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Jean-Vincent Bergeron-Gaudin, doctorant en science politique
Université de Montréal
Le mouvement pour le droit au logement au Québec s’appuie sur une riche tradition militante. Depuis les années 1970, des dizaines d’organisations (comités logement, associations de locataires, comités de citoyen-ne-s, etc.) militent à l’échelle locale, provinciale et fédérale pour défendre un meilleur accès au logement et un plus grand contrôle des citoyen-ne-s sur leurs conditions de vie dans ce domaine. Ayant vu le jour à l’apogée des politiques providentialistes au Québec, ce mouvement a contribué au fil du temps à maintenir un minimum de protection sociale entourant un bien, trop souvent considéré comme une simple marchandise. Retour sur certaines des luttes qui ont jalonné l’histoire de ce mouvement.
Le développement du logement social
La création de la Société d’habitation du Québec (SHQ) en 1967 marque le début des programmes d’aide au logement dans la province. La première formule privilégiée à l’époque est celle des habitations à loyer modique (HLM). Financée en grande partie par des transferts fédéraux, cette forme de logement public permet à l’ensemble des ménages rejoints de consacrer seulement 25 % de leurs revenus pour se loger. À partir de 1973, le fédéral décide d’encourager également la formule des coopératives d’habitation, en développant un programme d’achat-restauration qui permet la réhabilitation de vieux immeubles. Le provincial suit l’exemple et adopte en 1977 un programme de financement destiné aux groupes de ressources techniques (GRT) pour accompagner les citoyen-ne-s dans leur projet d’habitation communautaire.
Les investissements en logement social durant les années 1970 sont élevés et surtout orientés vers l’aide à la pierre. Suivant le ralentissement économique, les premières coupures surviennent au tournant des années 1980. À peine formé, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) décide en 1981 de prioriser cet enjeu et devient le principal porteur des luttes dans ce domaine. Pendant la première moitié des années 1980, le regroupement se bat pour maintenir et intensifier les programmes permettant la construction de HLM et de coopératives d’habitation. Au fil des années, l’accessibilité des programmes continue d’être remise en question, notamment avec la négociation en 1986 d’une nouvelle entente fédéral-provincial en habitation, qui vient restreindre les critères de sélection. Le retrait du fédéral du secteur en 1994 porte un dur coup.
L’adoption par le provincial du programme AccèsLogis en 1997 représente encore à ce jour l’une des principales victoires du mouvement pour le droit au logement au Québec. Fruit d’un important travail de représentation de la part du FRAPRU et d’autres acteurs du milieu du logement social, ce programme a permis la réalisation de plus de 27 000 unités de logement sous forme de coopératives ou d’organismes sans but lucratif (OSBL) d’habitation depuis sa mise sur pied. Malgré l’intérêt du provincial pour d’autres formes d’aide axées sur la personne, par exemple le supplément au loyer sur le marché privé, compris dans le vocable de logement abordable, AccèsLogis a réussi au fil du temps à maintenir une part des investissements en habitation pour le logement social. En dépit de sa réévaluation dans les dernières années, le programme résiste encore.
La règlementation des loyers
Contrairement aux programmes d’aide au logement qui ont maintes fois été réformés, la législation en matière de règlementation des loyers sur le marché privé est demeurée stable dans les dernières décennies au Québec. Historiquement, le provincial a opté dans ce domaine pour une approche dite de conciliation, en privilégiant la négociation de gré à gré entre locataires et propriétaires et en n’intervenant qu’en cas de litige. Cette approche a l’inconvénient de faire reposer le fardeau du contrôle des loyers sur le dos des locataires, en plus de faire abstraction des rapports de pouvoir inégaux entre locataires et propriétaires.
Le mouvement pour le droit au logement a toujours fait valoir la nécessité d’un contrôle universel et obligatoire des loyers. En l’absence d’un tel mécanisme, les comités logement se sont battus pour maintenir et améliorer les instruments légaux qui permettent aux locataires de mieux se défendre. Les pressions exercées ont notamment conduit à l’adoption d’un formulaire de bail-type obligatoire en 1996, après une lutte de longue haleine. Les comités logement surveillent également à chaque année la publication des indices de fixation de loyer par la Régie du logement pour informer les locataires des hausses jugées acceptables. La lutte rapide et victorieuse menée en 2017 pour le rétablissement de ces indices, après que la Régie eût cavalièrement décidé de ne plus les publier, montre l’importance de cet outil dans leur travail.
Plusieurs organisations revendiquent depuis de nombreuses années l’instauration d’un registre des loyers. En permettant aux locataires d’avoir accès à une source d’information fiable sur le montant précédemment payé pour leur logement, cet instrument aiderait à prévenir les hausses abusives de loyer lors du changement de bail. Principal porteur de cette revendication, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a fait une campagne très active autour de cette demande au tournant des années 2010, allant jusqu’à obtenir l’appui de plus d’une trentaine de député-e-s provinciaux et de la Ville de Montréal. Le registre se fait cependant toujours attendre.
L’accès à la justice pour les locataires
La Régie du logement a aussi fait l’objet de nombreuses critiques de la part des comités logement depuis sa création en 1980. Basé sur un idéal d’accessibilité à la justice, ce tribunal administratif avait initialement pour mandat de renseigner les locataires et les propriétaires sur leurs droits, de favoriser la conciliation et de réaliser des études sur la situation du logement. Ses visées sociales se sont toutefois rapidement estompées. Dès 1982, le provincial mettait fin à la gratuité des services et imposait un ticket modérateur, en exigeant des frais d’ouverture de dossier. Quelques années plus tard, en 1987, la Régie cessait également de tenir des rencontres publiques d’information.
Le RCLALQ a produit à cette période deux rapports sur la Régie, l’un en 1985 et l’autre en 1992. Le mouvement était déjà en mesure à l’époque d’identifier un certain nombre de problèmes concernant le fonctionnement de la Régie, notamment la priorisation des causes en non-paiement de loyer, le manque d’information sur les procédures et les délais d’attente. Les dossiers déposés par les propriétaires étant alors trois fois plus nombreux que ceux initiés par les locataires, les groupes commençaient aussi déjà à se demander si la Régie n’était pas en fin de compte au service des propriétaires. La situation ne s’est guère améliorée durant les années 1990, avec l’application de nouvelles hausses de tarif et la fermeture de nombreux bureaux.
Les délais d’attente à la Régie ont considérablement augmenté à partir du début des années 2000, dans le contexte de la crise du logement. En 2006, pour régler le problème, le provincial propose un nouveau projet de loi qui prévoit, entre autres, de supprimer complètement les audiences en non-paiement de loyer afin de désengorger le système. Voyant là une menace importante pour les droits des locataires, le mouvement s’engage dans une lutte pour contrer ce projet. Sous l’effet de la pression, le gouvernement décide finalement de reculer et d’embaucher plutôt de nouveaux régisseurs, une approche qu’il a eu tendance à privilégier par la suite, à défaut de réformer l’institution. Depuis la sortie de son troisième rapport sur la Régie en 2016, le RCLALQ fait à nouveau campagne sur cet enjeu.
À quand une politique globale en habitation?
Discrimination à l’endroit des locataires, insalubrité des logements, protection du parc locatif dans les quartiers en proie à la gentrification, la liste des enjeux abordés au fil du temps par le mouvement pour le droit au logement est encore longue. À travers ses nombreuses luttes, le mouvement a appris à naviguer dans un environnement institutionnel complexe, face à des gouvernements pour lesquels le logement figurait rarement parmi les priorités.
Le FRAPRU et le RCLALQ réclament depuis le milieu des années 1980 l’adoption d’une politique globale en habitation à l’échelle provinciale. Cet outil est vu comme un moyen d’affirmer le rôle central de l’État par rapport au logement et d’assurer une plus grande cohérence entre ses interventions dans le secteur. Malgré les promesses électorales faites en ce sens et malgré plusieurs consultations gouvernementales sur le sujet à différents moments dans l’histoire, aucune tentative n’a jamais abouti. En 2018, le Québec ne compte toujours pas de politique permettant de garantir l’accès à un bien qui pourtant représente dans la très grande majorité des cas la principale dépense des ménages.
Le dévoilement récent de la nouvelle stratégie canadienne sur le logement, qui comprend un investissement de 40 milliards $ sur une période de dix ans, relance le débat sur le rôle des pouvoirs publics en matière d’habitation. Après vingt-cinq ans de désengagement de la part du gouvernement fédéral, cette annonce constitue une bonne nouvelle en soi, même si plusieurs éléments de la stratégie restent à clarifier. Cette initiative incitera-t-elle le provincial à reprendre la réflexion sur un éventuel projet de politique en habitation? La renégociation du partage des responsabilités entre le fédéral et le provincial constituera-t-elle une opportunité pour le mouvement pour le droit au logement de faire progresser ses revendications? Enfin, ce nouvel épisode contribuera-t-il à faire reconnaître plus formellement le droit au logement? L’histoire reste à suivre.
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