Un monde sous surveillance

Suite à son élection, le gouvernement Libéral a décidé de mener une consultation publique sur les lois et mesures en vigueur en matière de lutte contre le terrorisme afin de modifier ou abroger certaines dispositions. Si celle-ci a permis de relancer le débat public et la mobilisation autour des mesures antiterroristes et la surveillance, plusieurs éléments du futur projet de loi demeurent problématiques.

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Dominique Peschard, comité sur la surveillance des populations
Ligue des droits et libertés

 

Gouvernement Libéral et sécurité nationale

L’élection d’un gouvernement Libéral a changé sensiblement la donne quant à la tenue d’un débat public sur la question de la sécurité nationale et des mesures anti-terroristes. Conformément à son engagement électoral, le gouvernement tient une consultation publique sur les lois et mesures en vigueur en matière de lutte contre le terrorisme afin de modifier ou abroger certaines dispositions. Cette ouverture, quoique bienvenue, ne doit pas nous laisser nous bercer d’illusions. Le parti Libéral a démontré par les positions adoptées depuis 2001 qu’il donnait préséance à la sécurité nationale sur les droits et libertés : Loi antiterroriste de 2001 (C-36), certificats de sécurité, entente sur la frontière intelligente avec les États-Unis, appui à la reconduction des deux clauses les plus controversées de C-36 (audiences d’investigation et engagement assorti de conditions) sous le gouvernement Harper.

Dans les mois précédant l’élection de 2015, l’opposition libérale a appuyé le projet le projet de loi C-51, tout en promettant de l’amender une fois élu. Le 16 juin 2016, le gouvernement déposait le projet de loi C-22, Loi constituant le comité de parlementaires sur la sécurité nationale. Ce projet de loi est la réponse du gouvernement à la demande d’un mécanisme d’examen des agences impliquées dans le partage de renseignements et la sécurité nationale. Or, C-22 souffre de graves lacunes et un comité de parlementaires est, à lui seul, insuffisant pour examiner le travail des agences.

 

Les consultations

Les consultations sur la sécurité nationale se sont déroulées de septembre à décembre 2016 sans soulever beaucoup d’attention de la part des médias. Elles ont pris plusieurs formes.

Le gouvernement a lancé une consultation en ligne qui s’est terminée le 15 décembre. Le questionnaire de consultation est accompagné d’un livre vert, Notre sécurité, nos droits. Un autre document, de contexte celui-là, présentait les mesures anti-terroristes en vigueur en illustrant leur application à partir de cas hypothétiques choisis sur mesure pour les justifier. Ces documents ouvraient même la porte à un élargissement de la surveillance des communications. Considérant le fait que la non-publication des points de vue exprimés en ligne limite la contribution de ceux-ci au débat public, toutes les organisations mobilisées dans cette consultation demandent au gouvernement de rendre les résultats publics.

Le Comité sur la sécurité publique et nationale a tenu des audiences dans les principales villes du Canada, dont Montréal. Deux panels d’une heure se sont tenus à Montréal : le premier composé de la Ligue des droits et libertés (LDL) et du Congrès maghrébin au Québec; le deuxième, de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) et de l’Association des juristes progressistes (AJP).

La LDL a appelé à revoir l’ensemble des mesures antiterroristes en replaçant les droits et libertés à l’avant plan en matière de sécurité, et avancé qu’un premier pas dans cette direction serait d’abroger C-51 et de mettre en place un véritable mécanisme d’examen des agences.[1] Le Congrès maghrébin a mis en garde contre les dérives de la lutte contre la radicalisation, l’AJP a dénoncé C-51 et la CSILC a exposé pourquoi le projet de loi C-22 était insatisfaisant, mais surtout pourquoi il ne répondait pas au besoin d’un véritable mécanisme de surveillance des agences.[2] Les panels étaient suivis de deux heures pendant lesquelles le public était invité à témoigner. Les personnes qui ont témoigné ont presque unanimement demandé le retrait de C-51. Le Comité sur la sécurité publique et nationale a également entamé des audiences sur la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada qui fait partie de C-51.

Une autre rencontre de deux heures a également permis à une vingtaine d’organisations de défense des libertés civiles de présenter leur point de vue en matière de sécurité nationale aux ministres Goodale et Jody Wilson-Raybould. Les ministres étaient à l’écoute, ont posé plusieurs questions, mais n’ont pris aucun engagement. Le ministre Goodale a cependant laissé entendre qu’il serait trop compliqué d’abroger C-51 et qu’il fallait plutôt voir les modifications qui devraient être apportées à l’ensemble des mesures existantes.

On peut prévoir que ces consultations seront suivies d’un projet de loi en 2017. Tout indique que le gouvernement n’est pas prêt à revoir l’ensemble des mesures anti-terroristes en vigueur, mais seulement à identifier et corriger les plus contestées, comme, par exemple, le pouvoir accordé au SCRS de poser des gestes « illégaux » pour réduire une menace, ou la définition trop vague du crime « de préconiser ou fomenter la perpétration d’infractions de terrorisme en général ». Rappelons que les organisations et les personnes qui se sont mobilisées demandent, au minimum, le retrait de C-51 et un véritable mécanisme d’examen du travail des agences.

Par ailleurs, les documents de consultation indiquent que le gouvernement envisage d’élargir les pouvoirs, déjà hors de contrôle, des forces de l’ordre et des agences canadiennes. Le premier serait la possibilité d’obtenir sans mandat les données sur les abonné-e-s de la part des fournisseurs de service, malgré le fait que la Cour suprême ait établi que ces données relevaient de la protection accordée à la vie privée.[3] Le deuxième serait d’astreindre les fournisseurs de services à préserver les données de communication de tous les abonné-e-s pour une longue période de temps, au cas où la police en aurait besoin, bien que celle-ci puisse déjà obtenir des mandats de sauvegarde pour répondre aux besoins d’une enquête  spécifique. La Cour européenne a déjà statué qu’une telle mesure, en préservant les données de personnes innocentes, violait la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Enfin le gouvernement se fait le porte parole des agences qui ne cessent de se plaindre que l’encryptage nuit à leurs pouvoirs d’enquête. Les agences souhaiteraient imposer l’obligation de décryptage tant aux fournisseurs de services qu’aux usagères et usagers. Or l’affaiblissement de l’encryptage menacerait  la cyber-sécurité et l’obligation qui serait faite à un individu de dévoiler tout le contenu d’un téléphone intelligent ou d’une tablette violerait le droit d’être protégé contre l’auto-incrimination.[4]

La consultation n’a pas été inutile. Elle a permis de faire savoir au gouvernement que nous attendons beaucoup plus que ce qu’il est prêt à faire. Elle a également permis de relancer le débat public et la mobilisation autour des mesures antiterroristes et la surveillance. Surtout, elle prépare le terrain pour la poursuite de la bataille au printemps quand le gouvernement dévoilera ses intentions. Nous vous invitons à lire les mémoires de la LDL et de la CSILC (voir notes en bas de page) et à discuter des enjeux qu’ils soulèvent dans votre entourage et vos organisations.

La CSILC a mis en ligne un outil pour vous aider à répondre aux questions posées dans le document de consultation. Celui-ci est disponible à l’adresse suivante : http://iclmg.ca/fr/enjeux/nos-roponses-a-la-consultation-en-ligne-sur-la-securite-nationale/

 

Pendant ce temps aux États-Unis

Yahoo…

Selon des anciens employés, Yahoo, à la demande du FBI et de la NSA, a secrètement installé un logiciel en mesure d’examiner tous les courriels de ses client-e-s pour trouver des combinaisons de caractères fournis par des responsables du renseignement des États-Unis. Selon certains experts, ce serait la première fois qu’une compagnie accepterait de fouiller l’ensemble du contenu des courriels de ses client-e-s en temps réel[5].

Geofeedia

Une compagnie de Chicago, Geofeedia, a développé un outil qui utilise les messages, photos et vidéos écumés sur Facebook, Twitter et Instagram pour permettre aux forces de l’ordre de surveiller les protestataires. Pour faire son logiciel Geofeedia a utilisé les programmes offerts par ces compagnies à l’intention de tiers pour le développement d’applications. D’après des informations obtenues par l’American Civil Liberties Union (ACLU), 500 agences ont sollicité les services de Geofeedia et les autorités de Baltimore y ont eu recours pour surveiller et contrôler les manifestations violentes après la mort de Freddie Gray. Après la dénonciation de l’ACLU, les compagnies impliquées ont coupé l’accès de Geofeedia à leurs données[6].

Bibliographie

[1]     Remettre les droits humains au centre de nos politiques de sécurité, Mémoire présenté au Comité parlementaire sur la sécurité publique et nationale : https://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/memoire_ldl_comite_securite_publique_nationale_20161028_final.pdf

[2]     15 years of problematic national security and anti-terrorism policies and their consequences: http://iclmg.ca/wp-content/uploads/sites/37/2014/03/Brief-to-SECU-on-National-Security-final.pdf

[3]     R. v. Spencer, 2014 SCC 43.

[4]     Pour plus d’information voir: Surveillance scandals break while government presses for more surveillance powers https://bccla.org/2016/11/surveillance-scandals-breaking-government-presses-surveillance-powers/

[5]     http://www.reuters.com/article/us-yahoo-nsa-exclusive-idUSKCN1241YT

[6]     http://www.nytimes.com/2016/10/12/technology/aclu-facebook-twitter-instagram-geofeedia.html?_r=0

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