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Émilie E. Joly, organisatrice communautaire
Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Le droit au logement
Le droit au logement est malmené au Québec. En ce qui concerne le droit international, le Canada et la province ont ratifié le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) dès 1976, et ont reconnu « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence ». Toutefois, au plan juridique national, peu a été fait pour rendre ce droit justiciable – soit le rendre opérant et exigible.
En adhérant au PIDESC, le Canada et le Québec se sont engagés à agir « au maximum de leurs ressources disponibles » pour « assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus par tous les moyens appropriés ». Toutefois, alors que le gouvernement du Québec a dégagé des surplus budgétaires faramineux de 4,4 milliards de dollars dans son dernier exercice financier – en grande partie par des coupures austères dans les programmes et services publics – 2,3 milliards de dollars ont été alloués à des baisses d’impôt plutôt qu’aux programmes sociaux.
État de la situation[1]
Au Québec, près de 40 % des ménages louent un logement pour se loger. Bien que les réalités des ménages locataires soient diverses, l’enjeu de la capacité de paiement est au cœur du « choix » d’être locataire. Ainsi, le tiers des ménages locataires dépensent 30 % et plus de leur revenu pour le loyer; soit le barème considéré comme excessif par le gouvernement. En effet, de manière générale, lorsqu’un ménage paie plus de 30 % pour son logement, sa capacité d’assurer ses autres besoins de base (alimentation, transport, vêtement, médicaments, etc.) est compromise. Pour leur part, les 195 635 ménages locataires québécois (soit 14,4 %), qui consacrent la moitié et plus de leur revenu pour se loger, au détriment évident de leurs autres obligations, ont un revenu médian de 12 494 $ par année.
Les personnes seules sont les plus touchées par la cherté des loyers, leur revenu annuel médian étant nettement plus bas : plus d’une sur cinq paie 50 % et plus de son revenu pour se loger. Pour leur part, les familles monoparentales, dont les trois quarts ont une femme à leur tête, sont aussi parmi les ménages qui dédient la plus grande part de leur revenu au logement, une famille monoparentale sur dix y consacrant 50 % et plus de son revenu. Finalement, les ménages issus de l’immigration récente, arrivés au Québec entre 2011 et 2016, consacrent une part plus importante de leur revenu pour se loger que les ménages non-immigrants; 22,7 % d’entre eux paient 50 % et plus de leur revenu et 14,5 % paient 80 % et plus. La cherté de leur logement reflète, entre autres, la discrimination qu’éprouvent les personnes immigrantes dans la recherche d’un logement.
Ces chiffres démontrent bien l’incapacité du marché privé à assurer aux ménages à faible et modeste revenu un logement abordable. Le loyer médian au Québec s’établit, selon les chiffres du recensement de 2016, à 720 $ par mois, bien au-delà de la prestation mensuelle de base de l’aide sociale, fixée à 633 $. De plus, le loyer augmente plus rapidement que les autres dépenses courantes.
Bien que nous ne soyons pas dans la même situation que lors de la pénurie extrême de logements du tournant des années 2000, alors que le taux de logements locatifs inoccupés oscillait autour de 1 %, le Québec est aujourd’hui confronté à une crise du logement abordable : les ménages à faible et modeste revenu doivent trop souvent se résigner à occuper des logements trop petits pour leur famille, vétustes ou insalubres, étant incapables de se loger décemment sur le marché privé.
Comment assurer le respect des droits sans toît ?
Comme l’ont reconnu la Déclaration et le Programme d’action de Vienne issus de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme en 1993, tous les droits humains sont « universels, indissociables, interdépendants et intimement liés ». En effet, comment peut-on penser assurer la sécurité, la santé, la vie privée, etc. des personnes n’ayant pas accès à un logement sécuritaire, de qualité et abordable? L’accès à un logement sain et accessible économiquement est intrinsèquement lié à la capacité des ménages à bien s’alimenter, à suivre la médication prescrite, à se vêtir convenablement, à assurer leurs coûts de transport. La stabilité résidentielle permet également d’assurer un meilleur développement des enfants, d’augmenter les chances de succès dans la recherche d’emploi, de diminuer les facteurs de stress et d’anxiété. Bref, un logement décent qu’on a les moyens de se payer contribue à garantir la dignité des personnes.
Bien que cette interdépendance soit bien ancrée au plan juridique international, la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre une affaire qui prônait cette interprétation. Dans l’affaire Tanudjaja[2], on demandait à la Cour suprême de reconnaître que l’insuffisance des politiques publiques ontariennes et canadiennes en matière de logement et de lutte à l’itinérance constituait une violation des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Politiques publiques déficientes
Le marché privé, qui conçoit le logement comme une marchandise ou une source de spéculation, et non comme un droit fondamental, ne peut assurer le respect du droit au logement pour toutes et tous. Seul le logement social, sans but lucratif, peut y arriver. Pour ce faire, les gouvernements doivent considérer l’ampleur des besoins et investir pour y répondre.
Au Québec, 40 000 ménages, dont près de 24 000 à Montréal, sont inscrits sur une liste d’attente pour accéder à un logement social public. Toutefois, il ne se construit plus d’habitations à loyer modique (HLM) depuis le retrait du financement fédéral en 1994. Au cours des 5 dernières années, à peine 9 953 logements en coopératives ou en OSBL d’habitation ont été livrés au Québec; en 2017, le gouvernement Couillard n’a budgété que 255 millions de dollars pour réaliser 3 000 nouveaux logements sociaux. Le FRAPRU estime qu’il en faudrait au moins 50 000 sur 5 ans pour commencer à répondre aux besoins. Plutôt que d’agir en ce sens, le gouvernement libéral a plutôt sabré dans les fonds attribués au programme Accès Logis, le seul programme permettant de construire de nouvelles habitations communautaires, en coupant de moitié les unités allouées dans les budgets de 2014-2015 et 2015-2016, les faisant passer de 3 000 à 1 500, et en n’indexant pas les subventions à la construction depuis 2009. Pour améliorer les conditions de logement des ménages à faible et modeste revenu, le gouvernement Couillard devrait donc investir massivement dans le programme Accès Logis et le réformer pour qu’il soit le plus efficient possible.
Quant au gouvernement fédéral, plusieurs espoirs reposaient sur l’élaboration de la première Stratégie nationale sur le logement, présentée le 22 novembre dernier. Toutefois, peu de ses investissements sont spécifiquement réservés au développement de logement social, comme le prévoyaient d’autres programmes, forçant plutôt la compétition entre les projets communautaires et les développeurs de logements locatifs privés. Alors que le gouvernement aurait amplement les moyens d’investir dès maintenant, la majorité des sommes allouées dans la Stratégie nationale sur le logement seront dépensées après les prochaines élections fédérales de 2019. Le gouvernement Trudeau fait attendre inutilement les ménages mal logés alors qu’il y a, et ce depuis trop longtemps, urgence à agir.
[1] Les données présentées proviennent du Recensement de la population au Canada de 2016.
[2] Voir Tanudjaja c Canada (Attorney General), 2014 ONCA 852 : https://www.canlii.org/en/on/onca/doc/2014/2014onca852/2014onca852.html?searchUrlHash=AAAAAQAJdGFudWRqYWphAAAAAAE&resultIndex=3