Les droits des incarcérées ne sont pas une monnaie d’échange

Le gouvernement du Québec choisit de transférer des dizaines de femmes incarcérées à la prison d’Orsainville de Québec aux 300 femmes qui sont toujours incarcérées à la prison Leclerc dans des conditions inacceptables. Ce nouveau transfert ouvre la voie à des violations de droit supplémentaires pour les femmes.

Trop peu pour compter, c’est la formule utilisée par des chercheurs et des militants pour parler des discriminations vécues par les femmes incarcérées, qui sont minoritaires dans un système carcéral bâti et pensé par des hommes. Dans la foulée du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, force est de constater que, dans les prisons provinciales, les femmes sont encore trop peu pour compter.

En janvier 2025, le ministère de la Sécurité publique (MSP) a annoncé que le secteur féminin de l’Établissement de détention de Québec (EDQ) (communément appelée « prison d’Orsainville ») serait fermé, et que plusieurs dizaines de femmes y étant incarcérées seraient transférées, temporairement dit-on, à l’Établissement de détention Leclerc de Laval, où les conditions de détention sont décriées de toutes parts depuis 2016.

Rappelons quelques faits : la prison Leclerc est un ancien pénitencier à sécurité maximale pour hommes, qui a été fermé par le fédéral en 2012 pour cause de vétusté. Le gouvernement du Québec l’a acquis pour y transférer en 2016 les femmes qui étaient incarcérées à la prison Tanguay (elle aussi désuète), en dépit du caractère inadéquat et insalubre des installations.

En août 2024, la Cour supérieure a autorisé une action collective intentée par des femmes qui ont été incarcérées à la prison Leclerc depuis 2019. Elles dénoncent les fouilles à nu abusives et dégradantes, les conditions de détention indignes et l’accès déficient aux soins de santé qui portent atteinte à leurs droits à l’intégrité, à la sécurité, à la dignité, à l’égalité et à la protection contre les traitements cruels et inusités protégés par les Chartes canadienne et québécoise.

Plus de 300 femmes sont toujours incarcérées à la prison Leclerc dans des conditions inacceptables. Comment peut-on réellement croire que l’ajout de dizaines de femmes à la population carcérale n’aura pas d’effets négatifs graves sur chacune d’entre elles ? Comment justifier ce nouveau transfert sans ouvrir la voie à des violations de droit supplémentaires ?

Selon le MSP, l’objectif du transfert de Québec vers Laval est de diminuer la charge de travail des agents correctionnels de l’EDQ, afin de réduire les heures supplémentaires obligatoires qui leur sont imposées dans un contexte de manque de personnel chronique. Toutefois, cette décision a été prise à la hâte, de façon opaque et sans que les groupes qui interviennent auprès des femmes, leurs avocats, les femmes elles-mêmes ainsi que leurs proches soient avisés ou consultés.

Les femmes incarcérées ont été déracinées de manière soudaine, sans justification claire et, surtout, sans égard à l’incidence qu’aura un tel transfert sur le maintien de leurs liens sociaux durant leur incarcération et leurs chances de réhabilitation sociale. Les femmes détenues dans les prisons provinciales purgent en majorité de courtes peines (moins de 30 jours), le plus souvent pour des infractions comme le défaut de se conformer à une ordonnance de probation ou un engagement, ou alors en lien avec l’utilisation de drogues. Partir menottées, en fourgon cellulaire, à 250 kilomètres d’une prison où elles doivent purger une courte peine, ne représente pas seulement un changement de lieu : cela change dramatiquement les conditions de détention de ces femmes, tout en compromettant la possibilité, pour elles, de maintenir leurs liens avec leurs proches et leurs communautés tout au long de leur détention.

Après la prison, la réinsertion sociale ne se fait pas dans le vide, elle est intimement liée à l’existence et à la solidité des liens sociaux que tisse la personne ayant vécu l’incarcération. En transférant ces femmes pour des motifs purement liés à la gestion des établissements carcéraux, on relègue leurs droits et leur réinsertion sociale au second plan.

Les droits des personnes incarcérées ne sont pas une monnaie d’échange pour améliorer l’efficience organisationnelle des milieux carcéraux. Personne ne gagne à ce que l’on perpétue des violations de droits pour pallier le manque de ressources humaines et matérielles.

Au lieu d’opter pour des solutions temporaires qui déracinent les personnes et leur infligent un traitement qui fait fi de leurs droits, pourquoi ne pas mobiliser d’autres leviers que l’incarcération ? Pourquoi ne pas penser, par exemple, à diminuer le nombre de femmes qui se retrouvent en prison, plutôt que de chercher à étirer les heures travaillées par les agents correctionnels ?

Incarcérer une personne est beaucoup plus coûteux que de travailler à sa réhabilitation en collectivité. Cela est d’autant plus consternant que l’incarcération ne résout rien. Et que les voix sont de plus en plus nombreuses à exiger plus d’investissements dans les ressources en réinsertion sociale et dans nos services publics en crise pour répondre aux besoins et assurer des conditions de vie dignes pour toutes et tous.

Il est grand temps de porter la réflexion sur la prison au-delà de ses murs.