Quand les problèmes sociaux se retrouvent dans la cour de la police

Le profilage social et racial qui perdure au sein des forces policières touchent de façon dramatique et discriminatoire les personnes vulnérables. Plusieurs solutions existent pour mettre un terme à ces pratiques policières qui visent les populations marginalisées.

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Élise Solomon, organisatrice communautaire, Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)

Sommes-nous véritablement tous égaux devant la loi? Est-ce que les services policiers, chargés de l’application des lois et des règlements en vigueur font tout ce qui est en leur pouvoir afin d’éviter les inégalités de traitement entre les populations, les pratiques de profilage et les interventions qui se soldent par l’usage d’armes à feu à l’endroit de personnes vulnérables? Force est de constater que tel n’est pas le cas. Des événements nous le rappellent tristement.

Lysiane Roch
La police au Québec… intouchable? Revue Droits et libertés, Volume 37, numéro 2, automne 2018

En 2017, Jimmy Cloutier et Pierre Coriolan, deux hommes atteints de problèmes de santé mentale dont un était sans-abri, sont morts sous les balles de policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Cette même année, une importante consultation publique s’est tenue dans le cadre d’une commission conjointe de la Ville de Montréal sur les pratiques de profilage social et de profilage racial qui perdurent au sein de l’autorité municipale et son service de police. Le solide rapport de cette commission conjointe est catégorique : ces situations dramatiques et discriminatoires sont évitables et la police peut et doit faire mieux.

Enjeux de sécurité publique?

Les policières et policiers sont de plus en plus amenés à intervenir auprès de populations en situation de grande vulnérabilité et d’itinérance. D’un côté, l’entrecroisement de facteurs structurels tels que la précarité du marché du travail, l’absence d’un revenu de base décent, la pénurie chronique de logements abordables et les difficultés d’accès au système de santé et de services sociaux contribuent à l’augmentation du nombre de personnes qui se retrouvent en situation de grande précarité, d’itinérance et de désaffiliation sociale. S’ajoutent à cela, les enjeux structurels et systémiques particuliers de pauvreté, de mal-logement et d’obstacles à l’accès aux services publics vécus par les communautés autochtones et inuit, qui font que nombre d’entre eux/elles migrent dans les villes, se butent à de grandes difficultés, perdent leurs repères et se retrouvent en situation d’itinérance. Dans un tel contexte, les autorités étatiques s’en remettent de plus en plus au droit pénal et criminel et aux effectifs destinés à la sécurité publique pour « gérer » les problèmes sociaux de pauvreté, de santé mentale, de toxicomanie et d’itinérance.

Le rôle joué par la police est double

Le rôle joué par la police est double. D’une part, elle surveille, contrôle, sanctionne et judiciarise de façon disproportionnée les populations marginalisées. Les orientations stratégiques des autorités policières tendent à prioriser et à augmenter constamment les effectifs destinés à la lutte aux incivilités et aux délits mineurs dans l’espace public, souvent reliés au mode de survie des personnes en situation d’itinérance et de celles atteintes de troubles de santé mentale ou de dépendance. La création de la Brigade des espaces publics du SPVM, qui a pour mission d’intervenir devant certains comportements répréhensibles en patrouillant les espaces publics problématiques et en répondant aux plaintes des citoyen-ne-s, en est un exemple. Intervenir ainsi en réponse à un sentiment d’insécurité subjectif d’une partie de la population par rapport à la présence de personnes marginalisées fait souvent fit du fait que ces dernières ont droit elles aussi à la sécurité publique et qu’elles sont généralement plus à risque de subir de la violence que d’en causer.

D’autre part, ces mêmes policières et policiers ont également le mandat de porter assistance et de venir en aide à titre de premiers répondants à ces personnes lorsque des circonstances mettent en jeu leur sécurité ou celle d’autrui, notamment lorsqu’une personne se retrouve en crise ou atteinte de troubles mentaux. Les autorités policières admettent que ces interventions représentent une part significative de leur travail et que la formation policière traditionnelle ne les prépare pas suffisamment à intervenir adéquatement auprès de cette population[1].

Comment faire mieux?

Comme société, nous conférons un grand pouvoir, notamment celui de l’usage légal de la force, aux autorités policières. Ce pouvoir doit impliquer une grande responsabilité. Il est inacceptable que perdurent autant de décès, de dérives, de pratiques de profilage et d’abus de la police à l’égard des populations marginalisées. Les conséquences réelles vécues par les personnes et le sentiment d’injustice qu’elles exacerbent, participent à la construction d’une méfiance à l’égard des services policiers. Les solutions à mettre en place pour améliorer les pratiques policières d’intervention auprès de ces populations sont connues et documentées. Le rapport du coroner Malouin suite au décès d’Alain Magloire, celui issu de la consultation publique sur la lutte contre le profilage social et racial de la Ville de Montréal, les publications de groupes de défense de droits, les recherches de l’Observatoire sur les profilages, des publications gouvernementales en identifient plusieurs.

Qui est le plus apte en première ligne?

D’abord, il faut revoir qui est le plus apte à intervenir en première ligne auprès des populations itinérantes ou des personnes en crise. Souvent la police n’est pas l’acteur le plus à même de répondre aux besoins des personnes vulnérables et de jouer le rôle de médiatrice ou médiateur des problèmes de cohabitation sociale dans l’espace public. Investir afin d’augmenter le nombre d’intervenant-e-s sociaux et de travailleuses ou travailleurs de rue et de proximité fait partie des solutions. Il faut également établir un partenariat solide entre les organisations policières, le système de santé et les organismes communautaires et ainsi bien définir et préciser les rôles de chacun.

Formation en réponse en intervention de crise

Il est en outre primordial que tous les policiers et policières reçoivent un cursus de formation avancée et obligatoire sur les réalités et les interventions adaptées auprès des différentes populations vulnérables et marginalisées. Celui-ci doit inclure des techniques de désescalade de la tension et des notions spécifiques en matière de santé mentale. Actuellement, une formation de 40 heures sur la réponse en intervention de crise (RIC) existe pour les agents du SPVM, mais celle-ci n’est suivie que sur une base volontaire.

Des équipes mixtes : police et santé

Les équipes mixtes spécialisées en itinérance et en santé mentale du SPVM, réunissant au sein d’une unité d’intervention des policières et policiers spécialement formés et des intervenant-e-s du réseau de la santé, ont fait leurs preuves et sont appréciées par le milieu communautaire. L’Équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance (EMRII) a pour mandat d’intervenir en deuxième ligne auprès de personnes en situation d’itinérance impliquées de façon répétitive dans diverses interventions policières. L’Équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP) est un service de première ligne pour intervenir auprès de personnes en crise ou atteintes de troubles mentaux. Enfin, l’équipe Urgence psychosociale-Justice (UPS-J) a comme rôle principal de prêter assistance aux policier-e-s dans l’évaluation du niveau de dangerosité de l’état mental d’une personne. Ces équipes ont développé une expertise et des approches plus adaptées. Cependant, celles-ci ne rejoignent pas toutes les personnes dans le besoin et leur approche ne contamine pas suffisamment les pratiques de l’ensemble du corps policier.

Revoir les orientations stratégiques

Les solutions impliquent une profonde révision des orientations stratégiques internes des services de police, notamment celles qui concernent la lutte contre les incivilités, ainsi que des protocoles traditionnels d’intervention et les règles d’engagement de l’arme à feu. Les services de police doivent se donner des directives et des plans d’action concrets visant à éliminer le profilage social et diminuer significativement la judiciarisation des personnes marginalisées.

En finir avec l’impunité policière

Enfin, pour rétablir les droits humains des populations vulnérables, réparer le bris de confiance envers l’organisation policière et assurer un contrôle et une surveillance des pratiques policières par les citoyen-ne-s, il faut en finir avec l’impunité policière, réformer le système de recours pour qu’il soit plus accessible et démocratique et sanctionner les comportements problématiques au sein du corps de police.

Aucune des pistes d’actions énumérées ne réduira à zéro les risques de dérapages entre policières et policiers armés et personnes vulnérables en situation de crise. Nous sommes néanmoins en droit d’exiger mieux de nos services policiers. Plus qu’une somme d’initiatives isolées, la défense des droits fondamentaux des personnes en situation d’itinérance et marginalisées doit faire l’objet d’un réel leadership politique et policier et d’une volonté claire de changement de culture organisationnelle.

[1] Ravary, M., Les pratiques d’intervention policières auprès des personnes en crise ou atteintes de troubles mentaux : le cas des agents de réponse en intervention de crise du Service de police de la Ville de Montréal, Mémoire de maîtrise en criminologie, Université de Montréal, 2016.

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