Pourquoi Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés ont-elles convenu de mener cette mission d’observation?
Parmi les objectifs que nous poursuivons, celui de prévenir les abus des forces de l’ordre figure au premier plan.
Le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association rappelait en 2012 que la simple présence d’observateurs et d’observatrices lors de manifestations peut prévenir des violations de droits et insistait sur l’importance de leur permettre d’intervenir librement dans ce contexte.
Les préparatifs entourant le G7, que ce soit la délimitation des zones de sécurité, ainsi que celle d’une zone dite de liberté d’expression, l’information quant aux effectifs de sécurité, les armes qui seront utilisées contre les manifestant-e-s et l’annonce de lieux de détention désignés nous ramènent aux mêmes scénarios que ceux que nous expérimentés lors du Sommet des Amériques à Québec en 2001, lors du Sommet de Montebello en 2007 ou encore lors du Sommet du G20 à Toronto en 2010.
Or, lors de ces trois événements, de multiples violations de droits ont été observées et dénoncées.
En 2001, lors du Sommet de Québec, la LDL avait organisé une mission similaire à celle-ci. Son rapport concluait :
- qu’il y avait eu usage d’une force abusive:
- Par le recours à des volées continues de gaz lacrymogènes, contre des groupes de manifestant-e-s pacifiques et alors que le périmètre de sécurité ne se trouvait pas menacé;
- Ainsi, en 26 heures 5148 grenades ont été lancées souvent à l’horizontale plutôt qu’à la verticale de sorte que plusieurs personnes ont été blessées;
- Plus 900 balles de plastique ont aussi été utilisées alors qu’elles ne devaient l’être que contre des personnes représentant une menace grave pour les policiers;
- Ce nombre démontre à lui seul que cette arme n’a pas utilisée à cette fin et que les forces policières ont contrevenu de manière flagrantes à leurs propres règles.
- Quant aux conditions de détention à la prison d’Orsainville, ce fut un véritable désastre du point de vue des droits. Ainsi, prétendant vouloir décontaminer les personnes arrêtées soumises à des irritants chimiques, celles-ci étaient arrosées à nue dans la cour. Elles ont été privées de leurs médicaments, d’eau et de nourriture. Elles ont comparu par vidéo-comparution dans des circonstances telles que leur droit à l’avocat a été nié.
Nous avons évalué qu’on avait cherché à humilier voire terroriser ces personnes, en imposant une punition collective. Rappelons que 463 personnes ont été arrêtées en 2001 à Québec.
Par la suite, le Comité de l’ONU contre la torture se dira préoccupé quant à l’utilisation d’armes chimiques et de balles de plastique et demandera que soient révisées les politiques concernant leur usage dans le contexte de contrôle des foules.
Le Comité des droits de l’homme demandera que seules les personnes qui ont commis des infractions pénales au cours des manifestations soient arrêtées. Les tribunaux canadiens ont par la suite précisé que la commission d’infraction lors de manifestations ne rend pas pour autant une manifestation illégale.
En 2010, lors du G20 à Toronto, le nombre de personnes arrêtées s’élèvera à plus de 1 100 personnes. Plus de 800 seront libérées sans accusation, une situation que nous craignons voir se répéter durant le G7.
L’ACLC, AI, la LDL et la FIDH avaient qualifié la conduite des forces de l’ordre de disproportionnée, arbitraire et excessive. La couverture médiatique partout au pays avait abondé dans le même sens.
La LDL avait recueilli des témoignages de personnes arrêtées alors qu’elles participaient à des démonstrations pacifiques. Des personnes n’opposant aucune résistance à leur arrestation ont reçu des coups à la tête, aux jambes, aux pieds, ont été projetées au mur et au sol, puis menottées.
Les personnes arrêtées ont été détenues dans des conditions inhumaines, dans un ancien studio de cinéma transformé en centre de détention temporaire, entassées jusqu’à 30 dans des cages grillagées de 4 par 7 mètres avec un cabinet d’aisance sans porte. Il y faisait très froid. L’accès à l’eau et à la nourriture était insuffisant. Certaines personnes ont été détenues jusqu’à 3 jours. Les détenu-e-s ont subi des fouilles à nue parfois plus d’une fois.
À l’évidence ces personnes avaient fait l’objet d’une punition collective pour avoir simplement voulu exprimer leur opinion.
Plusieurs en sortiront profondément marqué-e-s physiquement et psychiquement.
On apprendra plus tard que parmi les 330 personnes ayant fait l’objet d’accusations, 207 ont bénéficié d’une suspension ou d’un arrêt d’accusation ce qui démontre encore plus clairement que les arrestations avaient pour seul objectif d’empêcher les gens de participer aux manifestations futures.
Rappelons que le même scénario s’est produit durant le printemps étudiant de 2012. La violence avec laquelle certaines des manifestations ont été réprimées a été largement dénoncée et les arrestations de masse se sont avérées totalement injustifiées. 3 636 personnes ont été arrêtées et là encore, la presque totalité des accusations sont tombées.
AI et la LDL espèrent donc qu’en juin prochain, la présence d’observatrices et d’observateurs aura pour effet que ces violations de droits ne se répèteront pas.
Je terminerais en mentionnant nos vives inquiétudes concernant l’utilisation projetée des armes d’impact à projectile. Les balles de plastique seront, nous dit-on, remplacées par d’autres projectiles, les BIP (Blunt Projectile impact) qui sont aussi controversés. Le récent rapport de l’ENPQ évalue que l’atteinte par ce projectile de zones corporelles vulnérables comme la tête, le cou ou le thorax pourrait entraîner des blessures graves ou mortelles.
Ajoutons à cela que, depuis 2001, les règles d’usage de ces armes ont été assouplies de sorte qu’il n’est plus requis que les personnes représentent une menace grave pour les policiers, il suffit qu’il y ait un danger de blessures.
Est-il nécessaire de rappeler qu’en janvier dernier, l’émission Enquête révélait qu’un policier de la Sûreté du Québec avait manqué de prudence et de discernement dans l’usage de son arme lors de la manifestation de Victoriaville en 2012? Le Comité de déontologie policière lui reprochait d’avoir causé des blessures graves à des manifestant-e-s qui ne posaient pourtant aucun danger. L’un d’eux avait d’ailleurs frôlé la mort.
Espérons que la présence de la mission d’observation freinera l’usage de ces armes somme toute létales.