Une culture inscrite dans une histoire à redécouvrir

Cette entrevue avec Sylvie Paré, agente culturelle au Jardin des Premières Nations du Jardin botanique de Montréal, aborde les enjeux reliés à la valorisation de l’art et de la culture autochtone. L’artiste wendat en arts visuels propose plusieurs solutions pour y parvenir.

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Aurélie Arnaud, membre du C.A.
Ligue des droits et libertés

Entrevue avec Sylvie Paré, artiste wendat en arts visuels, agente culturelle au Jardin des Premières Nations du Jardin botanique de Montréal.

 

Q: Sylvie, tu viens du milieu des arts visuels et de la muséologie autochtone, qu’est-ce qui t’a amenée au Jardin botanique?

Sylvie : C’est ce lien entre la nature, la culture et l’art qui m’a attirée. Le Jardin des Premières Nations a été créé à la suite de la rencontre d’un comité autochtone, appuyé par l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et l’idée était de partager une vision qui alliait l’art, la nature et le sacré. Cette vision était importante pour moi car on la retrouve à travers toutes les cultures autochtones; ce n’est pas non plus une vision du passé. On peut réactualiser beaucoup de rites et de relations à la nature. Pour moi, le Jardin différait des musées traditionnels où on est constamment dans des réserves[1], où on est coupé de l’extérieur. Cette idée du musée a quelque chose de carcéral pour moi et j’avais envie d’être en lien avec la nature et d’aller vers la culture vivante. Je me suis alors impliquée dans la communauté artistique autochtone de Montréal pour que ce jardin vive.

Par ailleurs, alors qu’au Canada, il y avait une longue tradition de musées ethnologiques et anthropologiques, on partait de plus loin au Québec. Le Jardin des Premières Nations et sa recherche botanique étaient donc une première au Québec.

 

Q: Est-ce que les musées ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre des droits culturels, dans l’accès à des biens culturels et à l’éducation culturelle?

Sylvie : Les musées ont un travail d’adaptation à faire car ils sont issus de la colonisation du XIXème siècle. En matière d’objets issus des nations autochtones, on a bien souvent collectionné les objets pour les objets, sans tenir compte des auteur-e-s et créateur-e-s de ces objets, ni se soucier de répertorier les matériaux avec lesquels étaient réalisés les objets, ou encore le territoire duquel cet objet a été saisi. On a donc un objet qu’on isole, qu’on ne met pas en relation avec la vie qui a mené à sa création et qui lui donne un sens, avec l’esprit qui habite l’objet. Comme c’est le cas au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac (autrefois musée des arts premiers) à Paris, où on a érigé l’objet au statut d’œuvre d’art. Cela a permis aux objets de gagner une stature et un respect qu’ils n’avaient pas comme simples objets de curiosité. Par contre, ce n’est pas forcément la façon dont les peuples autochtones souhaiteraient voir honorer leurs objets, en élevant ainsi l’objet au rang d’art déconnecté de son origine culturelle. On va chercher à préserver l’objet en faisant fi de l’environnement culturel nécessaire à son existence. Par exemple, chez les Inuits, on sait qu’un bon chasseur est aussi un bon sculpteur. Mais quelles sont les consignes des musées pour respecter ce lien quand ils font une collection?

D’ailleurs, collectionner évoque la constitution d’un butin, d’une accumulation d’objets, alors que, dans les communautés autochtones, on ne collectionne pas. On se transmet des objets signifiants qui aident à se forger une personnalité, à transmettre sa culture et à être en lien avec une vision du monde. Ces objets prennent de la valeur lorsqu’ils sont dans les communautés. Les musées devraient être sensibilisés à la question du rapatriement des œuvres qu’ils possèdent aux peuples autochtones desquels ils proviennent.

 

Q: Sur cette question du rapatriement, à ta connaissance, est-ce que les peuples autochtones demandent de rapatrier des objets entreposés dans les musées, ou souhaitent-ils avoir un meilleur accès à ces objets, tout en assurant leur préservation dans un musée?

Sylvie : La réponse est double. Certaines communautés souhaitent la préservation et l’accès et d’autres le rapatriement de leurs objets. Prenons l’exemple du calumet de la Grande Paix de Montréal. Il est actuellement conservé dans un musée de Montréal, à la Maison Saint-Gabriel. Cet objet a une valeur patrimoniale très importante pour les peuples autochtones de l’Amérique du Nord. Il devrait faire l’objet d’un accord avec les peuples autochtones sur son exposition et son utilisation. De tels accords ont été conclus entre le Musée d’anthropologie de l’Université de Colombie-Britannique et les nations Haïda au sujet d’objets cérémoniels issus des potlachs que le musée conserve au nom des Nations autochtones. Ces ententes prévoient que les communautés peuvent venir chercher ces objets pour les utiliser. Le musée est en quelque sorte le dépositaire et assure la conservation des objets des peuples autochtones de Colombie-Britannique. Le Musée canadien de l’histoire (autrefois Musée canadien des civilisations) à Ottawa avait aussi conclu des ententes avec les communautés autochtones pour la préservation d’objets traditionnels qui faisaient en sorte que les objets étaient conservés sous un tissu rouge, car le rouge représente le chemin de la spiritualité. Il était aussi possible de les sortir et de les utiliser une ou deux fois par année pour des rituels de purification. Ce sont des petites choses qui rapprochent les musées des communautés autochtones, mais il faut qu’on aille plus loin. Des lieux appropriés pour l’art et la culture autochtones n’existent pas encore au Canada.

 

Q: La préservation et la valorisation de la langue font partie de la réalisation des droits culturels. Pourtant, peu d’efforts ont été mis jusqu’à présent pour la préservation des langues autochtones.

Sylvie : En effet, donner le pouvoir de nommer, c’est accorder à la personne qui nomme une vision du monde, un historique, une histoire. C’est pour cela que c’est parfois si difficile d’accorder cette simple possibilité. À Montréal, il y a eu un projet toponymique visant à nommer plus de lieux en l’honneur de femmes célèbres. Il y aurait de la place pour plus de toponymie autochtone. Il serait possible de nommer des personnages autochtones, mais aussi de réattribuer des toponymes autochtones à des lieux, en langues autochtones.

Les institutions sont parfois réticentes à permettre de nommer en langues autochtones. Par exemple, si on veut un nom autochtone pour une exposition, il va y avoir des résistances et l’institution tranchera finalement en faveur de la simplicité. J’appelle ça de l’ethno-muséo-centrisme, qui se manifeste par un repli sur soi, basé sur des valeurs occidentales, quand il commence à y avoir de vrais échanges qui créent de l’insécurité. Quand on parle de droits culturels, on constate qu’il y a de bonnes intentions à la base, mais on manque de personnel spécialisé, de méthodes et d’expériences au sein des institutions dans le domaine. Ces questions devraient être traitées au-delà du politique, ce qui n’est pas toujours le cas.

 

Q: En tant qu’artiste et membre du comité Art-Culture de Montréal, comment sens-tu le lien entre modernité et traditions dans la mise en œuvre des droits culturels?

Sylvie : La communauté artistique autochtone est très diverse à Montréal. Les musées, les galeries, les lieux de soutien et de diffusion ont leurs programmes, leurs critères d’acquisition et de collectionnement qui en laissent beaucoup de côté, ou qui perpétuent une vision du monde. Selon moi, les musées devraient dédier une section à la vision autochtone de l’objet et de l’art. Il pourrait ne pas y avoir que des objets autochtones, mais un commissaire autochtone qui nous amènerait à une compréhension des objets plus proche de la façon de voir autochtone. Cela prendrait un lieu, comme je le mentionnais plus tôt, qui permettrait l’expérimentation et le déploiement de l’art autochtone et de l’accès à la culture. Ce lieu permettrait la valorisation de l’art et de la culture avec une vision autochtone.

Ce lieu, je le rêve encore, en lien avec la nature, extérieure et intérieure. Au Jardin des Premières Nations, il s’agissait d’une ébauche. Mais cela reste un musée d’histoire naturelle, avec un jardin de plantes qu’il faut protéger ou conserver. Les artistes n’ont pas de site indépendant, comme aux Jardins de Métis, où les artistes peuvent compter sur un espace en nature pour créer.

Les artistes et les organisations culturelles autochtones sont en pleine réflexion avec le gouvernement afin de revoir les programmes et les subventions pour l’art autochtone. Il ne s’agit pas seulement de changer quelques phrases ou des sommes, mais d’intégrer une vision du monde et des façons de faire, avec une équipe autochtone, comme le Conseil des arts du Canada l’a fait depuis un an ou deux, par exemple.

 

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