Retour à la table des matières
Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025
La transition écologique, ça concerne tout le monde !
Entretien avec Nadia Lemieux, Chargée de projet, Collectivité ZéN Québec
Propos recueillis par Elisabeth Dupuis, Responsable des communications, Ligue des droits et libertés
Les changements climatiques touchent directement les municipalités, des plus petites aux plus populeuses, qui font de plus en plus face à des événements extrêmes causant des dommages considérables aux infrastructures et mettant en danger les populations. Les effets visibles des changements climatiques étant souvent d’ordre matériel, plusieurs municipalités se concentrent davantage sur des transformations d’ordre technique comme les mesures d’adaptation aux changements climatiques.
Un aspect rarement abordé par les municipalités est celui de la justice sociale en tant que pilier d’une transition écologique réussie, qui « suppose que l’on revoie en profondeur plusieurs pans de l’activité humaine, particulièrement le modèle économique, les modes de production et de consommation1 ». Cette proposition représente une voie déterminante à saisir par les collectivités et par les municipalités. Les mobilisations citoyennes sont au cœur de ce mouvement pour une transition écologique porteuse de justice sociale. Elles s’incarnent à travers différents groupes et coalitions de la société civile et développent des initiatives porteuses d’avenir.

Des mobilisations citoyennes
Le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ), composé de plus de 90 membres à l’échelle du Québec, incluant la Ligue des droits et libertés, a lancé le projet Collectivités Zéro Émission Nette (ZéN) dans la foulée de l’élaboration d’une feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité appelant à la création de communautés résilientes. Depuis 2021, huit Collectivités ZéN se sont implantées à travers le Québec à des échelles locale ou régionale (Québec, Lachine, Laval, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Outaouais, Ahuntsic-Cartierville, Gaspésie, Rimouski), s’appuyant sur une démarche de coconstruction et d’innovation sociale. Ces projets collectifs sont accompagnés par le FCTÉ, mais portés par des organisations locales, dont des organismes communautaires, des groupes citoyens et parfois des institutions. « Le but du projet est de rassembler, mailler et accompagner le maximum d’organisations d’un territoire, pour mettre en œuvre, de façon concertée, une transition menant à la justice sociale et au respect des limites planétaires, incluant la carboneutralité2 ». Il s’agit d’une réelle transformation systémique touchant tous les aspects de la vie sociale qui est visée.
En complémentarité
L’action des Collectivités ZéN est à la fois différente et complémentaire d’une planification de la transition par une ville ou par une municipalité régionale de comté (MRC). Elle s’appuie sur une démarche ascendante de coconstruction qui implique que plusieurs membres de la collectivité travaillent activement à la planification au lieu d’être uniquement consultés dans un processus piloté par un acteur municipal ou encore, gouvernemental.
Dans une optique d’innovation sociale, les Collectivités ZéN contribuent à créer ensemble un imaginaire positif du futur qui soit rassembleur et engageant. Pour ce faire, elles sont soutenues par le milieu de la recherche, à travers l’accompagnement du projet Chemins de transition de l’Université de Montréal. Une méthodologie éprouvée permet de coconstruire, avec des citoyen-ne-s rassemblé-e-s lors d’ateliers, une vision citoyenne du futur. À Québec, par exemple, une vingtaine d’ateliers d’exploration du futur a permis de rejoindre près de 200 personnes pour élaborer une vision du futur de la ville. Cette vision, qui sert de phare à la transition, aborde des thématiques aussi variées que le pouvoir d’agir collectif, les milieux de vie, le modèle économique et le tissu social. Lorsque la vision est coconstruite, elle s’ancre davantage dans la communauté et suscite une forte mobilisation citoyenne autour de projets communs. Les municipalités peuvent ensuite intégrer ces visions dans leur propre planification en matière d’action climatique ou de transition.
Si plusieurs municipalités ou MRC sont proactives sur le plan de l’adaptation aux changements climatiques, les aspects de justice sociale sont encore trop peu pris en compte dans le contexte de leur transition écologique.

Des décisions de la base
Pour lutter efficacement contre les changements climatiques, Nadia de la Collectivité ZéN de Québec considère que le leadership se doit d’être partagé entre les municipalités et les populations. La ville est évidemment un acteur majeur, car elle dispose de leviers et de compétences pouvant avoir un impact direct sur l’atteinte de la résilience d’une collectivité ; pensons notamment au transport, à l’aménagement du territoire ou à l’habitation. Ainsi, la ville possède des pouvoirs, une force de frappe importante et des fonds qui pourraient servir à soutenir et encourager plus adéquatement les initiatives et les projets qui émergent de l’action citoyenne, par exemple pour protéger les milieux naturels ou renforcer l’autonomie locale dans les quartiers.
Les décisions concernant les changements à mener doivent naître des populations directement concernées par les transformations de leurs milieux de vie. Dès le début, elles doivent participer à la planification de la transition socioécologique et faire partie de toutes les étapes de sa mise en œuvre. En ce sens, Nadia relève un manque de pouvoir d’agir des citoyen-ne-s en général, qui disposent de peu d’accès aux sphères décisionnelles les concernant. Les Collectivités ZéN sont des exemples de nouveaux espaces de dialogue et de travail collectif visant à renforcer le pouvoir d’agir des citoyen-ne-s et des différents acteurs locaux concernés par les transformations à venir.
Il arrive souvent que les villes préconisent une logique de sensibilisation, d’éducation ou de communication cherchant à changer le comportement des citoyen-ne-s. Cette approche nuit à l’obtention d’une réelle adhésion aux actions en faveur de la transition écologique, car elle n’est pas en adéquation avec le renforcement du pouvoir d’agir des citoyen-ne-s. Une participation concrète aux transformations exige que les citoyen-ne-s fassent valoir leurs réalités et besoins et mettent de l’avant leur propre vision pour leur quartier.
Le soutien des villes est nécessaire pour permettre aux diverses initiatives de se déployer pleinement. Des niches de transition socioécologiques, par exemple des espaces collectifs ou des tiers lieux, sont des lieux d’expérimentation, de solidarité, d’inclusion, où de nouvelles façons d’être ensemble se dessinent. D’autres projets porteurs peuvent avoir une approche entrepreneuriale qui veut le bien-être collectif plutôt que l’enrichissement. À travers le Québec, de telles initiatives se créent et s’inspirent mutuellement, ce qui fait émerger un mouvement plus large et renforce la résilience des communautés.
Plus qu’un défi technique
Les villes doivent s’extirper du discours expert, purement technique de la lutte aux changements climatiques et de l’adaptation, car la transition n’est pas un simple défi technique. Ce sont des changements structurants, à tous les niveaux, nécessaires pour appréhender la transition écologique. Prenons l’exemple d’un plan de verdissement d’un quartier proposé par une municipalité qui se limiterait au nombre d’arbres à planter. Les Collectivités ZéN considèrent que l’apport de la population aux solutions de ce type permet d’aller au-delà des considérations sur un nombre d’arbres optimal. En impliquant les citoyen-ne-s dans des espaces de dialogue pour qu’ils et elles expriment leurs besoins concrets, une politique de verdissement a le potentiel d’améliorer concrètement les conditions de vie et l’équité au sein des quartiers.
L’exemple du projet en verdissement de L’Engrenage Saint-Roch est éloquent. Le quartier Saint-Roch est l’un des quartiers de Québec avec le taux de canopée le plus faible et où se trouvent plusieurs îlots de chaleur. L’organisme, travaillant auprès des personnes à faible revenu et des personnes en situation d’itinérance, pilote le projet Verdir Saint-Roch, financé par la ville, pour favoriser « la création de lieux communs et d’initiatives d’aménagement durable3 ». Ce projet a impliqué les personnes de la communauté dans tout le processus, de la plantation à l’entretien. Ce projet est une alternative aux habituelles plantations dans des bacs de la ville, parfois laissés à l’abandon après quelque temps, car il renforce l’autonomie des participant-e-s.
Leadership de la ville
Si de nombreux groupes sur le terrain et citoyen-ne-s sont déjà engagés et convaincus de l’importance d’agir, ils peuvent aussi vivre un certain découragement. Un climat d’impuissance peut s’installer face à d’autres acteurs du territoire, comme les grandes entreprises, pour qui le business as usual se poursuit. Dès lors, les citoyen-ne-s ont des attentes par rapport à la ville : elle doit mettre à profit ses leviers politiques et réglementaires pour amener les entreprises et la grande industrie à réduire leurs impacts environnementaux et à s’impliquer davantage dans la transition socioécologique.
Bien souvent, la ville se trouve en porte-à-faux avec, d’un côté, le développement économique et la recherche de nouvelles recettes fiscales et, de l’autre, les impératifs de la transformation socioécologique. Le pouvoir d’agir de la base, malgré les efforts qui visent à le renforcer, continue de se buter au pouvoir et aux actions des acteurs très influents.
Dans une optique de justice environnementale, la ville doit reconnaître que certains groupes sont plus affectés que d’autres par les impacts des crises environnementales, d’autant plus que ces groupes sont ceux qui y contribuent le moins. Pour Nadia, dans le but de renforcer le pouvoir d’agir, il est nécessaire que la ville accorde une place importante à ces groupes traditionnellement exclus des espaces décisionnels. La ville peut travailler plus étroitement avec les organismes communautaires intervenant auprès des personnes marginalisées afin de prendre en considération leur réalité dès la planification. Dans le cadre des plans d’adaptation aux changements climatiques, les Directions de santé publique s’impliquent proactivement pour identifier les bulles de vulnérabilité de différentes populations, et pour éviter de renforcer certaines inégalités sociales.
[la ville] doit mettre à profit ses leviers politiques et réglementaires pour amener les entreprises et la grande industrie à réduire leurs impacts environnementaux et à s’impliquer davantage dans la transition socioécologique.
Réelle participation citoyenne
Il arrive que des villes s’étonnent de l’opposition citoyenne à des projets dits positifs sur le plan de l’adaptation aux changements climatiques ; elles oublient que les citoyen-ne-s sont mis, souvent, devant le fait accompli. Il arrive que l’information soit publiée dans les médias plutôt qu’à travers des séances d’information ou de consultation à la ville.
Il faut se rappeler que les villes axent leurs démarches sur l’atteinte de l’acceptabilité sociale, un concept qui, selon la Ligue des droits et libertés et le Regroupement québécois des groupes écologistes, est du ressort du « marketing enrobé dans un langage qui lui donne un vernis social progressiste4 ».
La participation citoyenne à la prise de décisions est l’un des trois piliers du droit à un environnement sain, avec l’accès à l’information et l’accès à la justice. Il faut comprendre que « le droit à un environnement sain est un droit humain, universel, inaliénable, interdépendant et indissociable des autres droits humains. Pour qu’il soit respecté, plusieurs conditions démocratiques5 » doivent être réunies en plus des éléments environnementaux comme la qualité de l’eau ou de l’air, par exemple. Cela dit, une réelle participation citoyenne requiert que les personnes fassent partie des transformations, avec un réel pouvoir d’agir. Pour y arriver, une décentralisation du pouvoir doit être envisagée. À Québec, les conseils de quartier pourraient être renforcés en ce sens. Pour le moment, leur rôle réside dans la consultation citoyenne, mais ultimement ces instances pourraient détenir plus de pouvoir. En revanche, cette restriction de pouvoir n’a pas empêché un conseil de quartier de se mobiliser, de défendre les droits des populations locales et de s’exprimer dans l’espace public sur les enjeux de la qualité de l’air à Québec.
Les Collectivités ZéN espèrent que les villes prennent acte de leurs travaux, comme leurs visions du futur, qui illustrent des consensus grandissants en matière de transformations systémiques à opérer. La légitimité de la démarche vient de la coconstruction avec des groupes citoyens et des organismes locaux. Les villes ont tout intérêt à tenir compte des perspectives qui émergent de la société civile et des initiatives citoyennes, qui défrichent déjà le chemin vers le monde de demain.
1 En ligne : https://www.pourlatransitionenergetique.org/les-criteres-dune-transition-energetique-porteuse-de-justice-sociale/
2 En ligne : https://www.pourlatransitionenergetique.org/le-projet-collectivite-zen/
3 En ligne : https://www.engrenagestroch.org/projets/verdir-saint-roch/
4 Ligue des droits et libertés, Le droit à un environnement sain : trois piliers démocratiques à défendre, Montréal, Québec, 2024.
5 Ibid.