Retour à la table des matières
Lucie Lamarche, membre du C.A.
Ligue des droits et libertés
Le 4 mars dernier, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a adopté ses Observations concernant le respect et la mise en œuvre par le Canada, les provinces et les territoires du Pacte international relatif aux droits du même nom [PIDESC][1]. C’était la sixième édition d’un tel examen, toujours précédé du dépôt par l’État partie au PIDESC d’un rapport de mise en œuvre périodique[2]. Les précédentes Observations avaient été rendues publiques en 2006[3]. Ceci n’est pas anodin, compte tenu du fait que la décennie conservatrice au Canada a débuté cette même année. Et c’est d’autant moins anodin que c’est le nouveau gouvernement libéral qui a défendu en mars dernier le rapport produit par le gouvernement conservateur devant le Comité des DESC. Depuis le 4 mars dernier, le gouvernement du Québec et le gouvernement libéral fédéral ont produit leur budget. On ne peut escamoter le fait qu’alors que le gouvernement fédéral affiche un certain renouveau social à l’échelle du Canada, celui du Québec maintient le cap de la rigueur budgétaire.
Autre fait marquant, les Nations Unies ont adopté en 2008 le Protocole optionnel au PIDESC, lequel prévoit un recours individuel devant le Comité des DESC dans l’éventualité d’une violation du traité pour laquelle la ou les victimes auraient épuisé les recours internes. Le Canada n’a pas ratifié ce Protocole qui, fait intéressant, prévoit à l’article 8(4) que, dans l’éventualité d’une communication (ou d’une plainte), le Comité appréciera le caractère raisonnable de la politique nationale mise en cause. Cette appréciation vise à vérifier si, d’une part, l’État en cause a veillé à adopter des politiques les moins attentatoires et discriminatoires possible aux droits sociaux et économiques garantis par le traité et si, d’autre part, ces politiques n’équivalent pas à une régression dans la réalisation des droits ainsi garantis. Sans doute ce « nouveau » test a-t-il influencé l’examen récent par le Comité du Rapport du Canada, bien que celui-ci n’ait pas ratifié ce Protocole.
Plus que jamais précédemment, le Comité des DESC a bénéficié de l’expertise de la société civile canadienne. Ainsi, une cinquantaine d’organisations ont soumis à l’attention du Comité des observations écrites concernant l’état de réalisation des droits économiques et sociaux au Canada. Ce fait illustre l’importance qu’on accorde au Canada et au Québec au PIDESC. Inutile de préciser que, considérant la période concernée (2006-2016), ces rapports étaient alarmistes.
Mais qu’en est-il des résultats de cet examen par le Comité des DESC de la situation canadienne?
En mars dernier, le nouveau gouvernement canadien avait déjà rétabli certaines politiques abolies ou refusées par le précédent gouvernement conservateur, dont le Programme fédéral des soins de santé réservé aux personnes en attente de statut de protection et la création d’une commission d’enquête sur la situation des femmes autochtones disparues et assassinées. C’est donc à juste titre que le Comité des Nations Unies a souligné ces points positifs.
Rapidement toutefois, le Comité passe aux sujets de préoccupation : la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et le défaut de ratification par le Canada de la Convention no 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux; l’accès à des services sociaux équitables pour les enfants autochtones; le droit des femmes à l’égalité (équité salariale; accès à des services de garde de qualité; les femmes en situation de handicap et accès au travail); le chômage des populations marginalisées et vulnérables; le droit des travailleuses et travailleurs migrants à des conditions de travail justes et raisonnables; l’absence d’une politique nationale du logement; les violences faites aux femmes et particulièrement aux femmes issues des communautés racisées et pauvres; et, évidemment, la lutte contre la pauvreté.
Fait nouveau, le Comité s’inquiète de l’impact des changements climatiques de même que de celui des faiblesses des mécanismes d’analyse d’impacts environnementaux des projets énergétiques sur les populations autochtones et sur la population canadienne en général.
Il appartiendra à la société civile d’évaluer l’impact des récents budgets fédéral et québécois sur ces violations identifiées des droits économiques et sociaux. Car cette liste de préoccupations revêt à plusieurs égards des allures de déjà vu ou de déjà entendu.
Il nous semble toutefois que ces récentes Observations se distinguent des précédentes au moins à trois égards. D’abord, le Comité des Nations Unies insiste plus que jamais sur l’exigence de garantir la justiciabilité des droits économiques et sociaux au Canada. Cela exige une interprétation cohérente de la Charte canadienne et, dans le cas du Québec, des amendements à la Charte québécoise. En effet, les droits économiques et sociaux garantis par celle-ci n’ont pas préséance sur les lois ordinaires et ce, malgré les recommandations énoncées dans le Bilan des 25 années de la Charte québécoise et adoptées par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en 2003. En d’autres mots, le Comité souhaite que les Canadien-ne-s aient le droit d’exercer leurs droits sans être refoulés par les tribunaux, faute, entre autres, de textes clairs. Notons, à cet égard, la toute récente réactivation du Programme canadien de contestation judiciaire. Au Québec cependant, point de trace d’une semblable initiative.
Dans un second temps, on note que les Observations adoptées en mars dernier par le Comité des DESC insistent sur l’incorporation des exigences du PIDESC dans l’action administrative de l’État : les ententes fédérale-provinciales de transferts de paiement et les stratégies (potentielles) de logement et d’alimentation, par exemple. De plus, le Comité encourage le développement d’indicateurs de réalisation des droits économiques et sociaux dans les politiques publiques.
Enfin, le Comité précise au paragraphe 10 des Observations adoptées en mars 2016 la portée de l’article 2(1) du PIDESC qui prévoit l’obligation de l’État d’allouer le maximum des ressources disponibles à la réalisation des droits économiques et sociaux. Alors qu’au paragraphe 44 des Observations adoptées en 2006[4], le Comité faisait en général allusion à ces obligations en précisant qu’elles doivent avoir un caractère « délibéré et concret » ayant pour objectif prioritaire la réduction des inégalités économiques, il précise sa pensée en 2016. Le paragraphe 10 des Observations récemment adoptées fait expressément référence à l’enjeu des politiques fiscales en précisant que celles-ci doivent revêtir un souci d’équité au bénéfice des plus démunis tout en favorisant une politique fiscale plus performante de perception des taxes et impôts. À titre d’exemple, le retour dans le budget fédéral de 2016 de l’Allocation canadienne pour les enfants[5] pourrait se qualifier au titre de telles politiques.
En résumé, le raffinement des analyses et des recommandations du Comité des DESC confirme celles des organisations de la société civile au Canada et au Québec. La réalisation progressive des droits économiques et sociaux est tout autant affaire de substance (combattre la pauvreté, par exemple) que de procédure (intégrer des modèles d’analyse d’impact sur ces droits de toutes les décisions administratives et politiques afin de contrôler les régressions et de promouvoir la réalisation et le respect de ceux-ci). Certes, il faut pouvoir exercer ses droits. Mais cela ne suffit pas, car l’État a l’obligation positive de veiller au respect de ceux-ci.
Comme c’est le cas pour chacune des éditions des Observations finales adoptées par le Comité des DESC, on se demandera légitimement à quoi sert cet exercice. Les réponses abondent. Commençons par la plus évidente : ces Observations sont un outil dans le coffre à outils du mouvement communautaire qui milite en faveur du respect de tous les droits humains. En effet, le cadre de référence des droits humains s’avère être le meilleur outil d’analyse des politiques publiques. Il est à la fois le plus politique et le moins politisé. Il comporte une part importante d’objectivité sans pour autant dicter la manière par laquelle les droits économiques et sociaux doivent être mis en œuvre sur les plans local et national.
Ensuite, ces Observations servent de diagnostic global de référence à un point donné dans le temps. Hélas, les gouvernements ne sont pas enclins à mener un tel exercice par eux-mêmes.
De plus, les Observations adoptées par les organes de traités des Nations Unies sont disponibles aux plaideurs. En effet, le Comité des DESC n’a pas hésité à souligner encore cette fois-ci qu’il faut au Canada accroître la sensibilité des juges et des décideurs administratifs au fait que ces droits sont de vrais droits et qu’ils sont de la compétence du judiciaire.
Enfin, les Observations finales adoptées par le Comité des DESC proposent des méthodologies et des outils de mesure de leur réalisation susceptibles d’insuffler dans le champ des sciences sociales un but commun et universellement reconnu, lequel est issu du cadre de référence des droits humains.
Ce n’est donc pas le cynisme (encore des constats de violations de droits !) mais bien la légitimité des luttes pour le respect des droits qu’enrichissent de telles Observations.
Bibliographie
[1] Voir Doc NU E/C.12/CAN/CO/6, version française non disponible.
[2] Voir Doc NU E/C.12/CAN/6, avril 2014.
[3] Voir Doc NU E/C.12/CAN/CO/4 et E/C.12/CAN/CO/5, 22 mai 2006. Voir aussi la réaction de la Ligue des droits et libertés à ces Observations : L’ONU condamne nos gouvernements pour leurs politiques sociales, à eux de répondre maintenant, Automne 2006.
[4] Supra, note 3.
[5] http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201603/25/01-4964758-allocation-canadienne-pour-enfants-la-revolution-de-duclos.php