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Droits et libertés, printemps / été 2025
Les droits culturels, pour donner du sens à la vie
Entrevue avec
Vincent Greason, militant des droits humains
Propos recueillis par
Elisabeth Dupuis, responsable des communications à la LDL
« Un joyeux mystère pour certains », nous dit Vincent; un parent pauvre pour d’autres, pourrait-on ajouter. Le champ des droits culturels est pourtant vaste et on gagnerait à s’en saisir davantage. Les droits culturels font référence à l’ensemble des croyances, des connaissances, des qualifications, des valeurs, des références culturelles, des savoir-faire, des modes de vie, des coutumes, en plus de la culture comme les œuvres d’art, le théâtre, la musique ou le cinéma.
La Charte des droits et libertés de la personne du Québec est peu bavarde au sujet des droits culturels. En effet, l’article 43 est le seul qui y fait référence et encore, de façon assez limitée : « Les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe. »
Dans un numéro de Droits et libertés, Droits culturels et droit à la culture, Christian Nadeau écrivait : « Pensée comme un privilège, la culture représente une forme de domination. Pensée dans la perspective des droits, dans la logique de l’interdépendance de ceux-ci, elle est un contre-pouvoir, dans un rapport de solidarité et de complémentarité, face aux volontés hégémoniques pour surmonter les impuissances, les angoisses et les fables qui invitent à la résignation. En ce sens, la force libératrice de la culture demeure toujours nécessaire, hier comme aujourd’hui1».
L’éducation : un droit culturel
« D’ailleurs, les droits culturels sont très liés au droit à l’éducation, une proximité qui démontre l’interdépendance des droits », explique Vincent. On conçoit la possibilité d’acquérir et de partager des connaissances et de développer la pensée critique par l’éducation, tant chez les enfants que chez les adultes, tout au long et au large de la vie. Dans la Charte québécoise, on énonce une vision très limitée du droit à l’éducation : « Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l’instruction publique gratuite. » (art. 40), ce qui signifie la formation de base, primaire et secondaire. À aucun endroit, la Charte ne prévoit le droit d’apprendre tout au long de la vie ou le droit à l’éducation des adultes.
Vincent rappelle que l’éducation, selon le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), vise au plein épanouissement de la personne humaine et à sa dignité, et qu’il faut considérer l’éducation des adultes bien au-delà de la formation à l’emploi. Les organisations d’action communautaire, d’éducation populaire et les syndicats abordent des sujets multiples : la francisation, le système politique, l’environnement, l’histoire, les inégalités économiques, les droits humains, etc. Comme l’énonce l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’éducation est « un droit émancipateur en soi et c’est l’un des outils les plus puissants pour permettre aux enfants et aux adultes marginalisés sur le plan économique et social de s’extraire de la pauvreté et de participer pleinement à la société 2».
« L’éducation populaire est un vecteur incontournable pour développer la littératie politique et agir dans la société. » Pourquoi cette façon d’acquérir des connaissances et des savoir-faire est-elle si importante ? Vincent nous le précise :
« Pour comprendre le monde qui nous entoure, pour contrer la désinformation et pour bâtir une société fondée sur la justice sociale. » On peut même ajouter : pour éviter de se faire enfirouaper.

« Comment participer à la vie culturelle si tu ne connais pas le système ? Ça prend des outils pour être en mesure d’aller donner son opinion au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), par exemple! Il faut outiller la population et ça passe bien souvent par l’éducation populaire », explique Vincent.
Apprendre toute la vie
« Pour le gouvernement du Québec, l’éducation des adultes se limite présentement à l’intégration au marché du travail et à la formation en emploi. Il faut élargir cette définition, afin d’inclure les enjeux culturels, politiques et sociaux à travers l’éducation populaire, qui joue un rôle incontournable au Québec. » Pour Vincent, « il est évident que les droits des adultes en matière d’éducation sont bafoués ».
Vincent nous propose de consulter l’avis au gouvernement du Québec rédigé par le Conseil supérieur de l’éducation sur l’éducation aux adultes : « L’État a un rôle structurant à jouer pour soutenir l’action éducative de cette grande communauté éducative décentralisée. À cet égard, le Conseil recommande : d’engager le Québec dans une perspective d’éducation élargie à laquelle l’éducation populaire contribue pour le mieux-être des adultes ; de consolider et d’accroître la place de l’éducation populaire comme moyen de soutenir le développement du pouvoir d’agir des adultes et de leur capacité à jouer différents rôles ; de pérenniser et d’enrichir les moyens d’une éducation populaire de qualité3 ».
Il faut outiller la population et ça passe bien souvent par l’éducation populaire.
Quant à la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948, elle affirme que : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent» (art. 27,1).
Pour comprendre le droit à la culture comme étant le droit de tout adulte de participer activement à la vie en société, et pour pouvoir y participer pleinement, elle ou il doit s’en sentir partie prenante. D’où l’importance pour les adultes, particulièrement les personnes nouvellement arrivées ou les personnes peu instruites, d’être outillés pour pouvoir y participer. Outre la nécessité d’inscrire les droits culturels dans la Charte québécoise, il est grand temps que le Québec se dote d’une vraie politique en éducation des adultes qui reconnaît le droit de celles-ci et ceux-ci d’apprendre tout au long et tout au large de la vie.
- En ligne : https://liguedesdroits.ca/pour-les-droits-culturels-et-le-droit-a-la-culture/
- En ligne : https://www.unesco.org/fr/right-education/need-know
- Conseil supérieur de l’éducation, L’éducation populaire : mise en lumière d’une approche éducative incontournable tout au long et au large de la vie, Québec, octobre En ligne : https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2016/11/50-0492-AV-leducation-populaire.pdf