Le Protecteur du citoyen, un pouvoir limité

Le Protecteur du citoyen, organisme public censé représenter les personnes incarcérées au Québec et leurs droits, fait preuve d’un réel manque de transparence et d’une non-collaboration avec le secteur communautaire, nécessitant un changement de leurs pratiques, afin de mieux protéger les individus.

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Droits et libertés, printemps / été 2024

Le Protecteur du citoyen, un pouvoir limité

Daniel Poulin-Gallant, criminologue, directeur chez Alter Justice

Le Protecteur du citoyen (PC) joue un rôle bien particulier qu’il est important d’examiner. Créée en 1968 à la suite de l’adoption de la Loi sur le Protecteur du citoyen (LPC), cette organisation a le mandat de recevoir, d’examiner et de traiter les plaintes des citoyen-ne-s envers l’administration publique1. Sa mission est d’assurer le respect des droits des citoyen-ne-s dans leurs relations avec les services publics ainsi que de veiller à l’intégrité et à l’amélioration desdits services. Le PC se veut donc, en quelque sorte, le chien de garde de la société vis-à-vis du gouvernement du Québec.

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L’organisation a le rôle tout particulier d’être l’ombudsman correctionnel en ce qui concerne les prisons gérées par le gouvernement du Québec. Il surveille donc les instances de contrôle des populations criminalisées et de la gestion des sentences ordonnées par l’appareil de justice pénale. Autrement dit, le PC scrute les actions du ministère de la Sécurité publique et des établissements de détention afin de s’assurer qu’ils respectent leurs obligations légales et les droits des personnes incarcérées. Son rôle est similaire à celui des organismes parapublics que l’on retrouve dans d’autres provinces (Ombudsperson British Columbia, Alberta Ombudsman, Ombudsman Ontario, etc.).

Des constats récurrents

Dans ses rapports annuels – et ses rapports d’enquêtes spéciales – plusieurs constats reviennent de façon assez régulière, et ce, depuis au moins le début des années 1980. Il est question entre autres d’atteintes aux droits des personnes incarcérées prévus dans la Loi sur le système correctionnel du Québec et protégés par les Chartes québécoise et canadienne, de délais et d’attentes déraisonnables pour avoir accès à des services de base (soins de santé, programmes, visites, etc.) ainsi que de lacunes dans la gestion des sentences. Les rapports annuels d’Alter Justice, organisme en défense des droits des personnes judiciarisées et incarcérées, abondent en ce sens.

Lorsque le PC reçoit des plaintes des citoyen-ne-s, en communauté ou en prison, une évaluation est effectuée afin de savoir si la plainte est recevable. La plainte peut ensuite être prise en compte et examinée, ou rejetée. Il arrive aussi qu’aucune suite ne soit donnée aux plaintes, parce que la personne plaignante qui était incarcérée a été libérée avant le traitement de sa plainte. En 2022-2023, un peu moins de 10 % des appels et des plaintes déposées au PC ont été considérées comme fondées. Cette faible proportion est constante depuis au moins 2018-2019. C’est donc dire que la majorité des plaintes sont jugées non fondées ou sont réorientées vers d’autres ressources externes2. Est-ce le rôle de l’organisation qui est mal compris par la population carcérale, comme on l’entend parfois, ou la situation appelle-t-elle plutôt à examiner le traitement des plaintes qu’effectue le PC et à envisager une réforme de son rôle ?

L’opacité des travaux et enquêtes du Protecteur du citoyen en matière correctionnelle fait écho à l’opacité des services correctionnels du Québec. Comment faire, dans une telle situation, pour obtenir de l’information claire, précise et à grande échelle sur les réalités carcérales ?

Cette question mérite d’être posée et fait écho aux expériences partagées par des femmes interviewées dans le cadre d’une recherche d’Ismehen Melouka (2021), candidate au doctorat en criminologie à l’Université de Montréal3. Les femmes rencontrées à l’Établissement de détention pour femmes de Laval (appelé le Leclerc) ont presque toutes mentionné que les processus de plaintes ne leur sont pas expliqués et que c’est souvent par les propos rapportés par d’autres détenues qu’elles s’informent. Les intervenant-e-s d’Alter Justice entendent aussi de tels témoignages dans leur pratique, et ce, assez régulièrement. Pourtant, l’information nécessaire à la défense de ses droits devrait être clairement offerte aux personnes incarcérées par les autorités carcérales.

Des femmes interrogées par Melouka font également part du fait qu’elles se retiennent de formuler des plaintes, non seulement par manque de connaissances, mais également par manque de confiance, par peur de représailles par des agents correctionnels et d’autres détenues, ainsi que par crainte d’aggraver la situation. Et lorsque des femmes entreprennent un processus de plainte, plusieurs conséquences sont relatées, telles qu’une perte de privilèges (se promener librement, travailler et passer du temps à l’extérieur de la cellule) et des mesures disciplinaires non justifiées à leur endroit ainsi qu’à l’ensemble de leur unité (obligation d’effectuer des travaux, fouilles de cellules abusives et deadlocks). Nombreux sont les témoignages de personnes disant que « cela ne sert à rien » ou relatant que la situation problématique n’a pas changé à la suite d’une plainte.

Le PC n’évalue pas l’appréciation des personnes incarcérées concernant son traitement des plaintes. En réponse à une demande d’accès à l’information, le PC déclarait en juin 2023 que « les personnes incarcérées ne sont pas sondées dans le cadre de [ses] sondages de satisfaction de la clientèle ».

Mentionnons par ailleurs que les rapports annuels du PC ne font pas mention des problématiques sur lesquelles l’organisation se penche et de celles sur lesquelles elle refuse de se pencher. En effet, les rapports annuels et les informations rendues publiques sont avares de détails, outre quelques cas triés sur le volet et présentés dans des encadrés. Il est difficile dans un tel contexte de connaître la nature des informations transmises par l’équipe du PC aux personnes incarcérées et la pertinence de ces informations.

Visites des établissements de détention par le Protecteur du citoyen, 2015-2023

Établissements 2015-
2016
2016-
2017
2017-
2018
2018-
2019
2019-
2020
2020-
2021
2021-
2022
2022-
2023*
Total
Amos 1 1
Baie-Comeau 1 1
Montréal- Bordeaux 1 1 1 2 5
Hull 1 1 2
Leclerc-Laval 2 1 1 1 1 6
New-Carlisle 1 1 1 3
Percé 1 1 2
Québec (homme) 1 1 1 3
Québec (femmes) 1 1 2
Rivières-des- Prairies (RDP) 1 1 1 3
Rimouski 1 1 1 3
Roberval 1 1 1 3
Sept-Iles 1 1
Sherbrooke 1 1 1 1 4
Sorel 1 1 1 1 4
Saint-Jérôme 1 1 1 1 4
Trois-Rivières 1 1 1 3
Total 14 11 3 5 3 4 2 8 50

Source : Données obtenues auprès du Protecteur du citoyen.

* Jusqu’au 28 août 2023.

Peu de collaboration avec le communautaire

Les organismes travaillant en défense collective des droits mentionnent n’avoir pas ou peu de relation avec le PC. Aucune mention n’est faite sur le site Web du PC concernant une collaboration avec des organisations de la société civile, par exemple des organismes communautaires œuvrant pour la défense des droits des personnes incarcérées. La seule exception se trouve dans le plan stratégique 2023-2028, où il est fait mention de partenaires autochtones et inuit.

Autrement, la seule mention d’organisations, sans en préciser la nature, se retrouve dans le processus de plaintes, signalant que celles-ci peuvent être déposées au nom de citoyen-ne-s. Cela suggère que pour le PC, le rôle des organismes communautaires se résume à une courroie de transmission des plaintes des populations visées. Cela donne une apparence de travailler en solo, tout en se souciant peu de la rétroaction des organismes sur le terrain, alors que ceux-ci soutiennent les personnes vivant des difficultés et peuvent identifier des problématiques systémiques au sein du système carcéral.

Un manque de transparence

Le PC effectue très peu de visites des établissements de détention du Québec, ce qui soulève des questions sur son travail d’enquête. Selon des données obtenues par le biais de la Loi de l’accès à l’information4 par la Ligue des droits et libertés (LDL) et Radio-Canada, le nombre de visites annuelles, entre 2015-2016 et 2022-2023, est faible5. Au 28 août 2023, il y a cinq établissements de détention qui n’ont pas reçu de visite du PC depuis 2018-2019 ce qui inclut la période de la pandémie.

Le PC ne rend pas publics ni les rapports sur les enquêtes qu’il effectue à la suite de plaintes, ni les rapports de ses visites des établissements de détention ou les enjeux sur lesquels il enquête : « […] les rapports produits suivant les visites demeurent confidentiels, tant pour les citoyens que pour les médias6 ». Cette citation provient d’un article journalistique au sujet de l’absence de visites à la prison de Hull en six ans, et la fin de non-recevoir opposée au journaliste ayant formulé une demande d’accès à l’information.

Le Protecteur justifie ce refus de divulguer des documents et informations par le fait que ses enquêtes sont conduites privément en vertu de la LPC. « Les renseignements et documents obtenus lors d’une enquête sont confidentiels et inaccessibles, même pour la personne concernée » peut-on lire sur le site Web de l’organisation.

L’opacité des travaux et enquêtes du PC en matière correctionnelle fait écho à l’opacité des services correctionnels du Québec. Comment faire, dans une telle situation, pour obtenir de l’information claire, précise et à grande échelle sur les réalités carcérales ? Cela est d’autant plus vrai sachant que plusieurs personnes incarcérées ne portent pas plainte lorsque leurs droits sont bafoués, par peur de représailles.

Cette opacité est exacerbée par le peu de communications publiques du PC, en dehors de ses rapports annuels et des rapports spéciaux portant sur des enjeux spécifiques.

Conclusion

La lecture des rapports annuels du PC permet de constater que l’institution prend au sérieux son rôle d’enquêteur des institutions publiques, notamment du milieu correctionnel. Il est indéniable que la société québécoise gagne à avoir un organisme public de surveillance des institutions publiques.

Toutefois, l’opacité des processus et le manque de collaboration avec les acteurs communautaires sont le bât qui blesse. Comment faire confiance à une institution qui garde pour elle ses résultats d’enquête et qui les partage uniquement dans des contextes bien paramétrés ? Il est compréhensible de vouloir protéger la vie privée des personnes touchées par ces révélations, mais des façons de faire existent afin de garantir l’anonymat tout en alertant le public de situations problématiques.

Une action pertinente de décloisonnement serait d’établir des relations de concertation avec les acteurs du milieu communautaire. Plusieurs voix demandent que des comités d’experts, des élu-e-s et des organisations de la société civile puissent également visiter de façon régulière et aléatoire tous les centres de détention du Québec. Alter Justice affirme même que ces visites devraient être faites plus souvent que le plan peu ambitieux annoncé par le Protecteur dans son rapport annuel 2023 qui est d’un minimum d’une fois aux quatre ans pour chaque centre de détention.

Bref, il y a matière à se questionner sur la vision que le PC a de son rôle en tant qu’ombudsman correctionnel tout en exigeant beaucoup plus de transparence de sa part.


  1. Ministères et organismes publics, réseau de la santé et des services sociaux, et services
  2. Protecteur du citoyen, Rapport annuel 2022-2023, 124. Les autres catégories sont les plaintes interrompues et celles sur lesquelles le Protecteur déclare ne pas pouvoir se prononcer.
  3. I. Melouka, A., Manirabona, J-A. Wemmers, Un accès difficile et une mobilisation déficiente : rapport sur les expériences des femmes incarcérées et l’usage des mécanismes de plaintes et de griefs en établissement carcéral, Rapport, Université de Montréal, 2021.
  4. Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
  5. Voici la réponse de la personne responsable de l’accès à la suite d’une question de la LDL demandant s’il existe une définition du mot visite : « Il n’y a pas de définition officielle de ce que constitue une visite d’un établissement de détention. De manière générale, ce genre de visite vise la grande majorité des secteurs, sans nécessairement inclure l’ensemble de ceux-ci. Il peut également arriver qu’une visite soit effectuée pour un mandat précis. Puisque nos enquêtes sont menées privément, nous ne pouvons détailler davantage tous les cas de figure. »
  6. C. Lalande, 2023, 22 septembre. Op. cit.