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Dominique Peschard, membre du C.A.
Ligue des droits et libertés
Les 24 et 25 janvier 2017, un représentant de la Ligue des droits et liberté participait à une visite de la communauté algonquine du Lac Barrière. Cette visite, organisée conjointement par la communauté et Mining Watch, visait à sensibiliser la société québécoise à la réalité de cette communauté et à obtenir des appuis à sa lutte pour empêcher la compagnie Copper One de développer un projet minier sur son territoire.
Le conflit minier
Début 2011, les Algonquins du Lac Barrière apprennent d’un chercheur à Mining Watch qu’une partie de leur territoire a fait l’objet d’un claim de la part de Cartier Resources. À l’insu de la communauté, Québec avait sondé les sédiments de leurs lacs à partir d’hélicoptères pour déceler la présence de minéraux et avait communiqué les résultats à l’industrie. Copper One participe au projet minier en finançant l’exploration. Comparé aux territoires d’autres communautés de la région, le territoire de la communauté du Lac Barrière a été relativement préservé jusqu’à maintenant. Les Algonquin-e-s du Lac Barrière sont opposés à tout développement minier considéré incompatible avec la préservation du territoire et la poursuite des activités traditionnelles de chasse et pêche.
Des leaders de la communauté rencontrent les travailleurs cris embauchés par Cartier Resources pour expliquer la situation et ces derniers quittent volontairement le chantier. Au printemps 2011, un représentant de la communauté s’adresse à l’assemblée des actionnaires de Cartier Resources pour les avertir que la compagnie avait été induite en erreur par le gouvernement et qu’elle s’exposait à des obstacles et des poursuites coûteuses si elle persistait. Deux mois plus tard, Cartier Resources déclare un moratoire sur ses activités à Rivière Doré et cède ensuite ses intérêts à la compagnie Copper One.
À l’automne 2016, le gouvernement qui avait entre-temps suspendu les titres miniers de Copper One les réactive sans avertir les Algonquin-e-s du Lac Barrière, ce qui donne le feu vert à la compagnie pour procéder à des forages exploratoires. Les Algonquin-e-s du Lac Barrière se mobilisent afin de bloquer la route d’accès aux lieux de forage et établissent un campement sur le bord de la route afin de pouvoir soutenir un blocus 24 h/24 h si nécessaire. Soutenus par des professeur-e-s de droit , les Algonquin-e-s du Lac Barrière et l’Association des Premières Nations Québec Labrador (APNQL) maintiennent que la loi québécoise sur les mines est inconstitutionnelle en vertu de la Charte canadienne, car elle ne prévoit pas l’obligation de consulter les Autochtones avant de procéder à des activités minières sur leurs territoires. Suite à cette mobilisation, le gouvernement annonce une suspension temporaire du titre minier de Copper One et la compagnie réagit en menaçant le gouvernement de poursuites .
Qui sont les Algonquin-e-s du Lac Barrière?
La réserve algonquine du Lac Barrière est située sur la rive du réservoir Cabonga. Le territoire traditionnel de la communauté, entre Maniwaki et Val-d’Or, englobe la réserve faunique La Vérendrye. La population est en expansion et il y a pénurie d’habitations. Les maisons sont surpeuplées et généralement en mauvaise condition. L’école primaire a dû être fermée pendant plusieurs mois à la rentrée 2016 pour cause de moisissures. L’algonquin est parlé couramment dans la communauté. Les enfants vont à l’école primaire dans la communauté où l’algonquin est enseigné. Pour les études secondaires, ils doivent aller à Maniwaki. Contrairement aux autres communautés dans la région, la langue seconde de cette communauté est l’anglais, les garçons et les filles de la communauté ayant été envoyés pendant plusieurs générations au pensionnat anglophone de Spanish près de Sudbury. La réserve n’est pas branchée au réseau d’Hydro-Québec. Elle est dotée d’un générateur central et peut être privée d’électricité pendant plusieurs jours lors de pannes. La communauté a très peu de moyens. Elle ne bénéficie aucunement des revenus annuels tirés de l’exploitation de son territoire (foresterie, hydroélectricité et activités récréo-touristiques) qui sont de l’ordre de 100 million $.
Le colonialisme du gouvernement fédéral
À partir des années 1990, Affaires autochtones et du Nord du Canada (AANC) tente de mettre fin au mode de gouvernance traditionnel de la communauté. Ce mode de gouvernance ne relève pas du gouvernement du Canada, alors que les conseils de bande élus sous la Loi sur les Indiens exercent une autorité déléguée par le gouvernement fédéral. En 1995, AANC tente d’imposer à la communauté un groupe de dissidents, le Interim Band Council. Ce dernier est rejeté par la communauté et le gouvernement fédéral coupe les fonds aux Algonquin-e-s du Lac Barrière. Les conséquences sont dramatiques.
« La majorité de la communauté a passé une année et demie sans électricité, sans eau courante, sans services médicaux ou quelconque autre service. On était tous sur l’aide sociale à cette époque. Je venais juste d’accoucher et j’avais deux bébés. J’étais jeune moi-même. C’était très dur pour moi. C’était dur pour beaucoup de monde. Des gens tombaient malade et il fallait nous débrouiller pour le transport quand il fallait être opéré. Souvent nous utilisions nos plantes médicinales quand nos bébés avaient la fièvre ou des rhumes. Nous avons survécu comme ça, avec notre médecine traditionnelle, en vivant de la chasse, de la pêche afin de nourrir quelques familles à la fois. Quand on tuait un orignal, on essayait d’en donner un morceau à chaque membre de la communauté. »
Les enfants sont privés d’école pendant plus d’une année. L’opinion publique (surtout anglophone) commence à s’indigner. Malgré les difficultés, la communauté qui luttait contre les coupes à blanc a maintenu les barricades pour empêcher ces coupes. Domtar met à pied une centaine de travailleurs, l’approvisionnement de la scierie de Maniwaki est menacé et Québec met de la pression sur le fédéral pour régler. Suite aux pressions, un processus de conciliation est entamé et le conseil coutumier est rétabli.
En 2006, prenant prétexte d’un déficit de 83 000 $ , le gouvernement fédéral met la communauté sous tutelle et celle-ci perd le contrôle de ses finances. Depuis, la firme d’administrateurs externes siphonne 10 % en frais d’administration des 5 millions $ (environ) que reçoit la communauté annuellement. Sous tutelle, le déficit accumulé a atteint le million de dollars. La communauté revendique la fin de cette tutelle scandaleuse.
En 2010, prenant prétexte d’un conflit à la direction au sein de la communauté, AANC utilise l’article 74 de la Loi sur les Indiens qui permet au ministre d’imposer l’élection d’un conseil de bande. En ayant recours à cet article massue, rarement utilisé, AANC mettait fin au mode de gouvernance traditionnel des Algonquin-e-s du Lac Barrière.
Résolution du Conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés en appui aux Algonquin-e-s du Lac Barrière
Attendu que:
• Les gouvernements du Québec et du Canada ont signé en 1991 une entente avec les Algonquin-e-s du Lac Barrière (L’Entente trilatérale) en vue de développer un Plan intégré de gestion des ressources et des mesures intérimaires pour harmoniser les activités sur le territoire avec les pratiques traditionnelles algonquines;
• Les Algonquin-e-s du Lac Barrière n’ont jamais renoncé à leurs droits sur leurs territoires ancestraux;
• En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le gouvernement a l’obligation de consulter les Peuples autochtones concernés et de coopérer avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres;
• Le développement minier sur le territoire des Algonquin-e-s du Lac Barrière se fait sans respecter l’obligation de consulter les Algonquin-e-s du Lac Barrière et d’obtenir leur consentement préalable, libre et éclairé;
• Les Algonquin-e-s du Lac Barrière considèrent que l’exploitation minière sur leur territoire est incompatible avec leur mode de vie et leur vision du développement.
La Ligue des droits et libertés exprime sa solidarité avec les Algonquin-e-s du Lac Barrière et demande au gouvernement du Québec :
- d’instaurer un moratoire sur toute activité minière, tel que le bornage, l’exploration et l’exploitation, sur le territoire couvert par L’Entente trilatérale de 1991 signée avec les Algonquin-e-s du Lac Barrière;
- de suspendre le titre minier de Copper One sur le territoire couvert par L’Entente trilatérale signée avec les Algonquin-e-s du Lac Barrière;
- de respecter l’Entente trilatérale dans la gestion des ressources sur le territoire des Algonquin-e-s du Lac Barrière;
- de s’assurer que ses lois et politiques minières respectent les droits des Nations autochtones;
- de consulter les Algonquin-e-s du Lac Barrière et d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources.
L’Entente trilatérale
Les Algonquin-e-s du Lac Barrière n’ont jamais voulu entrer dans la négociation d’un traité où ils auraient cédé leurs titres ancestraux en échange de compensations. Leur vision était celle d’une entente de cogestion de leur territoire qui leur accorderait une voix prépondérante dans la gestion des ressources du territoire afin d’assurer sa protection à long terme et le maintien de leur mode de vie.
Après de nombreuses années de luttes de résistance aux coupes des forestières et deux années de négociation, les Algonquin-e-s du Lac Barrière signent en 1991 l’Entente trilatérale avec les gouvernements du Canada et du Québec. La phase 1 de la mise en œuvre de l’entente consistait à tracer un portrait du territoire et de ses ressources. La phase 2 était l’établissement d’un « Integrated Resource Management Plan » (IRMP) qui serait la base commune sur laquelle les décisions d’exploitation du territoire pourraient être prises. Le financement de ce projet était assuré par les gouvernements. La phase 3, jamais complétée, devait être l’élaboration de recommandations pour la mise en œuvre de la phase 2.
La phase 1 comprenait une vaste collection de données faisant appel, entre autres, aux connaissances des ancien-ne-s : recensement des plantes et de leur usage, des ravages d’orignaux, barrages de castor, nidification des aigles, lieux d’hibernation des ours, poissons etc. À partir de ce travail, un rapport en deux volumes de ce savoir écologique traditionnel a été produit par Scot Nickels, géographe culturel. D’autres rapports ont dressé un portrait ethnographique : histoires familiales, toponymie, pratiques de trappe et de chasse, interactions sociales et partages du territoire autour de ces activités.
Les gouvernements n’ont jamais respecté l’entente. En 2001, alors que L’IRMP est prête à être mise en place pour une des sept zones couvertes par l’entente, le fédéral se retire de l’entente. Les Algonquin-e-s du Lac Barrière occupent l’île Victoria en protestation.
Tout en essayant de relancer l’entente, les Algonquin-e-s du Lac Barrière ont dû à plusieurs reprises bloquer des routes pour protéger leur territoire. Bien que toujours pacifiques, ces actions ont donné lieu à une répression brutale à plusieurs reprises : 100 à 150 policiers antiémeute, gaz, poivre de cayenne, arrestations.