«Je suis de la race»

Ce texte de l’intervention d’Alexandra Pierre à l’émission Plus on est de fous plus on lit expose bien sa critique des diverses formes de manifestations de la domination et du racisme.

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Alexandra Pierre, membre du C.A.
Ligue des droits et libertés

NDLR : Nous publions ci-dessous l’intervention d’Alexandra au micro ouvert lors de son passage à l’émission Plus on est de fous, plus on lit du 7 avril 2017. *

« Hé oui, je suis ce qu’on appelle une « minorité », vous savez, de la race de celles et ceux qui briment la liberté d’expression, de la race de celles et ceux dont on parle trop, qui prennent trop de place, de celles et ceux qui font de « l’intimidation intellectuelle » en usant du mot systémique. Je suis une femme noire, une femme racisée, féministe en plus, mais je pourrais aussi être une personne en situation de handicap, une personne autochtone, musulmane, une personne issue des communautés LGBTQIA.

Je suis de la race qui ne peut s’empêcher de taper sur ces « pauvres » hommes blancs au pouvoir et tout ce qu’ils symbolisent. Oui, ceux-là mêmes qui, dit-on, ont de moins en moins la parole. Même si on leur voit la face partout à la télé. Même si ce sont eux qui, dans les journaux, à la radio, nous disent ce qui est important, ce qui compte pour l’avenir du monde, de qui avoir peur et qui menace notre grande civilisation. Même si ce sont eux qui distribuent notre argent aux dirigeants de Bombardier en nous disant que ça nous fera plus de bien que des services publics et des programmes sociaux.

Je suis de la race de celles et ceux qui croient en la délibération, en la démocratie, mais à qui on dit : « Chut, je suis est en train de parler, ça fait 500 ans que je parle, mais j’ai pas fini faque prends ton mal en patience pis attends ton tour. »

Je suis de la race de celles et ceux qui sont tanné-e-s d’attendre, de celles et ceux qui voudraient qu’on arrête de penser que « Vu que je ne le vis pas, que je ne le vois pas, que ça me touche pas ou que je le comprends pas, ben ça existe pas ». Je suis de la race de celles et ceux qui croient que oui, tu peux avoir des comportements racistes ou sexistes, faire des remarques dénigrantes même si t’es une « bonne personne »parce que ces comportements-là ne sont pas juste intentionnels et conscients, mais que c’est tout un système qui forge nos institutions et la manière dont on fait collectivement les choses, autant qu’il forge nos attitudes. Un système qui organise les écarts de richesse, les écarts d’espérance de vie, l’accès inégal à la parole. Et je suis aussi de la race de celles et ceux qui pensent que, oui, c’est un peu lâche de refuser de changer ce système injuste qui distribue les privilèges aux uns et qui laisse aux autres les « Vas-y, t’es capable! Quand on veut on peut! » Je suis de la race de celles et ceux qui veulent convaincre. Pas convaincre dans le sens d’essayer de prouver ou de justifier nos existences, mais dans le sens de dénoncer. « Convaincre » comme dans vaincre les cons. Mais là je me demande quand est-ce qu’il faut arrêter de dénoncer pour plutôt exiger, imposer même, sans se préoccuper des puissants qui ont intérêt à occulter la violence du monde et à dépolitiser nos vies.

Je suis de la race de celles et ceux qui croient en la solidarité, qui veulent prendre et laisser la parole. De celles et ceux qui croient à l’idée de partager nos expériences et nos luttes pour ouvrir de nouveaux espaces. Je suis de la race de celles et ceux qui veulent et vont développer une histoire réellement commune et surtout… une histoire plurielle.

* http//ici.radio-canada/première/emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on lit/saison-2016-2017/episodes/378501/7-avril-20

 

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