Dossier sur la surveillance des populations: introduction

Revue Droits et libertés, Vol. 33, numéro 1, printemps 2014

 

Lysiane Roch, responsable des communications
Ligue des droits et libertés

Dans un contexte où les révélations d’Edward Snowden ont suscité un débat public salutaire sur la mise en place d’un système de surveillance des populations dénoncée depuis plus d’une décennie par des organisations comme la Ligue des droits et libertés, le dossier proposé dans ce numéro de la revue Droits et libertés vise à apporter un éclairage supplémentaire sur l’évolution des enjeux de surveillance et de protection de la vie privée et des renseignements personnels, leurs implications en matière de démocratie et de droits humains ainsi que les perspectives en termes de résistance et alternatives.

Alors que la surveillance des populations s’appuie souvent sur l’argument de la sécurité, de façon plus accrue encore depuis 2001, l’article de Christian Nadeau met en évidence la fausse dichotomie entre liberté et sécurité qui permet d’assurer leur hiérarchisation. Comme il le démontre dans son analyse, « vivre libre implique la sécurité et vice versa ». Le dossier se poursuit avec un bref survol de la jurisprudence récente de la Cour suprême sur le droit à la vie privée. Dans son article, Anne Pineau met notamment en évidence la reconnaissance par la Cour du rôle de la protection des renseignements personnels dans l’autonomie des individus et la vie démocratique.

La surveillance des populations a pris des proportions inégalées depuis quelques décennies. L’article de David Lyon analyse le caractère inédit et inquiétant des sociétés de surveillance d’aujourd’hui, notamment en mettant en lumière le développement d’une « culture de la surveillance ». Stéphane Leman-Langlois se penche plus spécifiquement sur le développement de la surveillance industrielle et la marchandisation de l’information personnelle, tandis que Louis Melançon et Jonathan Roberge analysent de leur côté l’évolution récente de l’informatique corporelle et les conséquences des nouvelles pratiques de surveillance qu’elle permet. La surveillance par les États prend elle aussi une ampleur inégalée. Dans son article, Roch Tassé présente un retour historique sur la National Security Agency (NSA) et résume les principales informations mises en lumière par les récentes révélations d’Edward Snowden. Le Canada mène lui aussi des activités de surveillance de la population, comme le démontre l’article d’Anne Dagenais Guertin sur les révélations du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC).

La surveillance des populations peut être utilisée pour réprimer la contestation sociale. Kate Milberry, dans une analyse de la surveillance survenue lors du G20 à Toronto, démontre les conséquences que ces pratiques peuvent avoir sur l’expression de la dissidence et, plus largement, sur la démocratie. Les pratiques de surveillance et de contrôle s’appuient aussi de plus en plus sur la notion de « risque éventuel », comme l’illustrent Céline Bellot et Marie-Ève Sylvestre. Il en résulte un mécanisme qui favorise le profilage des populations marginalisées, leur judiciarisation et la privation de leurs droits.

L’ampleur et la généralisation des pratiques de surveillance, tout comme leur banalisation, contribuent au développement d’un sentiment d’impuissance. Pourtant, de nombreuses luttes sont menées ici comme ailleurs pour résister à ces pratiques, mais aussi pour se réapproprier des enjeux et les soumettre au débat public. Dominique Peschard présente trois recours menés présentement par des organisations de défense de droits d’Amérique du nord et d’Europe.  À l’international, 500 écrivain-e-s ont aussi publié une lettre ouverte et lancé un appel pour dénoncer la surveillance numérique. Plus près d’ici, Samuel Ragot et René Delvaux se penchent sur le mouvement de résistance face à la vidéosurveillance à l’UQAM.

La surveillance des populations n’est pas une fatalité associée au développement des technologies. Pierrot Péladeau, dans son article, démontre que la repolitisation et la démocratisation du développement de l’informatique sont possibles et il suggère plusieurs moyens concrets d’avancer dans cette voie. Martine Eloy, pour sa part, résume les démarches qui ont amené à l’élaboration des « Principes internationaux pour l’application des droits humains à la surveillance des communications » et présente un résumé de ces 13 principes. Enfin, Dominique Peschard rappelle les recommandations importantes que le juge O’Connor avait formulées en 2006 pour la protection des droits et libertés, et qui demeurent plus pertinentes que jamais.

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