Burundi, une crise sans nom

Ce bilan des années 2015-2018 retrace la violente crise qui a secoué le Burundi suite à l’élection illégale du président Nkurunziza Pierre. En réprimant dans le sang les manifestations pacifiques et en assassinant ses opposants, le président du Burundi bafoue violemment les droits et libertés.

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Anschaire Nikoyagize, président
Ligue Burundaise des Droits de l’Homme, Iteka

Depuis avril 2015, le Burundi traverse une crise sans nom, qui a touché toutes les couches de la population. Alors que la constitution burundaise n’autorisait pas plus de deux mandats à la présidence, le 25 avril 2015, le président Nkurunziza Pierre a décidé de briguer un troisième mandat. Le lendemain, des manifestations ont commencé suite aux appels lancés par les leaders des partis d’opposition réunis dans le mouvement ARUSHA[1] et les leaders de la société civile regroupée dans la Campagne Halte au troisième mandat[2].

Ces manifestations ont vite été réprimées dans le sang alors qu’elles s’étaient proclamées pacifiques. La police a tiré à balles réelles sur des manifestant-e-s, d’autres ont été arrêtés, emprisonnés, torturés ou portés disparus. Souvent, les femmes et filles arrêtées étaient violées dans les cachots au moment où leurs frères subissaient des tortures atroces en parallèle.

Un coup d’état manqué le 13 mai 2015 a augmenté la brutalité de la répression dans les quartiers contestataires du troisième mandat. Des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés contre une quarantaine de leaders des partis d’opposition et de la société civile; une dizaine d’organisations de la société civile ont été radiées, alors que d’autres et des médias indépendants ont été suspendus ou détruits.

Les attaques des camps militaires Ngagara, ISCAM (Institut supérieur des cadres militaires du Burundi), Muha, Base et Mujejuru dans la nuit du 11 au 12 décembre 2015 ont causé beaucoup de dégâts dans les quartiers dits contestataires. Des forces policières et militaires appuyées par la milice Imbonerakure[3] se sont lancées dans ces quartiers et ont tué près d’une centaine de personnes, surtout des jeunes, tandis que d’autres ont été enlevées et sont portées disparues. Les enlèvements suivis de disparition forcée ont atteint un niveau inquiétant et une dizaine de fosses communes ont été découvertes en 2016.

L’organisation du référendum pour l’amendement de la constitution en mai 2018 a aussi accéléré le nombre de disparitions forcées des membres des partis d’opposition, surtout les membres d’Amizero y’abararundi[4].

Bilan de trois ans et quatre mois de crise

Depuis le début des manifestations du 26 avril 2015 contre le troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza jusqu’à la fin du mois d’août 2018, la Ligue Iteka a relevé des cas de violation grave des droits humains telles que des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements ou disparitions forcées et des actes de torture.

Des 1 454 personnes tuées, 59,4 % l’ont été par des personnes non identifiées, 16,5 % par la police, 7,3 % suite aux atteintes à la sécurité[5], 6,2 % par la milice Imbonerakure, 4,1 % suite à des règlements de compte, 2,8 % suite à la justice populaire, 1,9 % par des militaires, 1,7 % par le Service national de renseignement (SNR) et 0,3 % par des membres de l’administration.

Des 500 personnes enlevées ou portées disparues, 58,2 % l’ont été par la police, 17 % par le SNR, 16,8 % par des personnes non identifiées, 4 % par la milice Imbonerakure ou des militaires.

Sur 613 personnes torturées par les institutions étatiques, 58,4 % l’ont été par la milice Imbonerakure, 21,7 % par la police, 10,1 % par le SNR, 6,4 %, par des membres de l’administration et 3,4 % par des militaires.

La ligue Iteka a enregistré 9 432 cas d’arrestations illégales et arbitraires ainsi que 152 actes de violence basée sur le genre au cours de cette période. Quatorze fosses communes ont été découvertes durant la même période.

Burundi sur le chemin de la radicalisation

Depuis le début de la crise, le gouvernement s’est mis sur la défensive et refuse toute initiative des partenaires pour faire face à cette crise. Cela se manifeste dans différentes décisions du gouvernement :

  • En 2015, alors que la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) a demandé au gouvernement du Burundi de ne pas organiser les élections dans un climat tendu, il est passé à l’action en l’absence d’observatrices et observateurs indépendants, qu’elles et ils soient nationaux, régionaux ou internationaux;
  • En 2016, le gouvernement burundais a refusé catégoriquement que des officier-ère-s de police des Nations unies soient déployés dans le pays pour y assurer un suivi de la situation. Il a aussi décidé de suspendre sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Il a également refusé de coopérer avec la commission d’enquête instituée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et a refusé l’accès au rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseur-e-s des droits de l’homme;
  • Le gouvernement du Burundi ne prend pas en considération les rapports du Secrétaire général des Nations unies et les résolutions du Conseil des droits de l’homme des Nations unies;
  • Le gouvernement s’est retiré du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 27 octobre 2017;
  • Malgré les revendications de différents partenaires, y compris la médiation, le gouvernement a organisé un référendum pour changer la constitution. Le référendum a été adopté et le changement a été fait le 17 mai 2018. Les modifications constitutionnelles votées lors du référendum comprennent l’élargissement des pouvoirs présidentiels, la réduction des pouvoirs de la vice-présidence, la nomination au poste de Premier ministre par la présidence, l’introduction d’une procédure de vote à la majorité simple pour l’adoption ou la modification d’un acte législatif au parlement, la capacité de revoir les quotas mis en œuvre par l’accord d’Arusha et l’interdiction pour les partis politiques obtenant moins de 5 % des voix de participer au gouvernement. L’ensemble de ces dispositions mettent en péril l’accord d’Arusha;
  • L’adoption d’une nouvelle loi relative à la création d’un corps national de volontaires en avril 2018, qui pourrait servir à légitimer les activités de la milice Imbonerakure qui fait la pluie et le beau temps au Burundi;
  • Le refus d’autoriser le déploiement d’une mission africaine de prévention et de protection au Burundi (Maprobu) de 5 000 hommes, déploiement décidé le 17 décembre 2015 par le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) dans le but de restaurer la stabilité et l’État de droit dans le pays.
Crédit photo: Ligue Iteka

[1]     Mouvement pour le respect de l’Accord d’Arusha, du nom de la ville d’Arusha en Tanzanie, un accord de paix pour le Burundi signé le sous l’égide de Nelson Mandela pour tenter de mettre fin à la Guerre civile burundaise débutée en 1993. (NDLR)

[2]     La Campagne Halte au troisième mandat est un mouvement citoyen initié par 304 organisations de la société civile burundaise. (NDLR)

[3]     Mouvement régulièrement assimilé par des observateurs indépendants à une milice aux ordres du pouvoir du Président Nkurunziza; ce mot en kirundi signifie « ceux qui voient loin ». (NDLR)

[4]     Coalition politique d’opposition, 2ème formation politique du Burundi aux élections législatives de 2015, maintenant constituée en parti politique (NDLR).

[5] Actes de barbarie, attaques et banditisme

 

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