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Marc Alain, Ph.D, professeur titulaire, Département de psychoéducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Plus de 50 ans de sociologie de la police le montre : la culture policière doit être considérée non comme un bloc plus ou moins monolithique, mais selon un continuum mouvant, susceptible de connaitre des réaménagements majeurs selon le moment de la carrière, selon l’organisation qui emploie le policier ou la policière , mais aussi, entre autres dimensions, selon la fonction et la position hiérarchique qu’occupe l’individu au sein de l’organisation en question.
Les étapes du devenir policier
Les processus de socialisation professionnelle des policier-e-s semblent être constitués d’une série de ruptures, où l’apprenant-e se fait expliquer à quel point il devra maintenant oublier ce qu’il sait ou ce qu’il a appris à l’étape précédente parce qu’on va enfin lui faire comprendre ce qu’est la police! Selon les pays et les continents, les modalités d’intégration des nouvelles recrues peuvent être radicalement différentes, les uns privilégiant une approche particulièrement cassante, d’autres, au contraire, adoptant un mentorat flexible et compréhensif[1].
Insertion professionnelle de recru-e-s
Le cas du Québec peut, à plusieurs égards, être considéré comme un peu mitoyen, bien que les recrues vivent des chocs et des réaménagements importants d’attitudes et de conceptualisations du métier. Nous avons eu le privilège de suivre, pendant les six premières années de métier, l’insertion professionnelle de plus de 700 recrues policières au Québec. De manière générale, nos travaux montrent bien que l’impression d’avoir fait le bon choix de métier est très fermement ancrée chez les recrues. Mais plusieurs attitudes de départ vont connaître des réaménagements parfois drastiques, ce sont les chocs de la confrontation entre une ou des représentations idéalisées du métier de policier-e et certains des aspects de son exercice au quotidien.
Une profession qui se féminise
Ces chocs ne sont ni particuliers au métier de policier-e, ni au contexte culturel particulier du Québec[2]. En revanche, la profession policière au Québec y est tenue en assez haute estime et est considérée avec bienveillance par beaucoup de jeunes femmes et hommes qui en font leur choix de carrière[3]. En corolaire, il y a bien moins de places disponibles en formation de base que de candidat-e-s, ce qui entraine un effet plutôt positif, et un autre un peu plus négatif. Le premier effet part du fait que les jeunes femmes portent généralement un souci beaucoup plus pointilleux à leurs études. Et, parce que l’accès à la technique policière est très contingenté, ce sont de plus en plus des jeunes femmes qui ont réussi à y accéder. Il est donc assez remarquable que sans politique de discrimination positive, les corps policiers se sont féminisés au Québec sans aucune commune mesure avec ce que l’on a pu observer en Amérique et en Europe. Or, les policières présentent en général plus que les hommes, certaines des qualités recherchées par les dirigeant-e-s et les populations : plus d’écoute et d’empathie, plus d’ouverture à la différence, une capacité plus grande à agir dans le sens de l’aide aux plus vulnérables, pour ne nommer que celles-là[4].
Déceptions à l’horizon
Le second effet mesurable du contingentement de l’accès au métier, plus négatif celui-là, pourra affecter tant les hommes que les femmes : c’est qu’à partir du moment où se cultive la notion voulant que pour accéder au métier, il faut présenter un dossier académique remarquable, il se cultive parallèlement le sentiment que tout un chacun qui peut le faire, peut aussi espérer atteindre rapidement les plus hautes fonctions des hiérarchies. Mais compte tenu du fait que 80 % de la force de travail de toute organisation policière se compose du poste de base, la policière ou le policier-patrouilleur en uniforme, des déceptions viennent teinter la progression de la compréhension que se font de leur rôle les recrues policières.
A qui faire confiance?
Les chocs vécus peuvent être distingués en deux catégories. Il s’agit, tout d’abord, des déceptions endogènes, soit celles qui surviennent de la confrontation entre des représentations plus ou moins idéalisées de ce que serait la police et une réalité plus dure. Dans le second cas, et c’est là revenir à ce que nous mentionnions plus haut avec l’idée des ruptures, il s’agit de déceptions exogènes qui ne s’activent qu’au contact de pairs plus expérimentés. C’est au contact des pairs que la recrue se fait expliquer l’importance de se méfier de certains segments de la population, mais aussi, paradoxalement, de se méfier également de la hiérarchie des organisations policières, voire même des policier-e-s exerçant d’autres rôles que celui de patrouilleur-e[5]. Ainsi, bien que l’idée ait pu germer chez les étudiant-e-s en technique policière avant même d’entrer dans le métier, étant formés par des policier-e-s ou d’ex-policier-e-s pour tout ce qui a trait à ses techniques spécifiques, c’est en côtoyant leurs pairs que les nouveaux policier-e-s risquent peu à peu d’intérioriser la notion qu’on ne peut faire confiance à personne hormis nos propres collègues.
Les glissements de l’intégrité et de l’éthique du métier
Certains constats plus troublants ressortent de nos travaux et ils touchent la très délicate question de l’intégrité, l’une des composantes incontournables dans les rapports entre les policier-e-s et la population. En fonction de notre modèle d’organisation policière d’inspiration britannique (voir encadré), cet élément de l’intégrité revêt une importance capitale.
Les origines anglosaxonne de nos services policiers
La question de l’origine du fonctionnement des organisations policières a des impacts significatifs sur les rapports existant entre une population et la police. C’est que la police d’inspiration anglosaxonne – base du modèle nord-américain et québécois – date de beaucoup moins longtemps que le modèle européen continental. Les Britanniques, sous le ministère de Robert Peel au XIXè siècle, craignaient la mise sur pied d’une police moderne inspirée du modèle français, une police vue comme étant au service de l’État et des puissant-e-s, où la policière ou le policier est d’abord et avant tout un fonctionnaire chargé de faire respecter la loi et l’ordre public. Peel propose donc une application du principe fondamental que tout un chacun dans nos sociétés a un devoir en matière de sécurité pour tous. Si nous acceptions, collectivement, de léguer une part de cette responsabilité à des professionnel-le-s payés pour l’assurer, ces derniers, en retour, se trouveraient à avoir plus de devoirs de reddition de compte que de pouvoir envers les populations. Telle était, à tout le moins, la proposition théorique de Peel qui sert encore de nos jours de support à la devise bien connue de plusieurs corps de police nord-américains, c’est le « serve and protect ».
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Nous avons exploré de manière très précise le rapport entretenu par nos recrues participantes avec l’intégrité et l’éthique du métier, exploration qui a mené à des constats somme toute plutôt négatifs. En effet, dès l’embauche, un glissement s’instaure, sur une pente négative qui garde une tendance vers le bas après quatre et six ans de métier. Certains facteurs semblent faire en sorte que les glissements vers moins d’éthique et moins d’intégrité vont être plus ou moins prononcés : le rapport à la mission première de la police (i.e. faire respecter la loi ou secourir; lutter contre les délinquant-e-s ou prévenir la délinquance, pour ne donner que ces exemples), la compréhension des rôles joués par les autres acteurs du système de protection sociale et de justice et, finalement, la nécessité instrumentale de l’usage de la force dans un nombre plus ou moins élevé de situations types (c.a.d.. plus le nombre de situations types est élevé, plus le répondant démontre qu’il est ouvert à l’usage de la force et de l’arme). Au moment de la dernière prise de mesure, soit lors de la sixième année de métier, ce sont les garçons plus que les filles qui glissent le plus, tout comme c’est également le cas des répondant-e-s qui affichaient une préférence pour la lutte contre les délinquant-e-s et une plus grande tolérance à l’usage de la force et de l’arme.
Police « à l’anglaise » versus police continentale et la question de l’intégrité
C’est en partant de la proposition que les policier-e-s œuvrant dans l’un ou l’autre de ces deux modèles d’organisations présenteront un rapport différent aux populations que nous avons tenté de mesurer jusqu’à quel point ce positionnement se reflèterait ou non sur le sens de l’intégrité et de la rigueur éthique. Là encore, rien de monolithique. Les rapports que les policier-e-s entretiennent avec l’éthique du métier se situent sur un continuum, mais qui varie selon les répondant-e-s et les contextes. Ainsi, les policières affichent systématiquement des niveaux d’intégrité plus élevés, ce qui est aussi le cas des policiers plus âgés et plus expérimentés. On a, de plus, démontré[6] que les répondant-e-s des systèmes de types européens semblent un peu moins tolérants que leurs collègues des systèmes anglosaxons aux pots-de-vin et autres avantages matériels indus. Mais à l’inverse, ces derniers sont beaucoup moins tolérants que les premiers à l’endroit d’un usage exagéré de la force à l’endroit d’un-e délinquant-e potentiel pris sur le fait[7].
En guise de conclusion, vers une professionnalisation accrue des policiers et policières…
Si l’on compare le nombre d’années de formation des policier-e-s en fonction des pays, un fait incontournable ressort : ce sont les pays qui exigent les plus hauts niveaux de formation – généralement de niveau premier cycle universitaire – où l’on retrouve les niveaux les plus bas d’accrocs documentés à l’éthique et à l’intégrité[8]. C’est particulièrement le cas des pays scandinaves et de l’Allemagne. On pourra retenir, finalement, que plus de policières, des candidat-e-s entrant en fonction à un âge un peu plus avancé et formés en tant que professionnels, (exerçant la fonction en ayant clairement assimilé qu’être policier-e comporte beaucoup plus de devoirs que de droits) pourraient constituer les bases d’une réflexion générale sur les améliorations à apporter à ce premier rôle fondamental qu’occupent les policier-e-s dans nos sociétés, soit d’être plus souvent qu’autrement les pompiers du social.
[1] Cassan, D., Une ethnographie de l’intégration professionnelle du gardien de la paix et du policier constable. Déviance et Société, 35(3) : 361 – 383. Chan, J, 2011. Fair Cop, Learning the Art of Policing. University of Toronto Press, 2003.
[2] Monjardet, D., Notes inédites sur les choses policières. La Découverte, 2008.
[3] C’est sans compter que les salaires y sont particulièrement attrayants et que l’on puisse y envisager la retraite à un âge où une seconde carrière est tout à fait possible.
[4] Si ces qualités sont légèrement plus présentes chez les recrues féminines que chez leurs confrères en tout début de processus de socialisation, ces mêmes qualités se dégradent au fil du temps, mais beaucoup plus rapidement chez les garçons.
[5] Alain, M., Les facteurs de perméabilité aux valeurs traditionnelles du métier de policier. Déviance et Société, 35(3) : 385 – 413, 2011.
[6] Alain, M., Rousseau, M., Carrer, F., Measuring Police Integrity : Futile Exercise or Worthwhile Effort in Personnel Management? Revisiting Survey Data from Two Previous Studies in Order to Assess the Psychometric Qualities of the Klockars Questionnaire. Journal of Criminal et Police Psychology, July : 3 – 15, 2018.
[7] Il est clair ici que la police nord-américaine fait néanmoins usage de l’arme de service – voire même aussi d’armes dites intermédiaires – avec sensiblement plus de facilité que ne le font les policiers européens en général. À notre avis, il s’agit là essentiellement d’une forme de contamination de ce que les organisations policières étatsuniennes préconisent en termes de modalités d’opérations. Les statistiques disponibles montrent cependant à quel point les policièeres et policiers canadiens sont beaucoup moins prompts que leurs collègues étatsuniens à dégainer et faire feu.
[8] Coulet, C., Wuest-Famose, N., Clerc, L., La construction d’une communauté de sécurité en Europe : le cas des pays scandinaves. Cultures & Conflits, 52 : 97 – 126, 2003.
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