Haine et panique morale au croisement de la transphobie et de la domination adulte. – Les causes du ressac  2/3

S’il y a eu des avancées notables pour les droits des personnes trans et non binaires au Québec et au Canada, des reculs importants se font maintenant sentir tout comme des démonstrations de haine. Dans cette série de trois carnets, nous aborderons les enjeux entourant les droits des personnes trans et non binaires.

Aux personnes 2ELGBTQIA+, particulièrement les jeunes : vous êtes aimé-e-s, valides et magnifiques

Les causes du ressac

Le deuxième carnet d’une série de trois, rédigés par Maël Maréchal, écrivain-e, personne enseignante et travailleureuse communautaire de Montréal

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


Depuis septembre 2023, on entretient une panique morale, et médiatique par rapport aux personnes trans et non binaire, panique qui est alimentée par une montée de l’intolérance aux États-Unis qui s’est manifestée par le passage de 435 lois anti-trans en 2023, mais aussi par la désinformation propagée par divers mouvements réactionnaires radicalisés depuis qu’ils se sont opposés aux mesures sanitaires et aux vaccins. En plus des personnes conservatrices religieuses, on trouve aussi des complotistes parmi les opposant-e-s aux heures de lecture de conte drag, à l’éducation sexuelle et de genre à l’école et à l’usage des néopronoms.

Le ressac est aussi alimenté par de vieilles inquiétudes de la droite qu’on fait renaître de leurs cendres. Dans les années 1980, on s’inquiétait des gais et lesbiennes et de leur influence possible sur les enfants. Aujourd’hui, on a seulement changé d’épouvantail : ce sont les personnes trans dont on s’inquiète. Il faut dire aussi que ce ressac s’ancre assurément aussi dans la peur tenace de la contagion associée aux personnes 2ELGBTQIA+ depuis l’arrivée du SIDA. Le ressac est aussi dû à la popularité grandissante du concept pourtant infondé et problématique du Rapid-Onset Gender Dysphoria (ROGD) de Lisa Littman qui associe la hausse des personnes s’identifiant comme trans à une contagion sociale, ce qui a notamment été déconstruit par la juriste et bioéthicienne Florence Asley[1]. L’impact qu’ont les TERFs (des féministes radicales discriminant les personnes trans), dont l’autrice d’Harry Potter qui dispose d’un auditoire très large, n’est pas négligeable non plus, particulièrement en Angleterre où le rapport Cass, une étude sur les pratiques médicales auprès des jeunes trans, qui vient d’être soumise le 9 avril 2024 au gouvernement britannique, discrédite les recherches trans affirmatives, préconise le rejet de l’autonomie corporelle des personnes trans jusqu’à 25 ans ainsi que celles neurodivergentes et recommande de sévères limitations médicales à la transition sociale.

Ce ressac se fait aussi malheureusement sentir dans le manque de rigueur journalistique qu’on retrouve au Québec. Le reportage d’Enquête intitulé « Trans Express » en est un exemple frappant. Il s’agit d’une production clairement tendancieuse. Contrairement à ce qu’on y affirme, des standards sociaux et méthodes médicales existent afin de conseiller les personnes trans dans leur parcours. Elles sont émises par le World Professional Association for Transgender Health (WPATH) et sont suivies notamment par le GRS Montréal où sont pratiquées des chirurgies d’affirmation du genre, l’association professionnelle canadienne pour la santé transgenre/Canadian Professional Association for Transgender Health (APCST/CPATH) et l’European Professional Association for Transgender Health (EPATH). Dans ce reportage, on s’est beaucoup indigné de la vitesse à laquelle une personne de 14 ans, une comédienne embauchée par Radio-Canada, a réussi à obtenir des hormones. À mon sens, on devrait plutôt s’en réjouir, car cela veut dire qu’on a 1) valorisé l’autodétermination de cette jeune personne sans poser sur elle le regard condescendant de la domination adulte et 2) suivi les données scientifiques de l’approche trans affirmative qui montrent que plus la puberté non désirée s’installe chez une personne trans, plus elle cause des troubles graves sur le mental. D’ailleurs une lettre ouverte rédigée par des spécialistes de l’approche trans affirmative est sortie dans la presse dans la foulée de ce reportage pour remettre les pendules à l’heure et éviter la désinformation[2].

Outre ce reportage, un article récent de Radio-Canada accuse ce même manque de rigueur journalistique. Il couvre la manifestation contre le comité de sage du dimanche 31 mars 2024 en affirmant que la question serait « délicate et ne fait pas l’unanimité ». Il nomme comme preuve le groupe « Ensemble pour protéger nos enfants », partisan du comité de sage du gouvernement Legault. Lorsqu’on va voir sur leur site Web — en construction —, on constate qu’il milite pour « l’intérêt supérieur de l’enfant » et propose une pétition en six points dont le cinquième prétend qu’ils ne sont ni fascistes ni complotistes. Pourtant, un tour rapide de cinq minutes dans leur galerie montre le contraire. On y relaie des photographies de manifestant-e-s de différents pays tenant des pancartes sur lesquelles on peut lire « Stop corrupting the mind of children », « My child, my choice », « Math, not masturbation » et « Let kids be kids » et notamment une image signée «  Fascist Solutions » sur laquelle on semble encenser les statistiques de taux de suicide chez les personnes 2ELGBTQIA+.

La question, qui en est une de droits humains et de droits des enfants[3], n’est pas délicate du tout. Accorder du crédit aux discriminations entretenues par un groupe en les faisant passer pour des opinions est des errements dangereux qui a des influences néfastes et bien réelles (insultes, discriminations à l’emploi, au logement, aux soins de santé, perte du milieu familial et amical) sur les personnes concernées qui méritent de vivre sans entendre quotidiennement que leur existence doit être débattue dans l’espace public ou surveillée et prise en charge par des prétendu·es « sages » qui n’ont d’ailleurs aucune expertise sur leur vécu (on se demande aussi ce qui fait leur sagesse et pourquoi on a soudainement besoin de sages au Québec).

C’est comme si on tentait de faire des personnes trans et non binaires des personnes mineures, qu’on tentait de les prendre en charge pour leur propre bien… tiens-donc. Toute cette panique morale, entretenue notamment par des politicien-ne-s opportunistes pour faire avancer leur agenda conservateur et des chroniqueuses et chroniqueurs peu scrupuleux, renforce malheureusement les croyances infondées de plusieurs personnes de la population. Cela entraîne une croyance erronée que des personnes enseignantes prescrivent des bloqueurs de puberté et des hormones à leurs enfants ou que l’accès à celles-ci soient faciles alors qu’il faut ordinairement attendre des mois afin de consulter un-e médecin habileté-e à en prescrire.

Cela a aussi comme conséquence un effet néfaste sur la santé mentale des personnes trans et non binaires, particulièrement des jeunes, qui est déjà précaire selon plusieurs études et spécialistes[4]. Est-il nécessaire de rappeler que cette précarité ne vient pas du fait qu’elles sont trans et non binaires mais bien parce qu’elles sont constamment marginalisées et méprisées socialement.


Consulter les autres textes

Carnet 1 /3 – Comment s’en sortir?

Carnet 3/3 – Les formes de résistances possibles et actuelles


 

[1] Voir Florence Ashley, 14 mai 2019, « L’approche trans-affirmative est meilleure pour tout le monde: faire le point sur le reportage de Radio-Canada sur la détransition » : https://medium.com/@florence.ashley/lapproche-trans-affirmative-est-meilleure-pour-tout-le-monde-faire-le-point-sur-le-reportage-de-84bd2d2c85ad

[2] Voir Dr Antoine Cloutier-Blais et al., 1 mars 2024, « Un appel au calme » : https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2024-03-01/medecine-transaffirmative/un-appel-au-calme.php

[3]  L’Anthropologue, autrice et chroniqueuse Émilie Nicholas rappelle le grand absent de tout cela dans un texte d’opinion du Devoir publié le 31 mars 2024, « Et le droit des enfants? » Voir : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/797160/chronique-et-le-droit-des-enfants?

[4] Voir par exemple Annie Pullen Sansfaçon et Denise Medico, 2021, Jeunes trans et non binaires. De l’accompagnement à l’affirmation, Montréal, Remue-ménage.