Un carnet rédigé par Nadia Lemieux, organisatrice communautaire au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
Le milieu de l’itinérance montréalais traverse à l’heure actuelle une crise sans précédent. À raison, le travail effectué par les organismes communautaires a été reconnu comme un service essentiel, mais trop peu a pour l’instant été fait pour soutenir les intervenants et intervenantes sur le terrain.
À l’heure actuelle, les ressources n’ont pas reçu d’indications claires quant à la marche à suivre lorsqu’une personne présentant des symptômes grippaux frappe à leur porte. De plus, malgré les annonces, les lieux prévus pour le confinement des personnes en situation d’itinérance qui sont en attente d’un diagnostic ou qui ont été testées positives à la COVID-19 ne sont toujours pas accessibles.
Chaque organisme qui demeure ouvert a mis en place au meilleur de ses moyens des mesures de prévention pour limiter la propagation du virus, mais celles-ci demeurent hautement insuffisantes. Lorsqu’il ne s’agit pas de contraintes d’espaces (comme c’est le cas pour de nombreuses ressources), ce sont les réalités mêmes du travail d’intervention qui rendent difficiles le respect de ces mesures.
Les effets de la crise sanitaire frappent de plein fouet les personnes les plus marginalisées et le milieu communautaire ne peut à lui-seul assurer leur sécurité.
Résultat : aucun moyen efficace de limiter la propagation au sein de la population itinérante à Montréal. À moins d’un revirement immédiat, c’est-à-dire du déploiement en urgence par les différents paliers gouvernementaux de ressources humaines, matérielles et financières, les conséquences seront catastrophiques pour les personnes sans-abri.
Déjà, elles en ressentent durement les contrecoups. Leurs droits à un revenu décent, à la santé, à la sécurité et au logement, qui ne sont jamais assurés même en temps normal, sont pour l’instant complètement laissés pour compte. Les difficultés additionnelles auxquelles elles doivent faire face pendant cette crise comprennent :
- Le refus de l’argent comptant par de nombreux commerçants qui vendent des biens essentiels;
- La surveillance policière accrue dans les espaces publics et les stations de métro, amplifiant les enjeux de profilage social;
- La perte de revenus obtenus en temps normal par la mendicité;
- Pour les travailleuses et travailleurs du sexe, la diminution drastique du nombre de clients qui leur oblige à prendre des risques pour assurer leur survie;
- L’état de désorganisation accentué par la perte de repères et l’anxiété liée au virus;
- Pour les femmes en situation d’itinérance, l’obligation de passer plus de temps dans les espaces publics, causée par la diminution des services dans les centres de jour, ce qui augmente les risques de subir de la violence;
- Pour les personnes qui ont des dépendances à l’alcool ou aux drogues, les graves risques pour la santé que représente le sevrage sont accentués par la difficulté à se procurer ces substances et par la réduction des services en désintoxication.
Les organismes d’aide aux personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être mettent présentement tous les efforts possibles pour limiter les effets de cette crise auprès de leurs communautés. Or, ils ne peuvent affronter ces défis seuls. Le milieu de l’itinérance enjoint donc les trois paliers de gouvernement à coordonner sans plus attendre des mesures de soutien pour s’assurer que le filet social qui protège les personnes sans-abri puisse résister à cette crise sanitaire.
Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.