Un nouveau protocole sur le travail forcé

Revue Droits et libertés, Vol. 33, numéro 2, automne 2014

 

Louise Dionne, Coordonnatrice
Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale

 

Lors de la 103e Conférence de l’Organisation internationale du travail (OIT), de nouvelles normes internationales visant le travail forcé ont été adoptées. Ces nouvelles normes se veulent un complément à la Convention (no 29) sur le travail forcé[1]. Elles visent les nouvelles tendances issues de « l’économie privée » et des migrations. De plus, ce Protocole est un complément qui renforce d’autres instruments internationaux, dont le Protocole de Palerme sur la traite de personnes[2].

 

L’OIT et le travail forcé

L’OIT dispose de deux Conventions sur le travail forcé: les Conventions (no 29) de 1930 et (no 105) de 1957. La première définit le travail forcé et énonce un certain nombre d’exceptions, notamment le service militaire obligatoire, les obligations civiques, les cas de force majeure, le travail pénitentiaire sous certaines conditions clairement stipulées. La Convention (no 29) définit le travail forcé par « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré » (art. 2.1). La Convention (no 105) sur l’abolition du travail forcé, de 1957, vise expressément l’abolition du travail forcé ou obligatoire, lors de la mobilisation et l’utilisation obligatoire de la main-d’œuvre par l’État à des fins de développement économique, et le travail forcé comme moyen de coercition politique, comme punition pour des infractions à la discipline du travail ou pour avoir participé à des grèves.

En 2012, l’OIT publiait un rapport sur l’état du travail forcé. Il y estimait à 21 millions, le nombre de personnes soumises au travail forcé dans le monde et 90 % provient du secteur privé. Les profits illégaux issus de cette exploitation seraient de 150 milliards de dollars. Les formes les plus connues sont l’exploitation dans le travail domestique, la construction, l’agriculture et l’exploitation minière; et le travail forcé dans les prisons. Un grand nombre de victimes travaillent de longues heures dans des conditions dangereuses pour peu ou pas de salaire, sont confrontées à la violence psychologique, physique ou sexuelle et ne sont pas libres de partir en raison de confinement, de servitude pour dettes, de menaces ou de représailles[3].

 

Le Protocole

Ce nouveau Protocole a été adopté à la majorité par les délégués (gouvernements, travailleurs et employeurs): 437 ont voté pour, 8 ont voté contre et 27 se sont abstenus. La Thaïlande est le seul État qui se soit opposé au texte. Ce sont surtout des employeurs qui ont voté contre, ces derniers provenant, entre autres, d’Arabie saoudite, du Bahreïn, de la Malaisie et de la Slovénie. Parmi les abstentions se trouvent tous les pays du Golfe.

Le Protocole impose aux États l’élaboration, en coordination avec les organisations d’employeurs et de travailleuses et de travailleurs, d’une politique nationale et d’un plan d’action national visant la suppression du travail forcé (article 1). Le protocole impose aussi la mise en place de mesures pour identifier, libérer et protéger les victimes de travail forcé et pour permettre leur rétablissement et leur réadaptation (article 2). Les États sont tenus d’assurer l’accès de toutes les victimes à des mécanismes de recours, dont l’indemnisation, et de prévoir que les autorités compétentes ne sont pas tenues d’engager des poursuites à l’encontre de victimes pour des activités illicites qu’elles auraient été contraintes de mener (article 4).

 

Mesures complémentaires

Les membres ont aussi adopté la Recommandation sur des mesures complémentaires en vue de la suppression effective du travail forcé[4]. Ces mesures, non contraignantes, concernent la collecte de données fiables, la lutte contre le travail des enfants[5], la prestation des garanties élémentaires de sécurité sociale, l’élimination de l’imposition de frais de recrutement pour les travailleuses et les travailleurs et la coopération au niveau international pour répondre à l’usage du travail forcé par les diplomates. Une autre mesure concerne l’octroi d’une période de réflexion et de récupération afin que les victimes migrantes puissent rester temporairement dans le pays où elles se trouvent avant de décider de prendre des mesures de protection ou de faire appel à la justice. Le texte de la Recommandation précise aussi que les personnes morales (entreprises) « peuvent être tenues responsables de la violation de l’interdiction de recourir au travail forcé ou obligatoire », et devraient être soumises à des sanctions telles que la confiscation des profits tirés de tel travail, ou d’autres actifs.

 

Un nouvel instrument à évaluer

Plusieurs organisations, parties prenantes au processus, espèrent que les États ratifieront rapidement le Protocole car cela envoie un signal clair sur l’engagement politique à lutter contre le travail forcé. D’autant plus que celui-ci vise le rôle du secteur privé dans la croissance du travail forcé. Il est toutefois déplorable que les mesures importantes visant les entreprises soient non contraignantes pour les États qui sont invités à appuyer les efforts des entreprises. Il aurait été plus utile que les États puissent exiger que les entreprises prennent des mesures pour agir contre le travail forcé. Enfin, la protection des victimes est, sans contredit, le maillon faible du Protocole qui n’impose aucunement l’obligation d’indemniser les victimes, bien que le Protocole en souligne l’importance.

Ce protocole constitue un deuxième instrument de l’OIT qui reconnait les besoins de protection spécifiques aux travailleuses et travailleurs migrants. En 2011, la Convention sur le travail domestique offrait des droits aux travailleuses domestiques. Toutefois, le Canada n’a toujours pas ratifié cette convention, de même que la Convention de l’ONU sur les travailleurs migrants et de leur famille. D’ailleurs, le Canada n’a ratifié la Convention (no 29) que récemment, soit en 2011. Il avait toutefois adhéré en 1959 à la Convention (no 105) et au Protocole de Palerme en 2002, soit peu de temps après son entrée en vigueur.

Une analyse plus approfondie de ce Protocole reste à faire. Il faudra examiner comment ce nouvel instrument international assurera une meilleure protection pour les groupes marginalisés, entre autres, les personnes migrantes. Au Canada, sera-t-il utile à celles et ceux qui sont inscrits aux programmes de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires? Ce sont les provinces et les territoires qui assument principalement la responsabilité de faire appliquer les normes du travail; par conséquent, de lutter contre le travail forcé. Il faudra explorer comment le Protocole sera utile pour amener le gouvernement du Québec à encadrer certains aspects qui portent atteinte aux droits des travailleuses et travailleurs étrangers et les rendent vulnérables à l’exploitation.

 



[1]              P029 – Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 : http://ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO:12100:P12100_INSTRUMENT_ID:3174672:NO

[2]              Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

[3]              Estimation du travail forcé dans le monde (2012) – http://ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_norm/—declaration/documents/publication/wcms_182009.pdf

[5] Bien que la Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants de 1999 couvre le travail des enfants, la Recommandation propose des mesures complémentaires pour que « les besoins particuliers et l’intérêt supérieur de l’enfant » soit pris en compte dans les cas d’enfants victimes de travail forcé.