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Plusieurs constats se dégagent d’une recherche-action sur le droit à la mobilité des femmes en situation de handicap. Pour qu’elles puissent participer pleinement à la société, des moyens de transport sous toutes leurs formes doivent être accessibles et sécuritaires.

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Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

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COMITÉ MOBILITÉ DE LA TABLE DES GROUPES DE FEMMES DE MONTRÉAL

Au Québec, les femmes en situation de handicap dépendent plus des transports collectifs que les autres femmes ou encore, les hommes en situation de handicap1. Pourtant, leurs expériences sont souvent ignorées lors des réflexions sur ces services. Face à ce constat, les membres de la Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM) ont lancé une recherche-action en 2023 pour inclure ces femmes dans les décisions sur la mobilité durable. Ce projet a engagé 10 expertes du vécu, qui ont tenu des journaux de bord, participé à des balades exploratoires et contribué à l’analyse. Plus de 150 femmes y ont aussi participé via un sondage et des groupes de discussion.

La mobilité est un droit essentiel à la participation sociale des mères, travailleuses, étudiantes, proches aidantes et militantes en situation de handicap. L’article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec garantit l’accès aux transports et aux lieux publics sans discrimination. Les témoignages recueillis dans le cadre de notre recherche-action soulignent que ces droits sont encore souvent bafoués, compromettant la capacité de ces femmes à se déplacer de façon autonome et sécuritaire à bord des transports collectifs. Cet article dévoile quelques enjeux clés qui sont présentés plus en détail dans notre rapport de recherche2.

Crédit : Bérénice Lemarié

Les transports collectifs

D’abord, le service de transport adapté complique considérablement la conciliation entre travail, famille et vie sociale des personnes qui en dépendent.

À Montréal, les transports collectifs comprennent d’abord le transport en commun régulier (autobus, métros, trains) qui fonctionne selon des horaires fixes et est, en principe, accessible à tout le monde. Il y a ensuite le transport adapté qui pallie les obstacles du réseau régulier en offrant, sur réservation, des véhicules, itinéraires et accompagnements adaptés aux besoins individuels des personnes ayant une incapacité qui affecte grandement leur mobilité. L’offre est complétée par les navettes qui offrent des trajets pour faciliter des déplacements ciblés (par exemple, aéroport ou traverse du fleuve).
Parmi les répondant-e-s de notre sondage, 67 % jugent que le transport adapté est accessible et sécuritaire, contre seulement 28 % pour les autobus, métros et trains et 16 % pour les navettes fluviales. Dans le même ordre d’idées, 2 répondant-e-s sur 3 considèrent le transport adapté sécuritaire, et le personnel et les client-e-s bienveillant-e-s, alors que moins de la moitié évalue positivement le personnel et les client-e-s du transport en commun. Malgré cette meilleure perception du transport adapté, ce service ne parvient pas à offrir des déplacements équitables et sécuritaires.

Mirages du transport adapté

D’abord, le service de transport adapté complique considérablement la conciliation entre travail, famille et vie sociale des personnes qui en dépendent. Pour ne nommer que quelques irritants logistiques, les réservations ne peuvent pas se faire à la dernière minute. L’accompagnement, crucial pour le sentiment de sécurité, est contraignant tout comme le nombre de sacs permis, ce qui complique la possibilité de faire son épicerie. En raison des retards et des jumelages, un trajet peut prendre plus de deux heures pour parcourir quelques kilomètres.
L’insécurité est un problème. Les espaces d’attente sont souvent hostiles : peu de bancs, d’éclairage et d’accès à des toilettes. En hiver, la neige et le froid aggravent ces conditions. En été, les travaux et les piétonnisations compliquent l’embarquement et le débarquement. Les témoignages révèlent des comportements dangereux du personnel ou des gestes non consentis, notamment lors de l’attache de la ceinture de sécurité, ainsi que des remarques intrusives et sexistes. Des cas d’agressions physiques, sexuelles et psychologiques ont été vécus à bord des véhicules. Surtout, les expertes du vécu expriment une faible confiance envers le système de plainte en raison de l’absence de suivi et de changements constatés.

Le transport adapté est précaire. Dans les dernières années, en plus des réductions de service dues aux conditions météorologiques, d’autres ont été établies en raison de la pandémie et en raison de problèmes de main-d’œuvre et de financement en août 2022. Les réductions incluent la limitation des trajets hors de l’île de Montréal, la permission exclusive des déplacements liés aux études, au travail et à la santé et la suspension des accompagnements. Ces restrictions portent atteinte au droit à la mobilité notamment de celles qui n’ont pas d’alternatives de transport.

Inaccessible et non sécuritaire

Crédit : Bérénice Lemarié

Conformément à la loi, les autorités de transport ont l’obligation d’assurer l’accessibilité des transports en commun pour les personnes en situation de handicap3. Les plans de développement en accessibilité universelle conduisent à l’ajout d’ascenseurs, de loges et de tourniquets accessibles et de portes automatiques dans certaines stations de métro. De plus, de nombreux véhicules du réseau d’autobus sont équipés de signaux sonores et de rampes d’accès. Cependant, ces avancées dépendent du financement gouvernemental. Vraisemblablement, la Société de transport de Montréal (STM) ne pourra atteindre sa cible de 41 stations de métro universellement accessibles d’ici 2025, puisque le gouvernement de la CAQ a rejeté la demande d’aide financière pour la mise en accessibilité de 6 stations4.

Environ 1 répondant-e sur 3 considère qu’il est impossible de se déplacer de manière sécuritaire pour être parent, proche aidant-e, étudiant-e, occuper un emploi ou s’impliquer dans
sa communauté.

Les expertes du vécu soulignent les retombées positives de ces aménagements et équipements qui les incitent à utiliser le réseau régulier lorsque possible. Toutefois, les ascenseurs, escaliers mécaniques et rampes d’accès sont souvent hors service, rendant certains trajets impraticables. Les mesures d’urgence ne sont pas universellement accessibles. En effet, les messages d’urgence sont communiqués uniquement à l’oral, il faut parfois évacuer à une station de métro sans ascenseur et les navettes sont rarement accessibles. Enfin, des obstacles saisonniers compliquent l’accès au réseau : des itinéraires détournés en raison de travaux ou de piétonnisation, ainsi que des risques de chute dus à une mauvaise gestion du déneigement ou des chantiers de construction.
L’accessibilité ne dépend pas uniquement des infrastructures. De nombreux témoignages révèlent des manques de civisme, comme le fait de s’asseoir sur des sièges réservés ou de ne pas offrir d’aide ou de le faire de façon inadéquate (par ex., sans demander le consentement). Plusieurs ont également subi du harcèlement de rue (par ex., regards, commentaires, attouchements ou menaces envers elles, iels ou leur chien d’assistance). C’est pourquoi il est essentiel de mener des actions de sensibilisation et de formation pour changer les attitudes et comportements du personnel et de la clientèle dans les transports en commun.

Des impacts profonds

Crédit : Bérénice Lemarié

Plus de 3 répondant-e-s sur 4 affirment vivre du stress et limiter leurs déplacements en raison des problèmes quotidiens de mobilité. Ces obstacles affectent leur autonomie et leur participation sociale. Environ 1 répondant-e sur 3 considère qu’il est impossible de se déplacer de manière sécuritaire pour être parent, proche aidant-e, étudiant-e, occuper un emploi ou s’impliquer dans sa communauté. Cette perception fait écho aux études qui mettent en évidence le rôle clé des transports collectifs dans l’accès et le maintien à l’emploi des personnes en situation de handicap5.
Les femmes en situation de handicap ne restent pas passives devant un système de transport capacitiste. Elles et iels utilisent diverses stratégies selon leur tolérance au risque, leurs obligations et leurs ressources : elles recourent au transport adapté, au taxi ou demandent de l’accompagnement pour se déplacer.

Pour une mobilité durable, inclusive et sécuritaire

Pour la TGFM, cette recherche-action est un outil de défense collective des droits. Parmi les initiatives visant à faire connaître les résultats, la TGFM a conçu une exposition qui présente une série de photos évocatrices des expertes du vécu accompagnées de textes exprimant leurs revendications pour la mobilité à Montréal. Ces témoignages démontrent que les enjeux de mobilité touchent profondément le quotidien de personnes réelles. Il est urgent de repenser les pratiques, les comportements et la planification des services publics pour garantir une mobilité durable, inclusive et sécuritaire à Montréal et partout au Québec. L’exposition photo se déplacera, selon la demande, dans différents milieux et événements pour susciter ces réflexions.


1 Office des personnes handicapées du Québec, Les femmes avec incapacité au Québec, un portrait statistique de leurs conditions de vie et de leur participation sociale, 2021. En ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/org/ophq/Statistiques/femmes-incapacite.pdf

2 En ligne : https://www.tgfm.org/fr/nos-publications/143

3 Article 67 de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale.

4 S. Baillargeon, Le programme pour l’accessibilité du métro à l’arrêt, Le Devoir, 11 mai 2024.
En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/812712/transport-commun-programme-accessibilite-metro-arret

5 A. Tessier et coll., The impact of transportation on the employment of people with disabilities: a scoping review, Transport Reviews, 2023. En ligne : https://doi.org/10.1080/01441647.2023.2229031