Lettre publiée dans La Presse, le 28 septembre 2024
Droit à l’information
Exiger la transparence : une lutte collective
Laurence Guénette,
Chantal Levert, coordonnatrice, Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE)Jérémie Lamarche, organisateur communautaire, Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
Cédric Dussault, co-coordonnateur et porte-parole, Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ)
Anaïs Houde, co-porte-parole, Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM
Josyanne Proteau, coordonnatrice, Ligue des droits et libertés — section de Québec
Alexandre Popovic, porte-parole, Coalition contre la répression et les abus policiers
Pascal Bergeron, porte-parole, Environnement Vert Plus
Nous avons mis en commun nos expériences en défense des droits de la personne, pour la préservation des écosystèmes et d’un climat viable, contre l’impunité et les violences policières, pour l’éducation populaire et pour les droits des locataires… et avons tiré un constat commun : le droit à l’information traverse toutes nos luttes et il est dans un état pitoyable au Québec. Quel organisme public gagnerait le prix du pire cancre en matière d’accès à l’information ? Malheureusement la compétition est féroce et faute de pouvoir trancher, nous évoquons ici quelques exemples.
L’opacité en matière environnementale est bien connue ; le registre public d’informations prévu dans une réforme législative adoptée il y a plus de six ans brille toujours par son absence, malgré les pressions répétées de nombreuses organisations.
Plus largement, les groupes écologistes et citoyens font face à des motifs de refus répétés, des délais gargantuesques, des négligences, si bien que le déni du droit à l’information est un obstacle majeur qui entrave et ralentit les luttes environnementales à une époque où leur urgence est incontestable.
Le cas de la fonderie Horne est particulièrement emblématique. En plus de subir les impacts des contaminants émis par la fonderie sur sa santé, la communauté de Rouyn-Noranda doit déployer beaucoup d’énergies pour tenter d’influencer les décisions qui la concernent directement. En prime, les citoyennes et citoyens doivent se démener pour mettre la main sur des informations d’intérêt public, à travers des demandes d’accès à l’information, et en se butant à des réticences injustifiées de la « partie adverse » et à des délais invraisemblables. L’an dernier, en tranchant en faveur d’un résidant de Rouyn-Noranda qui exigeait d’accéder à des informations depuis plus de trois ans, la Cour du Québec a souligné qu’il ne suffit pas de permettre l’accès, mais encore faut-il le faire en temps utile pour que le droit à l’information soit respecté !
Questions policières
Obtenir des documents en matière policière n’est pas non plus chose aisée. Parlez-en aux militantes et militants contre la brutalité policière, aux familles des personnes tuées par la police et aux journalistes… Combien de fois des organismes publics ont-ils refusé de divulguer des documents pourtant d’un grand intérêt public en invoquant toutes sortes de motifs de refus liés à la sécurité publique ou à l’administration de la justice ? Et dans combien de cas des organismes publics ont-ils finalement transmis lesdits documents à la veille d’une audience en révision devant la Commission d’accès à l’information (CAI) ?
Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a déjà refusé de transmettre à une citoyenne des lettres échangées entre la direction du BEI et des services de police… pour changer d’idée le matin même de l’audience en révision devant la CAI, deux ans plus tard.
Et que dire des délais de traitement ? Obtenir l’information en temps utile ? Pas quand ça concerne le Service de police de la Ville de Montréal, la Sûreté du Québec ou le ministère de la Sécurité publique, dont les délais de traitement sont devenus si longs que l’on se demande parfois si la demande d’accès a été renvoyée aux calendes grecques.
Pour que la population puisse avoir accès sans entrave à toutes les informations des organismes publics qui sont d’intérêt public, un large chantier doit être entrepris. Le cadre juridique québécois en matière d’accès à l’information doit être réformé en profondeur afin de placer la notion d’intérêt public au cœur du régime d’accès à l’information et limiter les motifs de refus. Une large mobilisation sociale s’impose pour forcer le gouvernement à mener cette réforme législative, alors que règne une culture d’opacité. Mais plus encore, la mise en place de véritables pratiques de divulgation proactive, en rendant l’information accessible d’emblée et de façon cohérente et utilisable, est nécessaire.
Doit-on encore rappeler que le droit à l’information est un droit de la personne et une dimension incontournable de la liberté d’expression ? Ce droit est reconnu dans le Pacte international sur les droits civils et politiques auquel tant le Canada que le Québec sont liés depuis 1976, ainsi qu’à l’article 44 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Et puisque tous les droits de la personne sont interdépendants, le droit à l’information apparaît comme une condition essentielle qui met la table à l’exercice des autres droits : droits au logement, à l’égalité, à un environnement sain, par exemple.
Quant à la démocratie, il nous importe de rappeler qu’elle ne se réduit évidemment pas aux élections, et qu’elle implique avant tout que les populations puissent être au cœur des prises de décisions, de façon éclairée et effective. Or comment parler de démocratie réelle et comment se prémunir contre l’arbitraire et les lobbys si le gouvernement n’agit pas dans la transparence et que les élues et élus ne rendent pas compte aux citoyens quant aux motifs, intérêts et données qui motivent leurs décisions ?
Exiger la transparence est une lutte collective qui nous concerne toutes et tous !