Participation citoyenne et villes, quel avenir ?

Comme gouvernements de proximité, les municipalités sont au premier plan pour favoriser une réelle participation citoyenne aux affaires publiques. Cependant, les solutions proposées aux divers enjeux vécus par les élu-e-s municipaux ne tiennent pas suffisamment compte des droits humains et des principes démocratiques.

Retour à la table des matières
Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Participation citoyenne et villes, quel avenir ?

Elsa Mondésir Villefort, Conseillère en participation citoyenne et membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Depuis les dernières élections de 2021, on assiste à une situation exceptionnelle alors qu’un nombre record d’élu-e-s ont pris la décision de quitter la scène municipale. En réaction à cette situation alarmante, un projet de loi a été déposé le 10 avril 2024 par la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest. Adoptée en juin 2024, la loi 24 (projet de loi 57), qui vise essentiellement à protéger les élu-e-s et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions ne pourra pourtant pas, à elle seule, mettre un frein aux démissions dont nous sommes témoins. La démocratie municipale, déjà en crise et fragilisée, fait l’objet de plusieurs débats soulevant des questions importantes concernant la participation des citoyen-ne-s aux affaires politiques et publiques, participation qui est inévitablement affectée par l’arrivée de cette loi.

Bien que les actrices et acteurs du milieu municipal soient confrontés à un climat particulièrement difficile, les élu-e-s détiennent toujours les clefs du pouvoir. Hocine Ouendi, un jeune Montréalais résidant de l’arrondissement d’Anjou, en est l’exemple parfait. Le 4 octobre 2022, il s’est présenté au conseil d’arrondissement pour exercer son droit de prendre part aux débats relatifs aux décisions qui le concernent. Le maire d’arrondissement lui a fait comprendre qu’un jeune de son âge n’avait pas la légitimité de prendre la parole et qu’il aurait plutôt dû être représenté par un adulte1. L’incident a conduit la Ville de Montréal à émettre une déclaration rappelant l’obligation de répondre, dans le respect, aux questions soumises par la population2. Hocine Ouendi n’est pas seulement venu avec une question, mais aussi avec des pistes de solution pour pallier une problématique vécue par plusieurs jeunes, soit l’accès aux installations publiques de l’arrondissement. C’est pourtant à un déni de son droit de participer à la vie politique qu’il s’est heurté, laissant l’enjeu qui lui tenait à cœur sombrer dans l’oubli.

Cet événement est représentatif des nombreux obstacles auxquels plusieurs groupes marginalisés font face. En donnant des leviers supplémentaires aux villes et aux municipalités pour encadrer le débat public à travers la loi 24, on met en danger le droit des citoyen-ne-s d’accéder à des espaces sécuritaires favorisant leur participation. La responsabilité de préserver et de soutenir la capacité d’agir des populations doit être au cœur des stratégies à mettre en place. Sans l’établissement de processus de participation qui informent adéquatement les citoyen-ne-s, les accompagnent et encouragent une prise de parole et d’actions, il ne sera pas possible pour les villes de prendre des décisions éclairées, durables et représentatives des nombreuses réalités vécues. Dans ce cas spécifique, la déclaration de la Ville de Montréal conserve un caractère symbolique qui n’a, dans les faits, redonné aucun pouvoir à Hocine Ouendi. Au contraire, une plainte portée par sa famille à la Commission municipale du Québec a été rejetée alors qu’elle dénonçait les manquements graves de l’élu3. Même si ce n’est pas son objectif annoncé, la nouvelle loi n’est pas à l’abri d’une instrumentalisation ayant pour conséquence de limiter l’engagement citoyen.

Ces personnes, qui ne sont pas majoritairement
en position d’autorité dans la société, peuvent faire face à différents obstacles qui entravent leur participation, et elles n’ont pas les mécanismes nécessaires pour protéger leur droit de participer aux affaires publiques.

Pour une saine démocratie dans les villes

Si les probabilités de croiser Justin Trudeau ou François Legault un samedi matin en faisant son épicerie sont pratiquement nulles pour le commun des mortels, la situation n’est pas la même au niveau municipal. Certaines municipalités au Québec ne comptent qu’une poignée d’habitant-e-s (moins de 1000), ce qui peut rendre les dynamiques dans les espaces de participation citoyenne plus difficiles comme les membres de la communauté côtoient les élu-e-s quotidiennement. En 2017, la loi 13 (projet de loi 122) visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs a été adoptée.

Cette nouvelle reconnaissance est venue contribuer à la réflexion sur la participation publique des citoyen-ne-s en mentionnant, notamment, le besoin que toutes et tous soient « consultés en amont des prises de décision » ainsi que la nécessité d’avoir une « présence active des élus dans le processus de consultation » (article 80.3). Cette proximité fait la force du monde municipal qui bénéficie d’un contact privilégié avec la population, ce qui rend le milieu plus aligné sur les réels besoins des gens qui y vivent. Le revers de la médaille fait toutefois en sorte que les mésententes entre les acteurs et les actrices d’une communauté peuvent prendre une place prépondérante dans l’espace public.

Entre 2021 et 2024, un élu sur dix a démissionné de son rôle avec un taux de départ record dans les plus petites communautés4. L’importance de mettre en place des outils pour contrer l’intimidation et le harcèlement dans le milieu municipal n’est pas contestée, mais on peut questionner si la cible est réellement la bonne lorsqu’on consulte certains éléments de la loi 24. La Ligue des droits et libertés (LDL), le Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ) et le Regroupement des organismes en défense collective des droits (RODCD) se sont prononcés à maintes reprises sur le dossier : certaines mesures de la loi ouvrent la porte aux dérives et menacent plusieurs libertés constitutionnelles (libertés d’expression, d’opinion et d’association). Les cas de citoyen-ne-s se sentant muselés dans l’exercice de leur droit de participer sont nombreux à travers le Québec. Joan Hamel, citoyenne de Trois-Rivières, a reçu une lettre d’un huissier en 2023 après avoir fait un commentaire sur Facebook, alors que la Ville vivait une situation particulièrement tendue en lien avec l’expansion d’un parc industriel. La Ville prétendait que son commentaire contrevenait à la Politique sur la prévention de la violence dans les interactions avec le personnel de la Ville de Trois-Rivières. La lettre stipulait qu’une récidive pouvait entraîner une amende. Le justificatif derrière cette intervention a été critiqué, d’autant plus que cela s’est produit alors qu’un dialogue important avait été entamé autour de la situation de l’expansion du parc5.

En mettant l’accent sur le besoin d’encadrer les interventions des citoyen-ne-s, la nécessité de naviguer dans des zones de tension et de débattre d’enjeux polarisants est gravement menacée. La solution ne se trouve pas dans un passe-droit offert aux citoyen-ne-s qui ne seraient jamais imputables de leurs actions, mais elle ne peut pas non plus se retrouver sur un terrain où les règles du jeu sont redéfinies pour protéger un acteur au détriment de ceux et celles auxquels il est redevable et qu’il est censé représenter. D’ailleurs, restreindre la prise de parole affecte nécessairement les personnes aux intersections de plusieurs oppressions et dont l’existence même suscite le débat. Ces personnes, qui ne sont pas majoritairement en position d’autorité dans la société, peuvent faire face à différents obstacles qui entravent leur participation, et elles n’ont pas les mécanismes nécessaires pour protéger leur droit de participer aux affaires publiques.

Mieux protéger les droits humains

La ville appartient à celles et ceux qui l’habitent. Pour protéger toutes les personnes concernées, une réflexion s’impose sur les faiblesses et les défis qui rendent difficile la participation au Québec, peu importe de quel côté du pouvoir nous nous retrouvons. Il est impératif de s’interroger sur ce qui menace notre démocratie ainsi que sur les réels maux de société dont le climat actuel est le symptôme : opacité des institutions et des prises de décision, discriminations, sentiment d’impuissance des citoyen-ne-s, désinformation, manque d’éducation à la démocratie et bien plus.

Il existe un fossé majeur entre la personne citoyenne et le monde politique. En tant que gouvernement de proximité, le palier municipal est un espace de choix pour expérimenter, innover et redéfinir les espaces de participation citoyenne tels qu’on les connaît. Les villes sont plus que jamais concernées par les enjeux de l’heure qu’il s’agisse d’immigration, de culture, de changements climatiques, de transformation du tissu social, etc. Nous aurons besoin d’avoir beaucoup plus de voix au chapitre pour faire face aux défis émergents. Il faut rester vigilant-e-s face à la situation actuelle et s’accorder sur le fait que les reculs au droit de participer aux affaires publiques et politiques ne peuvent pas faire partie de la solution.


1 Arrondissement Anjou. Séance du conseil d’arrondissement et séance liée au Budget et au PDI 4 octobre 2022. [vidéo] (à partir de 23 h). En ligne : https://www.youtube.com/live/EUcnRe_parU

2 En ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-10-24/propos-discriminatoires-envers-un-adolescent/le-maire-d-anjou-blame-par-le-conseil-municipal-de-montreal.php

3 En ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/2023-08-18/propos-cassants-envers-un-adolescent/la-plainte-contre-le-maire-d-anjou-rejetee.php

4 En ligne : https://www.lesoleil.com/actualites/politique/2024/01/23/pres-dun-elu-municipal-sur-dix-a-demissionne-depuis-les-elections-de-2021-WPG3WACNKJFJVJNAPL5JNAHUDE/

5 En ligne ; https://www.lapresse.ca/contexte/le-prix-de-nos-incivilites/2023-09-10/proteger-les-employes-museler-les-citoyens.php

6 Haut-Commissariat des droits de l’homme. Directives à l’intention des États sur la mise en œuvre effective du droit de participer aux affaires publiques : 4, 2018. En ligne :https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/PublicAffairs/GuidelinesRightParticipatePublicAffairs_web_FR.pdf