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Carla Christina Ayala, collaboratrice
Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
Éva Mascolo-Fortin, collaboratrice
Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
Amélie Nguyen, coordonnatrice
Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
Une délégation de défenseur-e-s des droits humains et environnementaux d’Amérique centrale au Canada
La hausse des conflits socioenvironnementaux liés aux mégaprojets miniers depuis les
deux dernières décennies a mené à mieux documenter les impacts de ces projets sur les droits humains et le pouvoir des sociétés minières dans le monde. Le Canada, qui héberge un peu plus de la moitié des entreprises minières, est reconnu comme un acteur incontournable du secteur extractif. En Amérique latine, par exemple, les actifs d’entreprises canadiennes dans le secteur minier représentent entre 50 et 70 % des opérations minières réalisées dans la région[1]. Les dénonciations de plus en plus pressantes concernant les impacts des activités des minières canadiennes ont notamment amené une coalition d’une quarantaine d’organisations de la société civile à réaliser une session du Tribunal permanent des peuples sur le sujet à Montréal[2].
Du 21 au 27 mars dernier, une délégation de défenseur-e-s des droits humains et environnementaux d’Amérique centrale était au Canada afin de rendre visibles les abus des entreprises minières canadiennes et leurs luttes pour la défense du territoire au Nicaragua, au Guatemala et au Salvador. Dans le cadre de la visite de la délégation à Montréal, un panel public intitulé « Ces terres sont à nous!: les résistances en Amérique centrale »[3], a permis de mieux comprendre comment le Canada et les entreprises canadiennes du secteur extractif sont intervenus, au fil des années, auprès des gouvernements et autorités locales de ces pays pour promouvoir le modèle extractif comme moyen de développement économique et pour créer des conditions favorables aux investissements étrangers. Le Canada a ainsi contribué à l’essor des investissements en signant des accords de libre-échange, en utilisant ses ambassades pour faire pression pour une réforme des lois minières et faire accepter les mégaprojets extractifs canadiens, ainsi qu’en donnant un appui économique et financier à plusieurs sociétés minières canadiennes dans la région. Au fil des ans, ces entreprises ont su aiguiser leurs stratégies pour combattre l’opposition aux activités minières, divisant les communautés, surestimant la création d’emplois et réprimant violemment les défenseur-e-s des droits humains et de l’environnement.
À partir des discussions menées lors du passage de la délégation à Montréal, nous souhaitons mettre en lumière quelques expériences de résistance menées par des communautés affectées ainsi que les stratégies mises en place par les entreprises pour les contrecarrer. Une attention particulière sera portée au cas du Salvador, désormais le premier pays ayant banni l’exploitation minière dans le monde. L’une des priorités soulevées par les invité-e-s est de créer un système d’alerte rapide pour renforcer la capacité d’action face aux risques auxquels font face des défenseur-e-s des droits humains et environnementaux.
Luttes pour la défense du territoire au Nicaragua, Guatemala et le Salvador
Le premier droit qui est amplement violé quand il s’agit de mégaprojets extractifs est le droit à l’autodétermination des peuples. En effet, les concessions permettant l’exploration et l’exploitation minières sont accordées sans consultation ni obtention d’un consentement libre, préalable et éclairé des communautés. Les expériences de lutte des délégué-e-s démontrent que la collaboration entre communautés affectées et organismes de défense des droits humains et environnementaux, a permis : d’une part, de renforcer la capacité d’information et d’action face à l’expansion des concessions sur le territoire; et d’autre part, de hausser la capacité d’éducation et d’organisation des communautés sur les impacts et conflits sociaux résultant du développement extractif. Par exemple, au Nicaragua et au Salvador, comme l’ont souligné Bernardo Belloso[4] et Javier Mejía[5], ces alliances ont permis de mettre en place des processus de consultation populaire qui ont donné l’opportunité à la population de se prononcer clairement sur l’activité minière sur leur territoire et de contester la validité des concessions. Aleisar Arana[6], président du Parlement de la nation autochtone Xinca, qui regroupe une vingtaine de communautés au sud du Guatemala, a souligné que lors des neuf consultations communautaires et les cinq consultations municipales tenues au sujet du projet Escobal de Tahoe Resources et Goldcorp, celui-ci a été rejeté par près de 98% de la population. La Cour suprême, se prononçant sur la question suite à des démarches juridiques initiées par des entreprises minières, a confirmé la validité du processus mis en place au niveau municipal.
Les échanges entre communautés affectées de différentes régions au fil des années ont aussi contribué à renforcer les processus de résistances et d’organisation. Ainsi, les liens établis par différents mouvements de défense du territoire ont permis à ces communautés de s’informer sur les impacts à plus long terme de l’extraction minière, en apprenant de l’expérience d’autres communautés, et de partager des expériences et des stratégies de résistance face à l’industrie. Dans le cas du Salvador, la prise de conscience des impacts du modèle extractif, en particulier la contamination hydrique, est grandement liée à la connaissance de la situation de pays frontaliers comme le Guatemala et le Honduras, où les ressources naturelles sont exploitées depuis plus longtemps et où la situation des défenseur-e-s des droits humains et environnementaux est très critique.
Ainsi, les développements récents au Salvador sont le résultat de nombreuses années de mobilisation pour exiger le respect des droits et de l’environnement face aux actions d’une entreprise transnationale pour entraver les processus démocratiques locaux. Le conflit socioenvironnemental au sujet de l’industrie minière au Salvador a débuté au début des années 2000, lorsque la firme transnationale canadienne Pacific Rim – actuellement OceanaGold – a obtenu un permis d’exploration pour le projet El Dorado. Quelques années plus tard, le gouvernement a décidé de ne pas octroyer de permis d’exploitation, estimant que le projet était trop risqué au niveau environnemental. En 2009, l’entreprise a intenté une poursuite contre le Salvador en vertu de la clause de protection des investissements d’un accord de libre-échange pour réclamer 250 millions de dollars US pour « perte de bénéfices potentiels ». Ce type de poursuite, rendu possible par de nombreux accords commerciaux et d’investissement, constitue une atteinte flagrante au droit à l’autodétermination et aux processus démocratiques nationaux.
Cette poursuite a engendré un conflit social important qui a duré plusieurs années. L’entreprise est même intervenue auprès des autorités pour influencer la réforme de la loi sur les mines et les hydrocarbures afin de diminuer les exigences quant aux évaluations d’impacts environnementaux pour l’obtention de concessions d’exploitation, ce qui a été dénoncé par la société civile. Entre 2009 et 2011, il y a eu cinq assassinats sélectifs contre les opposant-e-s au projet, et les responsables demeurent toujours impunis. Dans ce contexte, notons aussi que l’entreprise a créé la Fondation El Dorado afin de réaliser des initiatives sociales dans les communautés, afin d’améliorer son image et de faire la promotion de l’activité minière. Après plusieurs années de litige, la poursuite en arbitrage s’est finalement conclue en octobre 2016 par un jugement en faveur du Salvador, et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a exigé de OceanaGold qu’elle rembourse huit millions de dollars US à l’État du Salvador, pour une partie de ses frais d’avocats, estimés à près de douze millions de dollars US. Le 29 mars 2017, l’adoption d’une loi interdisant les activités minières au Salvador par l’Assemblée législative est venue renforcer cette victoire des mouvements sociaux. Différents groupes de la société civile revendiquent actuellement que la Fondation El Dorado quitte le pays, alors qu’elle continue de faire du lobbying, s’étant notamment opposée à la promulgation de la loi contre l’exploitation minière.
Un système d’alerte rapide pour la protection des défenseur-e-s environnementaux et des droits humains
Le dernier rapport de Global Witness a dénoncé le fait que 185 défenseur-e-s de l’environnement et des territoires ont été assassinés en 2015, parmi lesquels 122 provenaient de l’Amérique latine[7]. Ces chiffres laissent présager un nombre encore plus important de cas d’attaques, de menaces, d’intimidation ou d’autres atteintes aux droits humains, ciblant souvent en particulier et différemment les femmes qui prennent parole. Aujourd’hui, un défi important des organismes de défense des droits humains, environnementaux et de justice sociale est d’accroître la visibilité et la capacité d’action des défenseur-e-s environnementaux et des droits humains, tout en ne les mettant pas plus à risque et en évitant de nuire à leur sécurité. Ce travail parallèle de renforcement des mécanismes de dénonciation des pratiques canadiennes à l’étranger – pensons notamment à la campagne de la société civile pour la création d’un poste d’ombusdperson pour le secteur extractif[8] – et des instruments de protection des défenseur-e-s de droits humains et environnementaux est un enjeu fondamental de l’appui aux communautés en résistance. Face à l’aggravation de la situation d’impunité et des assassinats, Yanira Cortez[9] a souligné le besoin de concentrer nos efforts sur l’élaboration d’un mécanisme d’alerte rapide, qui déclencherait un protocole d’action lorsque les défenseur-e-s sont en situation de risque.
Une déclaration de solidarité signée par plusieurs organismes au Canada[10] a dénoncé la responsabilité de l’État hondurien dans l’assassinat en mars 2016 de Berta Cáceres du Conseil civique des organisations populaires et autochtones du Honduras (COPINH), un cas emblématique d’assassinat ciblé et d’impunité. Le gouvernement du Honduras, n’a en effet pas garanti à la leader lenca des mesures de protection pourtant exigées par la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH). Dans ce panorama, les difficultés importantes d’accès à la justice et les menaces urgentes visant les défenseur-e-s des droits en Amérique centrale rendent pressante la nécessité pour la société civile, à plus forte raison au Canada, plus grande puissance minière au monde, de renforcer la capacité de protéger de manière préventive les défenseur-e-s des droits humains et environnementaux, et non seulement de réagir lors de violations des droits ou d’assassinats. Parmi divers éléments évoqués par la délégation d’Amérique centrale, la mise en place d’un dispositif d’alerte rapide pour renforcer les capacités d’action face aux menaces, ainsi que les échanges et apprentissages mutuels entre diverses expériences de résistances et de défense du territoire à travers la région demeurent une priorité.
Bibliographie
[1] Grupo de Trabajo sobre Minería y Derechos Humanos en América latina (GTMDHAL) (2014). El impacto de la minería canadiense en América Latina y la responsabilidad de Canadá. Resumen Ejecutivo del Informe presentado a la Comisión Interamericana de Derechos Humanos, p.4.
[2] Pour en savoir plus sur le processus du Tribunal permanent des peuples (TPP) sur l’industrie minière canadienne et pour lire le verdict du TPP, consulter: www.tppcanada.org.
[3] Événement organisé le 22 mars 2017 à l’Université du Québec à Montréal par le CDHAL en collaboration avec plusieurs organismes de solidarité internationale et du milieu syndical.
[4] Président de l’Association pour le développement du Salvador (CRIPDES), il a été l’un des leaders de la résistance contre les projets miniers au Salvador et a mené avec succès une campagne de référendums locaux pour déclarer les municipalités du nord du Salvador libres d’exploitation minière.
[5] Coordonnateur du programme sur la gestion des ressources naturelles au Centre Humboldt, une ONG environnementale au Nicaragua. Il accompagne des processus d’appui légal et technique à des communautés affectées par les industries extractives. M. Mejía a appuyé différents processus de consultation et des réformes législatives visant la défense des territoires et de leur population.
[6] Président du Parlement Xinca, composé de 13 organisations et 20 communautés du sud du Guatemala, avec une population de plus d’un demi-million de personnes. Il est actif dans les mobilisations continues pour la défense des territoires Xinca contre l’assaut des entreprises transnationales.
[7] Global Witness, On Dangerous Ground, (2016).
[8] Voir notamment les documents du Réseau canadien pour la reddition de comptes des entreprises (RCRCE): http://cnca-rcrce.ca.
[9] Avocate salvadorienne qui a collaboré étroitement avec les mouvements environnementaux sur les enjeux liés à la défense de l’eau, aux industries extractives, aux produits toxiques dans l’agriculture et aux conflits environnementaux. Présentement juge au Tribunal latino-américain sur l’eau, une institution de nature éthique, technique et scientifique, elle agit comme personne-ressource pour des conférences sur des enjeux liés aux droits humains et à l’environnement.
[10] Déclaration de solidarité Un an plus tard : Berta vit, la lutte du COPINH se poursuit, 2 mars 2017: www.cdhal.org