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Louise Sicuro, C.M., présidente-directrice générale Culture pour tous
Depuis le tournant des années 60, le Québec s’affirme comme une nation moderne en favorisant la création d’œuvres originales ancrées dans sa réalité et en valorisant la maîtrise la plus achevée des moyens d’expression artistique permettant une appropriation authentique du patrimoine culturel de l’humanité.
En alignant ses politiques, initiatives et investissements sur la poursuite de l’excellence artistique, le développement d’une industrie culturelle performante et la consolidation d’institutions culturelles inscrites dans la durée, l’État québécois est parvenu à développer une offre artistique et culturelle abondante, constamment renouvelée et de plus en plus appréciée ici et à l’échelle de la planète. Il y a donc des avancées à célébrer.
Cependant, force est de constater que, pour la majorité de la population, la participation artistique et culturelle n’atteint pas le niveau escompté. L’accès de toutes et tous à la culture demeure encore un défi à relever. Ici, comme dans les autres démocraties, on constate qu’en culture, l’offre ne détermine pas la demande. L’accroissement de la participation active à la vie artistique et littéraire résulte plutôt d’un travail systématique d’éducation, de sensibilisation et de médiation qui doit être fait, sans quoi l’offre culturelle admirable stimulée et soutenue par l’État, le mécénat et la commandite restera confinée à une fraction de la population qui a eu le privilège d’être initiée et en a les moyens financiers.
Mais avant d’exister comme produit à vendre ou à consommer, la culture est créée, exprimée et vécue par les gens dans leur communauté. Elle est le socle à partir duquel nous existons, communiquons et appréhendons le monde. Elle nous protège, nous pare et donne à voir qui nous sommes, qui nous voulons être et avec qui nous voulons et devons partager notre destin.
La structure même de notre psychisme a, en effet, besoin de créer des signes de sa propre existence, de s’exprimer à l’oral, à l’écoute, par le jeu. En stimulant sa sensibilité et ses capacités d’expression, chacun-e est à même d’exercer sa citoyenneté. L’acquisition des savoirs – alphabétisation, créativité, connaissances, …— est essentielle à l’exercice des choix – économiques, sociaux, écologiques et politiques. Les droits culturels sont à la fois facteurs de développement, d’émancipation et de participation.
Pour augmenter le capital social et renforcer les ancrages de la démocratie, pour éviter les ruptures et l’exclusion, pour que chacun-e soit capable d’innover, de participer à la création d’un avenir durable, nous devons impérativement intégrer la culture dans nos politiques de développement.
Une politique authentique de développement humain est indissociable d’une politique de la culture et d’une culture quotidienne de la participation et de la coresponsabilité.
Partout où culture, savoir, droits ou patrimoine sont menacés ou mis en veilleuse par le pouvoir, il en résulte tensions, abus, conflits armés et désespoir.
Le développement durable implique une responsabilité, une éthique consciente de l’avenir, un souci du bien-être collectif qui commandent la mise en place de pratiques innovantes.
Agir avec ambition et persévérance
C’est à partir de ces idées que nous avons esquissé, il y a 20 ans, les contours de ce qui allait devenir les Journées de la culture. Nous cherchions à transcender les notions transactionnelles de développement des publics pour nous rapprocher de celles des droits culturels et de l’inclusion.
Le pari était aussi simple qu’ambitieux : il s’agissait de renouveler un modèle de démocratisation culturelle qui reposait surtout sur la responsabilité de l’État et de ses ministères comme ceux de la Culture et de l’Éducation. Nous avancions l’idée que les artistes, les travailleuses et travailleurs culturels avaient tout intérêt à initier et à orchestrer un mouvement volontaire et militant visant à une appropriation des arts et de la culture par les citoyen-ne-s.
Nous soutenions, et soutenons toujours, que cette attitude d’engagement est indissociable du propos et des idées à la base des Journées. Elle nous donne une force et un pouvoir de persuasion d’autant plus grands que l’initiative repose sur des gens, des organismes et des instances qui s’y engagent librement, qui agissent par conviction et font preuve d’une solidarité authentique avec leurs concitoyen-ne-s.
Les Journées de la culture jouent maintenant un rôle de porte-voix dont on entend les échos jusque dans les plus petites communautés alors que de plus en plus d’élu-e-s, d’enseignant-e-s, de parents, de médias revendiquent le droit à une vie culturelle riche et diversifiée. Les Journées de la culture sont nées de cette volonté de démontrer qu’il n’y a pas d’émancipation possible d’une société sans un réel travail d’éducation à la culture.
On peut se réjouir du chemin bien réel que nous avons parcouru, mais on ne peut occulter le travail qui reste encore à faire pour enraciner l’expérience culturelle dans les milieux de vie.
On ne peut plus faire l’économie d’actions concertées de démocratisation de la culture sans compromettre la solidité et la durabilité du lien social. La culture doit se poser au cœur de nos stratégies de développement, car elle parle de valeurs, crée de la valeur, met en relation et conditionne les comportements.
L’enjeu de la démocratisation culturelle est d’une importance cruciale pour le Québec, dont le dynamisme artistique et culturel est devenu une condition sine qua non d’affirmation, de différenciation ou même de survie à l’ère numérique sans frontières.
Quant au mieux vivre ensemble tant recherché, il ne sera possible que s’il s’incarne dans des actions quotidiennes en concevant des espaces publics de diversité où la rencontre des différences permet l’épanouissement des individus et la cohabitation pacifique et enrichissante.
La culture, ça s’apprend
On n’y échappe pas. L’initiation aux arts et à la culture doit commencer dès le jeune âge, dans la famille, à la garderie puis à l’école, qui a un immense rôle à jouer. Il faut bonifier l’accès aux arts et leur fréquentation à tous les niveaux des ordres d’enseignement. Ne pas le faire ne fera qu’accentuer la coupure entre culture et citoyenneté.
Pour ce faire, nous ajoutons qu’il est plus qu’urgent que la formation des maîtres soit revue afin de donner toutes les ressources possibles aux futurs enseignant-e-s pour qu’elles et ils deviennent de véritables passeurs culturels, comme prescrit dans le référentiel de compétences de la profession enseignante.
On le sait, les effets de l’art et de la culture intégrés dans l’éducation scolaire des jeunes sont importants et de plus en plus documentés : estime de soi, réussite, plaisir, développement de la sociabilité et de la créativité, sans compter que les expériences culturelles permettent aux enseignant-e-s de mieux connaître leurs élèves et aux élèves de se connaître entre eux.
C’est dans cette perspective que Culture pour tous travaille à créer un réseau d’écoles primaires et secondaires appelées à intégrer au quotidien les arts et la culture à l’ensemble de leur projet éducatif. Appelé Hémisphères | culture-éducation, ce projet-pilote met de l’avant la découverte, la créativité, le pluralisme et la communauté en amenant les élèves à explorer toutes leurs potentialités, qu’elles soient cognitives, langagières, motrices, sensibles, etc.
Microcosme de la société, c’est à l’ensemble des personnes au cœur de la vie de l’École que le projet Hémisphères est destiné : parents, service de garde, personnel de soutien, enseignant-e-s, directions, élèves.
L’école pourrait alors devenir un terreau fertile pour stimuler la sensibilité et les capacités d’expression de chacun-e en vue d’exercer sa citoyenneté fièrement et pacifiquement.
La culture peut être vue comme une étoffe qui n’en finit jamais d’être tissée! Il faut tisser avec des fils qui vont faire se tenir l’étoffe dans la durée!
Le grand défi du XXIème siècle est celui d’une prise de conscience de notre appartenance à la communauté humaine mondiale. Cela passe aujourd’hui par notre volonté et notre capacité à reconnaître l’apport de l’autre dans toute sa différence, son unicité et ses droits. Ici, au Québec, cela demande valorisation et réconciliation avec les Premières Nations, inclusion véritable des immigrant-e-s et des réfugié-e-s et ouverture illimitée à la solidarité humaine qui sera la condition ultime de notre survie et de notre épanouissement à l’échelle individuelle et collective.