La réunification familiale : un enjeu essentiel

Le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) demande la mise en place d’un système d’entrée express pour réunir les familles. Comme les personnes immigrantes sont confrontées à plusieurs obstacles lorsqu’elles tentent d’immigrer au Canada, le gouvernement devrait en faire davantage pour protéger les droits humains des réfugiés et revoir son principe de réunification familiale.

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Robin Marchioni, stagiaire
Ligue des droits et libertés

Le système canadien de réunification familiale souffre d’importantes lacunes : retard dans le traitement des demandes, procédures beaucoup trop strictes… qui font que de nombreuses familles se retrouvent séparées pour une durée interminable. En raison de leur situation particulière, les réfugié-e-s se trouvent encore plus affectés par ces barrières.

Les obstacles à la réunification familiale

La longueur du temps d’attente constitue un obstacle majeur à la réunification familiale. En effet, la durée de traitement des demandes de réunification pour les membres de la famille des personnes réfugiées est en moyenne de 31 mois. En Afrique, plus particulièrement au bureau des visas canadiens à Nairobi, la durée interminable des délais de traitement atteint son paroxysme : la moitié des cas prennent plus de 38 mois à être traités[2].

Depuis janvier 2015, le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) mène une campagne pour demander la mise en place d’un système d’entrée express pour réunir les familles. Leurs revendications visent à faire en sorte que les enfants puissent être réunis avec leur famille en six mois ou moins, à l’instar du programme Entrée express des immigrant-e-s économiques pour lequel l’objectif est un délai de moins de six mois[3].

Un autre obstacle important à la réunification familiale est la règle des « membres de la famille exclus ». Cette règle a pour effet d’exclure une personne membre de la famille si elle n’a pas été signalée par la répondante ou le répondant au moment de son entrée sur le territoire canadien[4]. Elle ou il ne pourra donc jamais parrainer cette personne par la suite.

Le problème systémique entraîné par cette disposition se manifeste de deux manières.

Pour des raisons très complexes et variées, certaines personnes réfugiées n’incluent pas leur enfant dans leur demande d’immigration. Par conséquent, il sera au pire impossible, au mieux extrêmement difficile de faire en sorte que cet enfant puisse rejoindre sa famille par la suite. Et ce, alors même que la situation de l’enfant et de la famille est particulièrement difficile.

Ce sont souvent des craintes qui poussent les personnes à ne pas dévoiler qu’elles ont des enfants au moment d’arriver au Canada. De plus, les personnes réfugiées ont souvent des difficultés à maîtriser tous les éléments de procédure concernant l’immigration et sont parfois victimes de mauvaises informations (voir le témoignage en encadré).

Dans d’autres cas, les personnes concernées ont informé les agent-e-s frontaliers de l’existence d’une personne à charge au moment de leur arrivée, sans pour autant l’indiquer dans leur demande d’immigration. La résidence permanente leur sera quand même accordée, mais toute demande de réunification familiale sera refusée sur la base de l’article 117(9)(d), au motif que la personne aurait dû, dès son arrivée au Canada, indiquer l’identité de ce membre de sa famille.

De nombreux témoignages font état du cas d’un enfant né après le moment d’introduction de la demande d’immigration. D’où l’importance de mettre en place des mesures pour réduire les délais de traitement des demandes d’immigration de la part des réfugié-e-s.

Globalement, la manière dont est mis en œuvre le système d’immigration ne tient pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à être réuni avec sa famille, mais fait prévaloir aveuglément le respect à la lettre des procédures.

En outre, la législation envisage uniquement l’enfant comme l’enfant biologique ou adopté. Or, il est parfois extrêmement difficile pour les personnes réfugiées de se procurer des documents officiels, comme des certificats de naissance. Par conséquent, des tests d’ADN sont souvent nécessaires pour prouver le lien de parenté, ce qui allonge encore le temps d’attente et entraîne des dépenses importantes pour la personne réfugiée[5]. C’est sans parler des cas où les tests n’établissent pas de lien biologique entre le père et l’enfant, auquel cas la famille se retrouvera automatiquement séparée.

 

Les enjeux en matière de droits humains

Les conséquences humaines de cette séparation pour les familles sont considérables. Ces personnes réfugiées subissent en quelque sorte une double victimisation : non seulement elles ont vécu la persécution et la violence, mais en plus elles se trouvent désormais séparées de leur famille. Les personnes touchées subissent cela avec un sentiment d’incompréhension, d’injustice et même parfois d’impuissance qui peut durer de longues années.

Les obstacles à la réunification familiale vont aussi à l’encontre des droits de l’enfant. En effet, la Convention relative aux droits de l’enfant, dont le Canada est signataire, affirme que l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents, l’exception étant le cas où la séparation est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant[6]. Ce critère de l’intérêt de l’enfant est l’élément essentiel en matière de droits de l’enfant, et s’exprime par la notion d’ « intérêt supérieur de l’enfant ». Selon la Convention relative aux droits des enfants, cette notion doit être la considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants[7].

De plus, il existe pour les États une obligation de traiter les demandes de réunification familiale « dans un esprit positif, avec humanité et diligence[8] ». En 2003 déjà, le Comité des droits de l’enfant recommandait au Canada « de veiller à la rapidité des procédures en matière de regroupement familial[9] ». Ainsi, les situations de réunification familiale bénéficient d’une protection renforcée en droit international.

Le gouvernement canadien a un comportement non seulement contraire à ses engagements internationaux mais surtout lourd de conséquences pour la vie des enfants et des familles touchées. En tant que partie à la Convention relative aux droits de l’enfant, le Canada se doit de prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter ses obligations.

 

Qu’est-ce que le gouvernement pourrait faire?

Il y a eu récemment un changement de cap important dans la politique d’immigration : le gouvernement fédéral a placé comme priorités l’accueil des réfugié-e-s mais également la réunification familiale[10]. On peut d’ores et déjà se féliciter du fait que ces deux objectifs semblent aller de pair aux yeux du nouveau gouvernement. L’objectif annoncé pour cette année est d’accueillir au moins 80 000 personnes dans le cadre du programme de réunification familiale, soit 12 000 personnes de plus que l’objectif fixé en 2015. Pour éviter un allongement des délais de traitement des demandes, le gouvernement prévoit une augmentation budgétaire de 25 millions de dollars pour l’exercice 2016-2017, puis de 50 millions par an jusqu’en 2020.

Il convient de saluer ces mesures gouvernementales qui démontrent une volonté d’accélérer le traitement des demandes de réunification familiale. Toutefois, ces mesures, bien que concrètes, restent essentiellement budgétaires. En effet, il n’est aucunement fait mention du délai de six mois pour la réunification expresse des enfants, alors que cet objectif est revendiqué par les groupes de soutien aux réfugié-e-s. Il y a donc lieu de rester attentif et d’observer avec attention les résultats entraînés par cette nouvelle politique d’immigration.

En outre, d’autres progrès restent à faire pour lutter efficacement contre les obstacles systémiques qui persistent en matière de réunification familiale.

Concernant la catégorie des membres de la famille exclus, le gouvernement pourrait, à défaut d’annuler cette règle, faire preuve de beaucoup plus de compréhension dans le traitement des demandes pour motifs humanitaires. Notamment, l’intérêt supérieur de l’enfant devrait prévaloir dans l’évaluation de ces demandes.

Le gouvernement doit prévoir ou encourager une définition de la notion de famille qui soit la plus large possible. Cette attitude inclusive permettrait de prendre en compte les différentes acceptions de ce qu’est une famille au sein des différentes cultures. Par exemple, une déclaration émanant d’une autorité religieuse selon la loi islamique devrait être considérée comme prouvant un lien de parenté. Les autorités canadiennes continuent d’exclure systématiquement des documents émanant de certains pays, alors que les documents provenant des pays du Nord seront, eux, jugés fiables[11].

Il reste donc du chemin à parcourir pour combler les énormes lacunes du système de réunification familiale, particulièrement en ce qui concerne les personnes réfugiées. Mais les annonces récentes du gouvernement constituent, on espère, un premier pas dans ce sens.

 

Victimes de la discrimination, de l’oppression et de l’article 117(9)(d)

Extrait d’un témoignage publié par le Conseil canadien des réfugiés[12]

En 2003, Shankari fuit au Canada, échappant ainsi à son mari violent. Elle a dû laisser derrière elle ses deux fils aux soins de sa mère. Au Canada, Shankari s’est vu reconnaître le statut de réfugié et son plus jeune fils a pu la rejoindre en 2006. Cinq ans après sa fuite par contre, son fils ainé, Akino, est toujours au Sri Lanka, séparé de sa mère et de son frère, à cause de l’article 117(9)(d).

Akino est le fils que Shankari a eu de son premier mari, un Chinois qui a quitté le Sri Lanka, abandonnant sa femme, avant la naissance d’Akino. Shankari et Akino se sont donc retrouvés dans une situation vulnérable : elle, une mère célibataire et lui, un enfant d’ethnicité mixte, soumis à la discrimination.

Quand elle est arrivée au Canada comme demandeur du statut de réfugié, Shankari n’a pas divulgué l’existence de son premer fils, Akino, à cause des peurs reliées à la situation d’abus qu’elle fuyait. Elle a été par la suite malencontreusement conseillée par quelqu’un de ne pas corriger l’omission au cours du processus de reconnaissance du statut de réfugié.

Après avoir appris qu’Akino est exclu de la réunification avec elle, Shankari s’est tournée avec une angoisse grandissante vers de nombreux individus et organismes afin de chercher de l’aide. Ce n’est qu’en 2007 qu’elle a été référée à une organisation qui l’aide à faire une demande pour considérations d’ordre humanitaire au nom de son fils Akino.

Bibliographie

[1]Cet article est principalement basé sur les informations publiées par le Conseil canadien pour les réfugiés, qui mène une importante campagne pour la réunification familiale. http://ccrweb.ca/fr/reunification-familiale

[2] CCR, Nairobi : longs délais : http://ccrweb.ca/fr/nairobi.

[3]Entrée express pour réunir les familles : http://ccrweb.ca/sites/ccrweb.ca/files/family-reunification-profiles-2015-fr.pdf.

[4]Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, art. 117(9)(d)).

[5] CCR, Impact de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sur les enfants : http://ccrweb.ca/sites/ccrweb.ca/files/static-files/childrenfr.pdf, p. 12 à 15.

[6]Convention relative aux droits de l’enfant, adoption : 20 novembre 1989, entrée en vigueur : 2 septembre 1990, ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991, art. 9(1).

[7] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 3(1).

[8] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 10(1).

[9] Comité des droits de l’enfant, Observations finales : Canada, 27 octobre 2003, para 47(f). Le Comité confirme ici ses inquiétudes déjà émises dans son rapport de 1995 concernant le Canada.

[10] CBC, Liberals shift immigration focus to family reunification, refugee resettlement, 8 mars 2016 : http://www.cbc.ca/news/politics/liberals-immigration-levels-plan-2016-1.3479764.

[11] CCR, supra note 7, p. 15.

[12] Conseil Canadien pour les Réfugiés, « Victimes de la discrimination, de l’oppression et de l’article 117(9)(d) », Séparés à jamais : les membres de la famille exclus, avril 2008. »http://ccrweb.ca/sites/ccrweb.ca/files/famexcluprofilsfr.pdf

 

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