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Christian Nadeau, philosophe, Université de Montréal
Président de la Ligue des droits et libertés
Au sein de nos démocraties, le principe de majorité permet de trancher et de décider quelles options seront retenues lorsque nous faisons face à plusieurs possibilités. Il faut toutefois rappeler que cette règle de majorité n’est en rien une fin en soi. Elle est un outil pour une société afin d’élire ses représentant-e-s ou de se prononcer sur un enjeu. Le danger serait de croire que l’expression de la majorité écrase d’emblée toute forme de dissidence à l’intérieur du groupe et affirme de ce fait même que la vérité et la légitimité se trouvent du côté du plus grand nombre. Nous pouvons voir de nos jours une volonté de plus en plus manifeste dans le discours public de valoriser un projet politique tout simplement parce qu’il répondrait à ce que souhaite le peuple, la nation, le vrai monde, et ainsi de suite.
L’avenir collectif avec l’interdépendance des droits
Dans une telle vision des choses, une société ne peut correspondre à une dynamique d’échanges entre personnes différentes, car l’idée même de différence est jugée suspecte. Par son travail, ses actions et ses interventions, la Ligue des droits et libertés (LDL) donne et continue d’offrir une tout autre signification aux rapports qui existent entre nous, en les pensant à l’aune d’un principe d’interdépendance : interdépendance des personnes et des groupes, interdépendance de leurs luttes, interdépendance de leurs droits. Or, l’interdépendance implique par définition la différence, le pluralisme, la diversité, toutes ces formes sociales qui semblent aujourd’hui effrayer alors qu’elles sont les conditions de notre avenir collectif.
Un droit ne peut dominer les autres droits
La notion d’interdépendance des droits, principe cardinal pour l’action de la LDL, n’a rien à voir avec une seule manière de penser, où une seule catégorie de droits engloberait toutes les autres et les dominerait. La défense des droits des peuples autochtones peut croiser celle de l’environnement; cela ne signifie pas que nous devons assujettir nos préoccupations environnementales à celles que nous avons à l’égard des Autochtones ou vice versa. Lorsque, au sein d’un groupe, chaque personne assume sa responsabilité face aux autres, sa singularité comme individu ne doit pas s’éclipser sous prétexte d’unité. La solidarité n’est pas un moule grâce auquel disparaîtraient par magie l’altérité et les divergences.
Voilà pourquoi la LDL continue d’agir sur plusieurs fronts. Nous combattons le racisme systémique, alors même qu’on voudrait nous faire croire qu’il n’existe pas, ne voulant pas voir les différences de traitement qui existent entre une personne racisée et une personne blanche. Nous dénonçons sans relâche la brutalité policière, même si elle ne fait que rarement la une des journaux. Et nous ne pourrons jamais accepter une loi qui bafoue les droits des femmes portant le voile, en leur offrant comme seule alternative soit de partir, soit de laisser leurs convictions au vestiaire, ce qui revient à dire qu’elles doivent disparaître, pour préserver une paix sociale imaginaire.
Plus que jamais, la LDL refuse une rhétorique fallacieuse visant à blâmer quiconque ne répondrait pas aux goûts et aux moeurs de l’époque.
La majorité ne peut justifier l’injustifiable
Les droits et libertés ne sont pas une affaire de mode ou de popularité, et même lorsqu’une soi-disant majorité est évoquée pour justifier l’injustifiable, nous ne pouvons l’accepter. Nous ne pouvons permettre de voir des personnes placées au centre des débats politiques pour mieux les en exclure. Nous ne pouvons fermer les yeux lorsqu’elles sont livrées en pâture aux polémiques en raison de leur sexe, de leurs convictions religieuses, de leur origine ou de leur classe sociale.