Gaza: une agression contre le droit international

Revue Droits et libertés, Vol. 33, numéro 2, automne 2014

 

Lorraine Guay, membre de la Coalition BDS-Québec

 

Un été meurtrier …

Un autre été meurtrier pour le peuple palestinien de Gaza! Un autre massacre par l’armée israélienne comme si le gouvernement Netanyahou rejouait le même scénario de son même mauvais film. « Plomb durci » en 2009, « Piliers de défense » en 2012 et « Bordure protectrice » en 2014 constituent toutes des agressions planifiées de longue date, quels qu’en soient les prétextes. Elles produisent toutes les mêmes effets : des milliers de civils innocents morts, femmes et enfants, et des dizaines de milliers de blessés, très massivement du côté des Palestinien-ne-s avec un prix très fort payé par les enfants, et la destruction à large échelle d’infrastructures essentielles (hôpitaux, écoles, eau, électricité, routes, etc.) à toute vie en société. On est en droit de parler ici d’un véritable « sociocide »[1].

Des mobilisations en continu…

Ces gestes abominables ont soulevé la colère de bien des Québécoises et Québécois, une colère qui s’est rapidement transformée en gestes de solidarité comme partout ailleurs dans le monde. Les manifestations et protestations à Montréal et en régions se sont multipliées dès le début des assauts israéliens en juillet : une trentaine de manifestations, certaines quotidiennes, certaines hebdomadaires, de jour et même de nuit dont plusieurs devant le consulat israélien; des présentations de films et des ateliers d’éducation populaire sur la campagne BDS; des prises de positions d’intellectuel-le-s et des articles dans les médias; un « die in » contre la position « mollassonne » du NPD suivi de gestes de rupture qui ont provoqué des débats houleux au sein du parti; une importante manifestation unitaire qui a mobilisé près de 10 000 personnes en plein été; un spectacle Musique pour Gaza, sans compter les innombrables « petits » gestes personnels de protestation et la turbulente indignation sur les réseaux sociaux.

Ces actions n’ont cessé qu’à la mi-août avec l’annonce d’un « cessez-le-feu permanent » qui n’a de permanent que l’apparence. Et cela a suffi : la clameur s’est tue, les actions ont cessé comme à chaque fois. Mais la solidarité avec le peuple palestinien ne peut se réduire à une réaction solidaire instantanée –aussi nécessaire soit-elle – et qui se manifeste de crise en crise : elle exige un travail à long terme, une solidarité qui s’installe dans la durée, car rien n’est réglé.

Rien n’est réglé!

Si par « réglé » en effet on pense à une fin définitive de ce conflit, on se trompe lourdement! Tout au plus, y a-t-il eu quelques allègements du blocus de Gaza pour y faire entrer l’aide humanitaire et, sous haute surveillance de l’ONU, des matériaux pour la reconstruction de même qu’une extension de la zone de pêche gazouie. Le blocus est maintenu. L’occupation est renforcée. Aucun respect du droit de retour des réfugiés. La colonisation se poursuit de plus belle : dès la fin des hostilités, Israël a même annoncé l’annexion de 400 hectares de terres palestiniennes en Cisjordanie. Les milliers de prisonniers politiques palestiniens croupissent toujours dans les prisons israéliennes. Les bulldozers israéliens continuent de détruire les maisons des palestinien-ne-s et de déraciner leurs oliviers. Le mur de séparation et d’annexion est toujours en place. Le processus de « judaïsation » de Jérusalem-est s’accélère. Les politiques d’apartheid se consolident. Tout cela se maintient en violation constante du droit international et des innombrables résolutions de l’ONU et grâce à la complicité active de la dite « communauté internationale » en particulier de sa composante occidentale, États-Unis et Canada en tête.

Une remise en question systématique du droit international par Israël

Non satisfait de violer en toute impunité les règles en vigueur, Israël a entrepris une attaque en règle contre les principes mêmes du droit international. Selon Jeff Halper [2], l’Opération Bordure protectrice « fait partie d’un assaut continu contre le droit humanitaire international par une équipe coordonnée aux plus hauts niveaux et composée d’avocats, d’officiers militaires, de responsables des communications, de politiciens et dirigée par rien de moins qu’un philosophe en éthique ». Ces experts israéliens s’appliquent en effet à remettre en question un droit international qui serait d’un autre âge et n’aurait plus de pertinence dans le nouveau contexte de la guerre contre le « terrorisme » où le fair play entre combattants n’existe plus.

En voici quelques exemples : le concept de distinction entre « population civile » et « combattants » n’a plus sa raison d’être, chaque village devenant une base militaire chaque fois que des combattants se mêlent à la population; ce faisant, le concept de « proportionnalité » dans l’utilisation de la force ne vaut plus puisqu’il n’y a plus de civils à protéger; Israël est donc légitimé d’appliquer la force maximale de destruction et ne peut pas être poursuivi pour crime de guerre. Les mêmes experts tentent aussi de proposer de nouvelles catégories de combattants soit celles « d’acteurs illégitimes », comme les « terroristes », les « insurgés ou rebelles » et les « acteurs non-étatiques », privant ainsi de leurs droits à la résistance, y compris armée, tous ceux qui s’opposent à la colonisation, l’occupation et l’oppression. Ce « nouveau statut » les empêcherait d’utiliser le droit international contre les États démocratiques tel Israël. Ces « experts » appellent à réévaluer entièrement les fondements du droit international actuel pour l’adapter à la seule vraie question éthique : la lutte contre le terrorisme.

On ne s’étonnera pas que dès son arrivée en poste, le nouvel ambassadeur israélien à Ottawa ait affirmé « que la colonisation n’est pas un obstacle à la paix »[3], remettant du coup en question une des dispositions très importantes du droit international, soit l’article 49 de la IVe Convention de Genève qui interdit la colonisation. La voie avait d’ailleurs été tracée quand Israël a été élu, en juin dernier, avec la bénédiction des pays occidentaux, à la commission de décolonisation de l’ONU! Ce geste parmi tant d’autres contribue à affaiblir l’ONU et à l’écarter encore davantage d’un rôle actif dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Et l’exclusion de l’ONU, depuis déjà des décennies, continue de signifier « à la fois sa marginalisation et la suprématie de la force sur le droit » [4].

Les conditions d’une paix juste

Une paix juste pour le peuple palestinien ne passe pas par des « processus de paix » ni par des « négociations », mais par le respect intégral du droit international : la fin de l’occupation et de la colonisation, le droit de retour des réfugiés palestinien-ne-s, le démantèlement du mur, la fin du blocus de Gaza, la fin des politiques d’apartheid et la libération des prisonniers politiques. Ce sont là des droits fondamentaux non négociables mais qui doivent faire l’objet d’un combat : sans lutte, le droit est impuissant.

Mais qui pourra forcer Israël à respecter ce droit? D’abord le peuple palestinien lui-même qui l’a prouvé courageusement durant les derniers événements de Gaza. Israël, malgré une quincaillerie militaire des plus sophistiquées, s’est heurté encore une fois à une farouche résistance de ce peuple qui « refuse de disparaître »[5]. Et devant la faillite lamentable de leurs États et des classes politiques dirigeantes à prendre leurs responsabilités, il appartient aux sociétés civiles, dont celle du Québec, de se mobiliser pour obtenir l’application de ce droit. Dans ce contexte, la mobilisation plus spécifique des juristes peut jouer un rôle majeur. Enfin parmi les moyens pour y parvenir, une solide campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions s’impose comme à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud. C’est d’ailleurs Mgr Tutu qui a appelé cet été à un boycott mondial d’Israël en lançant le plaidoyer suivant pour le peuple d’Israël : « Libérez-vous en libérant la Palestine ».

 

 

INTENSIFIER LA CAMPAGNE
BOYCOTT  DÉSINVESTISSEMENT  SANCTIONS (BDS)
CONTRE ISRAËL

Dans le cadre du Forum social des peuples, tenu à Ottawa en août dernier, l’Assemblée de convergence sur la Palestine, à laquelle ont participé plus de 200 personnes de toutes les régions du Canada, a lancé un appel pressant à faire de la campagne BDS une priorité d’action.

Cette campagne a été initiée par la société civile palestinienne en 2005, un an après le jugement de la Cour internationale de justice exigeant d’Israël le démantèlement du mur de séparation et d’annexion qui enclave la Cisjordanie. Cette campagne est une réponse de résistance pacifique au blocage de toutes les voies politiques. Cette campagne est unitaire et inclusive. Cette campagne ne réclame que la « reconnaissance par Israël du droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et le respect complet des dispositions du droit international en :

  •  mettant fin à l’occupation et à la colonisation de toutes les terres arabes et en démantelant le mur;
  •  reconnaissant le droit fondamental des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une égalité totale;
  • respectant, protégeant et soutenant le droit des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs foyers comme le stipule la résolution 194 de l’ONU ».

Au Québec il existe des initiatives de BDS depuis 2006 : boycott par la CJPP des vins israéliens vendus dans les SAQ; boycott hebdomadaire par PAJU, depuis de nombreuses années, de la librairie Indigo et des chaussures du commerce israélien NAOT; nombreux spectacles Artists against Apartheid de Tadamon de même que leur mobilisation de 500 artistes en appui à BDS; piquetage de la Coalition BDS-Q demandant au Cirque du Soleil de ne pas aller donner de spectacles en Israël; campagne pan-canadienne de boycott de SodaStream…

Outre les groupes de solidarité avec la Palestine, plusieurs organisations ont adhéré à la Coalition BDS-Québec : Ligue des droits et libertés, Fédération des femmes du Québec, CSQ, FNEEQ-CSN, CCMM-CSN, CRFTQ-MM, Revue Relations, Centre Justice et Foi, Entraide missionnaire, ASSÉ, FRAPRU, Québec Solidaire.

Plan d’action de la Coalition BDS-Québec : poursuite du boycott hebdomadaire d’Indigo et de NAOT; mise en place de plusieurs comités de travail et d’action sur le boycott d’autres produits de consommation, de matériel militaire, du Fonds national juif; boycott académique pour demander aux universités québécoises de ne pas entretenir de liens structurels avec les universités israéliennes; boycott culturel demandant au Cirque du Soleil d’annuler ses spectacles en Israël; refus d’investir dans toute compagnie impliquée dans l’occupation et la colonisation qui violent le droit international, surveillance de nos fonds de pensions et fonds de travailleurs; annulation de l’entente de coopération entre Québec et Israël.

ACTIONS DE MOBILISATION LE 8 MARS 2015 dans le cadre de la journée internationale des femmes en solidarité avec les femmes palestiniennes et LE 30 MARS journée palestinienne de la terre et désignée comme journée internationale de BDS 

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[1] L’expression est utilisée par le professeur Saleh Abd al-Jawad, un historien de l’Université de Birzeit rencontré lors du séjour d’une délégation québécoise en Cisjordanie en mai 2009 et dont faisait partie la Ligue des Droits et Libertés. Le sociocide est « un processus conduisant à la destruction d’une collectivité à la fois sur le plan économique, sur le plan des structures sociales et sur celui des institutions (…) avec pour objectif de faire fuir la population, de la repousser hors du territoire en séparant les Palestinien-ne-s les un-e-s des autres et en détruisant l’organisation sociale. »

[2] Jeff Halper est un anthropologue israélien d’origine américaine. Il est le fondateur et directeur du Israeli Committee Against House Demolition. Son article Globalising Gaza. How Israel Undermines International Law Through « Lawfare » est paru dans Counterpunch le 18 août 2014 (voir www.counterpunch.org).

[3] L’ambassadeur d’Israël au Devoir La colonisation n’est pas un obstacle à la paix. Le Devoir 13 août 2014

[4] Michel Warschawski « L’ONU peut-elle sauver la Palestine? ». Extrait de l’ouvrage Droit pour tous ou loi du plus fort. Regards militants sur les Nations Unies. Édition du CETIM. 2005

[5] Rezeq Faraj (2005) Palestine : le refus de disparaître. Éditions de la Pleine lune