Imaginer une ville des droits humains

Les municipalités sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans l’élaboration de politiques, de programmes et d’initiatives pour relever les défis actuels et futurs, qui sont vastes et urgents, comme les enjeux environnementaux.
Ce palier gouvernemental peut assurer le respect, la protection et la mise en œuvre des droits humains et contribuer positivement à la transformation sociale.

Retour à la table des matières
Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Imaginer une ville des droits humains

Diane Lamoureux, Professeure émérite, Université Laval, membre du comité de rédaction et membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Il y aura des élections municipales un peu partout au Québec en 2025. Pour évaluer les propositions des candidat-e-s à cette occasion, quoi de mieux que d’imaginer ce que pourrait être une ville où les droits humains sont pris au sérieux et qui est organisée autour des principes de liberté, d’égalité et de solidarité.

Dans le contexte de la crise écologique, un premier élément est la reconnaissance effective du droit à un environnement sain. Car la dégradation de l’environnement menace la possibilité même d’existence de la vie humaine sur l’ensemble de la planète et dans les villes en particulier. Plusieurs éléments peuvent contribuer à un environnement sain : la réduction de la pollution due aux transports, pas simplement en remplaçant les voitures individuelles à essence par des voitures électriques, mais en développant de meilleurs transports collectifs et en changeant l’échelle à laquelle nous vivons dans les milieux urbains ; une meilleure répartition des services et des infrastructures collectives, ce qui permet des modes de transport actif ; le développement d’un réseau de transport en commun efficace, financièrement et physiquement accessible, à l’échelle des municipalités, mais aussi entre celles-ci ; la réduction des îlots de chaleur par une meilleure répartition des espaces verts et de la canopée, par la réduction des surfaces minéralisées comme les stationnements, et par une transformation des normes de construction.

Un autre aspect du droit à l’environnement sain, c’est l’accès physique et monétaire à une alimentation saine et en quantité suffisante. À cet égard, les villes doivent prévenir les déserts alimentaires. Elles peuvent cependant faire plus, en permettant la récupération alimentaire auprès des grandes surfaces, en favorisant les initiatives de partage alimentaire (par exemple, en fournissant des locaux à des cuisines collectives), en augmentant le nombre de jardins collectifs.

Un deuxième élément tout aussi central, c’est la reconnaissance que le logement est un droit et non une marchandise. On est loin de cet idéal aujourd’hui si on tient compte du nombre croissant de personnes itinérantes ou sans abri, de la situation des personnes qui doivent vivre dans des logements insalubres ou mal adaptés à leurs besoins, ou encore celle des femmes qui doivent vivre dans un climat de violence conjugale faute de ressources adéquates pour se loger.

Ceci implique un parc immobilier diversifié qui corresponde aux besoins réels de la population, et des quartiers qui favorisent une véritable mixité sociale. En effet, avoir une place à soi est fondamental pour pouvoir développer le sens de sa propre dignité et nouer des relations épanouissantes avec les autres. C’est aussi un élément crucial pour la participation politique et sociale.

Une caractéristique fondamentale des villes par rapport à d’autres milieux de vie, c’est leur formidable pluralité. On y retrouve une diversité de classes, d’origines ethniques, de genres, de sexualités, de religions, de capacités physiques, de cultures. Plutôt que de considérer cette diversité comme une source de problèmes ou encore comme des occasions d’inégalité et de discrimination, il faut plutôt y voir un enrichissement collectif.

Pour cela, il faut développer une saine curiosité pour ces différences plutôt qu’enfermer les citoyen-ne-s dans des ghettos de personnes qui se ressemblent (les algorithmes des réseaux sociaux s’en chargent un peu trop). Le rôle des parcs et des places publiques est à cet égard déterminant. Encore faut-il qu’ils soient accessibles et non privatisés par la festivalite consumériste. Ils doivent également être aménagés pour permettre aux personnes vivant avec un handicap d’en profiter.

Il est aussi nécessaire de maximiser la liberté individuelle et collective. Promouvoir une différence épanouissante, c’est laisser l’espace essentiel au développement d’une identité individuelle qui n’est pas entravée par des restrictions communautaires, ou par les divers mouvements …phobes. La diversité urbaine permet d’observer des choix de vie qui ne sont pas toujours valorisés dans nos milieux d’origine. Les administrations municipales ont donc une responsabilité particulière en ce qui concerne la lutte aux divers types de discrimination et elles doivent jouer un rôle actif dans la promotion de la tolérance et de la cohabitation.

Si les villes ont peu de leviers pour réduire les inégalités socioéconomiques ou ethnoraciales, elles peuvent, par leur politique d’habitation, faire en sorte qu’il n’y ait pas de ghettos. Elles peuvent également veiller à répartir les équipements collectifs comme les parcs, les lieux de pratique sportive, les équipements culturels et à les rendre accessibles physiquement et financièrement. Elles peuvent également utiliser leur statut d’employeur pour promouvoir l’accès à l’égalité en emploi.

Les villes doivent également promouvoir le développement de liens concrets entre personnes différentes qui peuvent être unies par des intérêts communs comme la danse, le chant, la pratique d’un sport ou d’un hobby. Cela permet de surmonter la méfiance envers des gens différents de nous.

Les villes doivent également devenir des lieux de vie démocratique où l’avenir collectif doit être façonné par celles et ceux qui y vivent. Cela va bien au-delà de l’élection périodique de représentant-e-s à un conseil municipal ou encore d’une période de questions ouverte au public lors de leurs réunions. Cela implique, au minimum, une possibilité de participation directe et effective concernant l’aménagement du territoire, les équipements collectifs et les transports publics. Cela implique également une valorisation du travail des organismes communautaires, qui ne doivent pas être perçus uniquement comme des dispensateurs de services, mais comme des acteurs d’amélioration de la participation citoyenne, et qui doivent être soutenus dans ce rôle.

La sécurité ne doit pas dépendre principalement des corps policiers mais du sentiment de partage d’un espace collectif que l’on veut protéger parce que l’on s’y reconnaît et qu’il contribue à notre bien-être. Une attention particulière doit être portée à la sécurité des personnes les plus vulnérables, comme celles vivant avec un handicap physique ou mental, les personnes âgées et les enfants. Il va de soi qu’une ville qui prend au sérieux les droits humains interdit à son corps policier toute pratique de profilage social, racial ou en fonction de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle.

Une ville des droits humains ne doit pas traquer les migrant-e-s qui n’ont pas les bons papiers. Elle doit au contraire leur permettre de vivre en toute sécurité et leur permettre d’échapper au travail esclavagisé ou aux marchands de sommeil et ainsi de contribuer pleinement au développement de la ville dans laquelle elles et ils vivent.

Bref, promouvoir et développer une culture des droits humains doit dépasser le niveau de l’énonciation des principes dans une charte ( ce qui a quand même quelques avantages ). Cela implique d’être à l’affût des discriminations que pourraient induire les diverses politiques publiques dans tous les domaines. Cela entraîne également l’obligation de développer une culture antidiscriminatoire dans les diverses administrations municipales et de faire en sorte que les citoyen-ne-s dans leur diversité puissent se côtoyer et interagir dans les villes et les quartiers qui sont leur milieu de vie partagé. Cela nécessite aussi de prévoir des recours effectifs et accessibles en cas de discrimination.

Certains de ces éléments sont traités de façon plus approfondie dans ce dossier. Lucie Lamarche aborde la question de l’arrimage au droit international pour aller au-delà des vœux pieux, alors que Benoît Fratte et David Robitaille analysent les pouvoirs dévolus aux villes et leur impact potentiel sur les droits humains. Diverses facettes des enjeux liés à l’itinérance sont  abordées  par  Michel Parazelli et le Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes. Les obstacles à la mobilité des femmes en situation de handicap sont analysés par la Table de concertation des groupes de femmes et un bref portrait de la situation sur l’accès à l’égalité à l’emploi dans les municipalités des personnes en situation de handicap est dressé par Elisabeth Dupuis. La participation citoyenne fait l’objet des réflexions d’Elsa Mondésir Villefort. Caroline Toupin traite de l’apport de l’action communautaire autonome, tandis que les Collectivités ZéN nous parlent de la nécessaire transition écologique.

Bonne lecture!