a été obtenue de longue lutte après des siècles d’un déni marqué par le refus constant de blâmer l’agresseur. Les auteures abordent les enjeux de l’accès à la justice pour les femmes ainsi que la justice réparatrice.

Retour à la table des matières

Rachel Chagnon, Professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes
Liliane Côté, intervenante sociale et juriste, consultante en violence conjugale et militante féministe
Virginie Mikaelian, étudiante à la maitrise en communication internationale et interculturelle, Université du Québec à Montréal (UQAM)

 La reconnaissance de la violence sexuelle en tant que crime contre la personne a été obtenue de longue lutte après des siècles d’un déni marqué par le refus constant de blâmer l’agresseur. Cette affirmation peut paraitre dure, elle est malheureusement exacte. Sans remonter trop loin dans le temps et l’espace, revenons simplement sur certains faits.

De 1892, année de l’entrée en vigueur du Code criminel du Canada, à 1955, afin que des accusations soient déposées, une femme victime de viol doit avoir avec elle un témoin masculin, car les femmes ne sont pas considérées comme étant crédibles. À partir de 1955, le droit évolue un peu, et il est possible pour une femme d’agir à titre de témoin. Le crime doit par ailleurs toujours être corroboré, ce qui n’est pas le cas lorsque la victime de violence sexuelle est un homme. La plainte d’une femme doit de plus être « spontanée », c’est-à-dire faite dans les heures qui suivent l’agression, sans quoi elle ne sera pas recevable. Ce n’est qu’en 1984 que l’on reconnaitra finalement que la femme victime peut être prise au sérieux et que l’agression sexuelle doit être traitée de la même manière que tous les autres crimes contre la personne, soit comme un acte de violence. C’est d’ailleurs en 1984 que l’on donnera le droit à une femme mariée de porter plainte contre le conjoint qui l’a agressée sexuellement, mettant ainsi fin à une impunité qui durait depuis… 1892.

Malgré tout, même aujourd’hui, l’agression sexuelle demeure un crime peu dénoncé pour lequel il est difficile d’obtenir une condamnation. Des décennies d’une pratique accordant peu de crédibilité aux victimes ont laissé des traces. Souvent, porter plainte est vu comme un parcours pénible et peu fructueux. Et pourtant, il existe des recours et des solutions peuvent être trouvées afin que les victimes obtiennent justice. C’est justement de cette question que nous traiterons ici. Dans les pages qui suivent, nous vous exposerons deux visions de la justice, mais surtout deux propositions afin de permettre un meilleur accès à la justice pour les femmes.

Comme vous le constaterez, le droit criminel et la justice transformatrice offrent des solutions contrastées aux femmes qui veulent porter plainte contre leur agresseur. Alors que le droit criminel, relevant de l’État, propose une procédure à caractère punitif, impliquant de façon prépondérante un procureur de la Couronne et la personne accusée, la justice transformatrice, issue de milieux communautaires, cherche à mettre la femme agressée au centre du processus afin d’obtenir, en définitive, la transformation de l’agresseur et de la société.

En analysant deux positions, l’une où la violence a lieu dans un cadre conjugal et l’autre où agresseur et agressée se côtoient dans un milieu communautaire plus large, vous pourrez vous familiariser avec ces deux propositions.

Quelles sont leurs forces, leurs faiblesses? Que peuvent-elles s’enseigner mutuellement? Que peuvent-elles nous apprendre? Beaucoup de questions et, nous l’espérons, quelques pistes de réponse.

 

Première position : le droit criminel, bien qu’imparfait, permet une réelle reprise de pouvoir pour les femmes.

Comprendre le droit criminel

Le droit criminel permet d’arrêter, de juger, de punir et de réhabiliter les criminels afin d’assurer la loi et l’ordre. L’État prend en charge la protection de la collectivité. Pas de droit criminel ou pénal sans État et pas d’État sans droit criminel.

Les protagonistes du droit criminel sont l’État, représenté au Canada par le procureur de la Couronne, et l’accusé. La victime peut porter plainte, mais elle ne participe au procès que comme témoin de la poursuite, afin de permettre à cette dernière de faire la preuve des actes criminels commis. Au Canada, le droit criminel repose sur la présomption d’innocence. L’État doit prouver la culpabilité de l’accusé. Le principe fondamental est la liberté, l’emprisonnement est l’exception. De cette règle découlent des principes, dont le droit de l’accusé d’être remis en liberté sous caution suite à une arrestation. La règle est la remise en liberté, la détention est l’exception. L’accusé sera détenu si la protection publique, y incluant celle de la victime, le requiert, s’il y a un risque qu’il ne se représente pas devant le tribunal lorsque requis ou lorsque la détention de l’accusé est nécessaire afin de ne pas briser la confiance du public.

L’accusé a droit à un procès juste et équitable, à une défense pleine et entière et à être représenté par un avocat. Il a le droit de garder le silence tout au long du procès et le fardeau de la preuve de la culpabilité relève de l’État. Au Québec, le DPCP (directeur des poursuites criminelles et pénales) prend en charge les accusations. Ces règles ont été mises en place au cours d’une longue pratique et visent à protéger les personnes contre des accusations mal fondées.

Contrairement au droit conventionnel, le système de justice transformatrice présume de la culpabilité sur la foi d’un témoignage. N’y a-t-il pas danger de dérapage? L’accusé ne devrait-il pas avoir le droit de se défendre et de donner sa version avant d’être condamné?

Dans le cas qui nous intéresse, soit la violence conjugale, la justice transformatrice pose un autre type de problème. Pour que le système fonctionne, l’accusé doit reconnaitre le ou les actes reprochés. Il doit admettre ce qu’il a fait et par la suite s’engager dans un processus avec la victime. Cette approche est mal adaptée à la réalité de la violence conjugale. En effet, plusieurs recherches démontrent que l’agresseur ne reconnait pas la violence exercée sur la victime. Au contraire, il a tendance à la blâmer. En général, l’accusé accepte le processus thérapeutique seulement si le juge l’impose dans les conditions de remise en liberté. Le caractère volontaire n’est pas la règle. Est-ce qu’en matière d’agression sexuelle, l’agresseur va reconnaitre d’emblée sa responsabilité? L’expérience des procès et les faits divers qui ont secoué récemment l’opinion publique tendent à démontrer le contraire.

 

Les femmes victimes de violence conjugale dans le système de justice criminelle : un cheminement utile.

Depuis 1986, le gouvernement du Québec a adopté la Politique d’intervention en matière de violence conjugale. Depuis, les infractions commises dans ce contexte sont de nature criminelle.

La violence conjugale a des impacts importants sur la victime[1]. Elle peut blesser physiquement mais surtout psychologiquement. Des recherches et témoignages de nombreuses femmes montrent que les séquelles psychologiques sont plus profondes et durent davantage dans le temps. Entre autres, elles diminuent l’estime et la confiance en soi. De plus, les victimes éprouvent souvent de la culpabilité et des sentiments contradictoires.

Par exemple, la victime peut être encore amoureuse de l’accusé, elle peut aussi subir du harcèlement, parfois accompagné de menaces. Elle peut aussi avoir honte d’avoir dénoncé son conjoint et, si des enfants sont issus de cette relation, se sentir responsable de priver les enfants de leur père. On remarque aussi de l’ambivalence quant au fait que le conjoint violent pourrait purger une peine de prison et une grande culpabilité d’en être rendue là dans sa relation de couple; la victime vit alors un grand sentiment d’échec.

Malgré toutes ces difficultés, des femmes sont fières de dénoncer les actes criminels commis, de témoigner de ce qu’elles ont subi et de faire condamner l’accusé. C’est pour elles un processus de « dévictimisation » et d’affirmation de soi. Certaines disent : « J’ai dénoncé publiquement ce qu’il m’a fait et je n’ai pas à me sentir coupable de ça, au contraire ».

L’utilisation des tribunaux pour dénoncer la violence n’est pas une fin en soi mais s’inscrit dans une démarche qui permet aux femmes une reprise de pouvoir sur leur vie. Le témoignage s’inscrit dans un processus « d’empowerment » qui permet une reconstruction de soi qui dure dans le temps. Une femme victime de violence conjugale ne sort pas indemne de la violence subie mais il lui est possible de se reconstruire. L’utilisation du système en ce sens est un outil important.

Comment faciliter l’expérience du système judiciaire pour une victime de violence conjugale? Le Plan d’action gouvernemental 2012-2017[2] du gouvernement québécois (Plan d’action) réaffirme dans l’un de ses principes directeurs que la violence conjugale est un crime[3]. De plus, l’un des objectifs du Plan d’action est d’encourager les victimes de violence conjugale à demander l’aide des autorités policières et judiciaires.

Les données statistiques de 2013 du Ministère de la Sécurité publique sur la violence conjugale indiquent une baisse de 5,4% des infractions par rapport à 2012 en matière de voies de fait, de menaces et de harcèlement, mais une hausse des tentatives de meurtre de 19,1%, de l’intimidation de 5,6% et des agressions sexuelles de 5,4 %[4].On constate que les crimes plus graves sont en hausse, d’où la nécessité de poursuivre nos efforts afin de mieux soutenir les victimes, souvent plus vulnérables suite à la séparation.

La victime a besoin de plus de reconnaissance dans le système judiciaire. La prise en compte du crime commis lorsqu’il y a une dénonciation démontre que le système la prend au sérieux mais il faut davantage. Les victimes se plaignent du manque d’information et, comme le souligne Wenners, « le cœur du problème n’est pas l’octroi de droits à l’accusé, mais l’absence de reconnaissance des victimes dans le droit pénal »[5].

L’amélioration du sort des victimes passe par une place plus grande accordée à leurs besoins dans le système de justice criminelle et par un meilleur accompagnement tout au long du processus. Il devrait, comme le souligne Wenners, « être prévu que l’État soit obligé de tenir les victimes informées de ses décisions quant au procès et il devrait être obligé d’informer les victimes de la sentence qu’il souhaite proposer à la cour ou à la défense. Si des obligations positives précises sont prévues dans le Code criminel, les procureurs du ministère public seront explicitement tenus de respecter les droits des victimes »[6].

On peut ajouter l’obligation d’utiliser davantage les dispositions du Code criminel, à savoir la présentation de la déclaration de la victime lors de la détermination de la sentence, la prise en compte de la sécurité de la victime à l’audience pour la mise en liberté sous caution et les moyens destinés à faciliter le témoignage de la victime.

 

Seconde position : La justice transformatrice, malgré sa complexité, est plus à même d’améliorer la situation des femmes.

La justice transformatrice en bref

À la base, la justice transformatrice s’est imposée comme une réponse aux critiques portant sur les systèmes mis en place par l’État dans le but de gérer les cas de violence sexuelle et interpersonnelle dans les communautés marginalisées. Ces critiques se centraient alors sur trois points : la nature violente de l’État moderne, la lutte des classes dans l’histoire actuelle des États-Unis et l’échec de l’État dans ses tentatives d’intervention face à la violence et dans sa prévention[7].

La justice transformatrice constitue une réponse aux lacunes du système de justice, qui ne parvient pas à stopper le cycle de la violence. Ce modèle utilise une approche de libération qui cherche d’abord la protection et la redevabilité, sans appuyer son intervention sur des méthodes favorisant l’aliénation, la punition et la violence systémique de l’État[8]. Elle refuse de faire appel à un système opprimant, le plus souvent utilisé envers les plus vulnérables de la société, qui mise sur la punition et non sur la guérison collective. En renforçant les lois qui permettent de conserver le statu quo, le système, qui protège la classe dominante, blanche et hétérosexuelle, use de violence légale pour répondre à celle qu’il prétend combattre pour le bien de tous et de toutes[9]. Il y a donc, dans la justice transformatrice, cette négation de toute forme de violence, qu’elle soit interpersonnelle ou étatique, qu’elle soit le fruit d’une agression sexuelle, de la brutalité policière ou même de l’hétéro-sexisme institutionnalisé.

La justice transformatrice remet en question l’opposition binaire entre agresseur et personne survivante[10]. En effet, la dichotomie ainsi présentée porte à croire que les protagonistes sont composés d’une bonne et d’une mauvaise personne, alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Il y a en effet une myriade de systèmes d’oppression et de facteurs qui entrent en jeu lorsque survient une situation de violence.

 

Le rôle des femmes dans la justice transformatrice : une perspective de changement social

Confronté aux cas d’agression sexuelle, le système de justice échoue à protéger les survivantes qui font appel à lui. D’ailleurs, les statistiques canadiennes démontrent qu’entre 1994 et 2006, seulement 27% des agresseurs sexuels ont été condamnés, ce qui signifie que plus de 73% s’en sont sortis indemnes[11]. Pour déclarer un agresseur coupable, ce système exige des preuves. Or, s’il n’y a pas de traces physiques, ni de témoin, si la parole d’une femme faisant partie du groupe dominé se confronte à celle d’un homme faisant partie du groupe dominant, si cette femme ne correspond pas à l’image que l’on peut avoir d’une « bonne » victime, quelles sont ses chances de trouver refuge, compréhension et justice à l’intérieur d’un tel système ? En plus de déposséder complètement les personnes survivantes de leur vécu en décidant à leur place de sa légitimité, voire de sa crédibilité, ce système utilise régulièrement la hiérarchisation des agressions sexuelles[12] pour tenter de donner une punition adéquate à la partie adverse qui usera alors de tous les subterfuges possibles afin de discréditer celui ou celle qui l’accuse.

De plus, l’idée selon laquelle l’agresseur serait « innocent jusqu’à preuve du contraire » ne tient pas la route. Selon un rapport intitulé Sexual Assault and the Law in Canada, publié par l’Université d’Alberta, sur un total de 6 % d’agressions sexuelles dénoncées, il y aurait un taux de fausses accusations allant de 2 à 4 %, signifiant alors que 96 à 98 % de ces dénonciations sont bien réelles[13]. Plus encore, cette doctrine qui tend à mettre le fardeau de la preuve sur le dos de la survivante en soumettant tous les aspects de sa « crédibilité » à un test s’inscrit dans une culture du viol[14] bien implantée. En mettant la survivante au centre de l’intervention, la justice transformatrice crée un espace sécuritaire à l’intérieur duquel la survivante n’a plus à se justifier : elle est crue, tout simplement.

Comment faire face à la résistance de l’agresseur et l’amener à admettre ses torts sans qu’il ne dédramatise, minimise la portée ou amoindrisse les conséquences de ses actions? Il existe plusieurs écoles de pensée sur ce sujet. Certaines proposeront d’utiliser les témoignages sur Facebook afin de menacer sa réputation et de compter sur la pression des pairs pour le contraindre à entrer dans le processus. D’autres considèrent suffisant et plus humain de confronter l’agresseur sans le brusquer pour l’amener à participer au processus de son plein gré. Dans tous les cas, la bonne volonté de l’agresseur et un bon réseau de soutien pour l’épauler dans sa transformation sont des éléments clés de la réussite de la justice transformatrice. En effet, cette justice ne cherche pas à punir, mais à transformer radicalement tous les acteurs et toutes les actrices impliqués, tant la survivante et la communauté que l’agresseur.

Lorsque la justice transformatrice s’adresse aux personnes survivantes d’agression sexuelle, son but premier est d’assurer leur sécurité immédiate tout en les accompagnant vers une guérison à long terme. Parallèlement, il est nécessaire de tenir l’agresseur responsable de ses actes par l’entremise de la communauté, et ce, au sein même de celle-ci. Cette responsabilité implique de cesser tout comportement violent, de s’engager à ne plus en faire usage et d’offrir de réparer les torts infligés. Au-delà de la relation entre l’agresseur et la ou les personnes survivantes, la justice transformatrice cherchera à transformer les rapports de domination et les injustices présentes dans la communauté dans le but de développer sa capacité à combattre les systèmes d’oppression. Cette communauté pourra ensuite faire face aux injustices à l’échelle de la société et agir directement contre elles.

Comment fonctionne la justice transformatriceLe fonctionnement de la justice transformatrice dépend bien sûr de la communauté et des personnes s’y impliquant. Elle comporte généralement ces six étapes :

1.   Création d’un comité de soutien non mixte pour la ou les survivantes

Préalablement, les membres de la communauté doivent être sensibilisés aux rouages de la justice transformatrice. Il faut d’abord que la ou les survivantes aient la volonté de parler de l’agression à une personne de confiance. Cette dernière, avec l’accord de la ou des survivantes, fera appel à des camarades intéressées pour créer avec elles un comité de soutien non mixte.

2.      Mise sur pied d’un comité de redevabilité

Ce comité aura la responsabilité de faire le lien entre l’agresseur et le comité de soutien, en confrontant l’agresseur et en s’assurant que celui-ci réponde aux attentes des survivantes et de la communauté.

3.      Précision des rôles et responsabilités de chacun des comités

La ou les survivantes ont droit de véto sur toute décision prise par les comités, mais elles ne peuvent pas imposer leur volonté.

4.      Mise sur pied d’un plan de justice transformatrice

5.      Confrontation ou dénonciation de l’agresseur

Cette étape est cruciale afin de s’assurer que l’agresseur ne puisse pas nier les évènements. La mise en application de cette confrontation ou dénonciation est laissée à la discrétion de la ou des survivantes. Certaines préfèreront qu’il y ait dénonciation publique immédiatement, d’autres préfèreront le faire plus tard au cours du processus, ou encore choisiront de dénoncer l’agresseur anonymement. Une dénonciation publique ne doit jamais être faite à l’insu de la ou des survivantes.

6.   Mise sur pied d’un comité responsable du lien avec la communauté

Il peut s’agir de publier des comptes rendus de la progression du processus sur un blogue, d’offrir des formations sur le consentement ou d’organiser des groupes de discussion avec les personnes entourant l’agresseur, afin qu’elles puissent poser leurs questions et exprimer leurs malaises, etc.

 

En conclusion : les défis de l’accès à une réelle justice

La prise en charge de la justice par l’État est un élément essentiel du bon fonctionnement de nos sociétés hétérogènes. En démocratie, octroyer le « monopole de la violence » à l’État vise à éviter les dérives d’une justice transformée en vindicte populaire où, bien souvent, les plus forts finissent par imposer leurs droits aux plus faibles. Par contre, nous devons constater que donner le monopole de la violence à l’État ne garantit pas une justice neutre, à l’abri des rapports de force qui traversent nos sociétés. Plus spécifiquement, cette justice s’est développée dans un cadre où l’égalité entre les sexes n’a jamais été, jusqu’à très récemment, réellement reconnue. Il en a résulté un système où les acteurs en présence n’ont pas pu bénéficier d’un traitement équitable. D’un côté, des hommes agresseurs ont, trop souvent, pu agir en toute impunité, de l’autre, des femmes agressées ont vu leur plainte rejetée sous le prétexte fallacieux qu’elles étaient les premières responsables de leur agression.

Comme nous l’avons vu, le système judiciaire peine à donner plus de place aux victimes et traite la violence sexuelle comme une affaire entre un agresseur et un procureur. Même si le désir de protéger les droits d’une personne accusée contre un système que l’on sait imparfait est louable, il est primordial de reconnaître le caractère particulier de la violence sexuelle, ce que semble faire de façon plus efficace la justice transformatrice. D’ailleurs, l’une des grandes forces de la justice transformatrice nous semble justement ce parti pris pour les victimes. Par contre, doit-on sacrifier le droit à la présomption d’innocence au profit d’un système où l’on fait l’économie du procès pour réfléchir d’emblée à la peine :

De plus, la justice transformatrice repose une structure communautaire que l’on ne retrouve pas réellement dans nos milieux fortement urbanisés et éclatés. Malgré ses failles, le système judiciaire demeure un moyen relativement sûr afin d’obtenir une peine pour les agresseurs et, éventuellement, une chance de tourner la page pour les victimes,

Peu importe le modèle, une constante demeure : il est essentiel de redonner leur voix aux femmes. Il est grand temps de réfléchir à un modèle qui permettrait aux femmes de se sentir réellement soutenues dans leurs démarches et crues lorsqu’elles dénoncent leurs agresseurs. Il nous faut un système qui protège les droits des accusés sans négliger les victimes et qui reconnaît d’emblée ses racines sexistes, un système humaniste et efficace. Admettons-le, il n’y aura pas de solution miracle…

 

Bibliographie

[1]. Nous employons le terme victime car il réfère au statut de victime tel qu’édicté par le Code criminel. En matière d’agression sexuelle, le droit a longtemps nié leur statut de victime aux femmes en les accusant d’être responsables de leur agression. L’accession au statut de victime constitue donc une grande victoire, malheureusement dépréciée.

[2]. Prévenir Dépister Contrer, Plan d’Action gouvernemental 2012-2017 en matière de violence conjugale. Gouvernement du Québec, http://www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/SCF_plan_action_violence_conjugale.pdf

[3]. Noter que la violence conjugale n’est pas une infraction au Code criminel, mais que les infractions définies au Code criminel s’appliquent en matière de violence conjugale, par exemple les voies de fait, les menaces, etc.

[4]. Sécurité Publique Québec, Statistiques 2013 sur la criminalité commise dans un contexte conjugal au Québec, publication 2015

[5]. Wenners Jo-Anne, professeure titulaire, école de criminologie, Université de Montréal, publié dans la revue de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec, vol 26 no 2-2014, www.asrsq.ca.

[6]. Ibid.

[7]. Transformative Justice | Generation Five. (2014). from http://www.generationfive.org/the-issue/transformative-justice/

[8]. Ibid.

[9]. Bassichis, M. (2011). Reclaiming Queer and Trans Safety The Revolution Starts at Home (p. 5-23): South End Press.

[10]. L’emploi du mot « survivante » vise à redonner à la personne ayant subi l’agression son agentivité, en misant sur sa force intérieure et son courage. La survivante fait beaucoup plus que subir son agression. Le simple fait de vivre avec le traumatisme et de traverser l’épreuve en tentant de retrouver l’équilibre et le bonheur témoigne de son pouvoir d’agir.

[11]. JOHNSON, H. «Limits of a Criminal Justice Response: Trends in Police and Court Processing of Sexual Assault » » dans SHEEHY, E. (éd.). Sexual Assault in Canada: Law, Legal Practice, and Women’s Activism, Presses de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 2012. p. 632

[12]. Voir les articles 271 et suivants du Code criminel. On remarquera une gradation dans la gravité de l’agression selon certaines caractéristiques : agression avec ou sans armes, avec ou sans blessures physiques, etc.

[13]. http://www.wavaw.ca/mythbusting/rape-myths/

[14]. La culture du viol fait référence aux pratiques et aux attitudes intériorisées menant à la tolérer, la dédramatiser, l’approuver et excuser le viol.

 

Retour à la table des matières