Retour à la table des matières
Témoignage de Francis Grenier
Le 7 mars 2012, lors d’une manifestation contre la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement libéral, j’ai été blessé par l’explosion d’une grenade assourdissante de type RBBG (rubber ball blast grenade). À l’époque, ces grenades étaient couramment utilisées par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et plusieurs autres corps de police ayant une unité de contrôle de foule.
Le jour où j’ai été blessé, je n’avais commis aucun geste répréhensible, je n’étais pas violent, je n’étais qu’un étudiant dans la jeune vingtaine qui croyait s’exprimer en jouant de l’harmonica au cœur du défilé militant. Malgré tout, j’ai perdu ce jour-là la vue de mon œil droit.
Ce que je retiens de cette expérience est la difficulté à faire reconnaitre la gravité de cet événement et la lourdeur du combat nécessaire à l’obtention d’une certaine forme de justice.
Durant les jours, les mois, les années qui ont suivi et encore à ce jour, cet événement a eu et aura toujours une incidence sur mon quotidien. Avant la perte de vision, j’étais étudiant en arts visuels. J’avais pour rêve de pousser cette passion et d’en faire une carrière. À cause de ma condition visuelle, j’ai été forcé d’abandonner ce rêve et cette passion par laquelle je me valorisais.
Les années qui ont suivi ont été sombres et parsemées d’embûches. Je devais non seulement apprendre à vivre avec un trouble de la vue, mais aussi avec une méfiance envers les institutions et la perte de l’activité par laquelle je me définissais. L’on sous-estime souvent le rôle que jouent les passions sur l’estime de soi, mais je peux vous affirmer que ce rôle est non négligeable.
À la suite des événements de 2012, j’ai eu des épisodes dépressifs qui ont passé très près de me coûter la vie. Je ne savais plus à quoi me rattacher et j’avais l’impression que le monde qui m’entourait était devenu bien fade. J’avais été amputé de mes échappatoires habituelles.
De plus, sachant cette dangereuse munition encore et toujours utilisée au Québec et au Canada, je crains que d’autres puissent tout comme moi en être victimes. Ces armes classées par nos services de police comme étant non létales présentent de réels dangers pour la population. Dans mon cas, ces armes ont changé ma vie, mes espoirs et mes rêves, mais elles ont aussi le pouvoir de nous dépouiller de nos droits les plus précieux. Encore aujourd’hui, je suis presque totalement incapable de faire usage de mon droit à la liberté d’expression dans le cadre d’une manifestation. Mes craintes et mon insécurité face à l’appareil policier sont encore trop présentes pour me permettre de faire usage de ma liberté d’expression.
La revue est gratuite pour
|