Plusieurs corps de police entravent le déroulement des enquêtes du BEI – Les autorités concernées doivent agir en urgence

Les lettres envoyées par le BEI aux corps policiers dévoilent des manquements graves quant au mécanisme d’enquête prévu par la loi. Le BEI dépend des corps policiers impliqués dans les incidents et n’a pas de pouvoir de contrainte.

Montréal, le 5 novembre 2018 –  La Ligue des droits et libertés (LDL), le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) et le Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM–CSN) ont eu accès à toutes les lettres que la directrice du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a fait parvenir aux directions de certains corps policiers québécois depuis la création du BEI via une demande d’accès à l’information. Au nombre de dix, ces lettres mettent en évidence de graves dysfonctionnements et lacunes dans le déroulement des enquêtes du BEI.

Les organisations jugent très insatisfaisantes les réactions des autorités au dévoilement la semaine dernière d’une de ces lettres, qui concernait la mort de Nicholas Gibbs, et interpellent le Directeur des poursuites criminelles et pénales, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, la directrice du BEI, Madeleine Giauque et les conseils municipaux afin qu’ils prennent immédiatement les mesures nécessaires pour corriger la situation et sanctionner les policiers concernés.

« Ces lettres adressées aux directions du SPVM, de la police de Laval, de la SQ ainsi qu’au corps de police régional de Kativik font état de graves manquements de la part de ces corps de police au Règlement sur le déroulement des enquêtes du BEI, s’insurge Alexandre Popovic, porte-parole de la CRAP. » « Les dispositions de ce Règlement sont d’une importance cruciale pour assurer l’indépendance et la crédibilité des enquêtes du BEI. Or, ces lettres, qui sont envoyées des mois, parfois plus d’un an, après les événement, nous apprennent notamment que des policiers impliqués se concertent avant l’arrivée du BEI, qu’ils ne sont pas mis en isolement, qu’un policier a refusé de répondre aux questions d’un enquêteur du BEI, que des policiers impliqués dans l’incident et des témoins ont été interrogés avant l’arrivée du BEI, que des policiers impliqués ont rédigé leur rapport ensemble, sans supervision, etc. » continue M. Popovic. « Les policiers doivent appliquer les règlements, même ceux qui ne font pas leur bonheur. Selon nous, ces nouvelles informations peuvent aller jusqu’à remettre en question la validité de plusieurs enquêtes du BEI.»

Les organisations ne sont pas surprises par l’étendue des dysfonctionnements révélés par ces lettres. « Depuis la création du BEI, nos organisations ont identifié plusieurs lacunes à ce mécanisme d’enquête, dont son absence de pouvoir de contrainte et sa dépendance à l’égard des corps policiers impliqués dans les incidents, déplore Dominique Daigneault, présidente du CCMM–CSN. Nous avons aujourd’hui la preuve que toutes ces lacunes existent bel et bien. Le nombre de lettres et leur contenu parlent d’eux-mêmes et renforcent notre non-confiance dans le mécanisme actuel du BEI.»

« Il est inacceptable que depuis la publication dans les médias de la lettre concernant le cas de Nicholas Gibbs mardi dernier, aucune autorité publique ne se soit justement expliqué, remarque Eve-Marie Lacasse, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés. Est-ce que les pouvoirs publics tiendraient davantage à l’estime de la police plutôt qu’à l’estime des citoyens et citoyennes ? On dirait bien ». Les quatre organisations exigent que les autorités judiciaires et politiques concernées interviennent immédiatement.

Demandes au Directeur des poursuites criminelles et pénales

  • Sanctionner les policiers concernés. Ces policiers ont entravé le travail des enquêteurs du BEI.

Il faut sanctionner les policiers concernés. C’est une infraction au Code criminel. En effet, l’article 129 du Code criminel interdit à toute personne, y compris aux policiers, d’entraver un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l’exécution ses fonctions.  L’article 139 du Code criminel interdit à toute personne, y compris aux policiers, d’entraver à l’administration de la justice.

Demandes à la ministre de la Sécurité publique

  • Modifier le Règlement sur le déroulement des enquêtes du BEI afin que le BEI puisse appliquer de véritables sanctions en cas de manquement au Règlement
  • S’assurer que le BEI demeure maître-d’œuvre de l’enquête et ne dépende pas des corps policiers impliqués
  • Effectuer rapidement, et avec l’implication d’organisations externes, un bilan et une révision du BEI, afin de doter le Québec d’un mécanisme d’enquête efficace et crédible qui réponde aux attentes de la population

Demandes au Bureau des enquêtes indépendantes

  • Respecter son propre Règlement en avisant systématiquement les conseils municipaux concernés et la ministre de la Sécurité publique de tout manquement au Règlement
  • Faire preuve de plus de transparence, en rendant publiques au fur et à mesure les informations concernant le déroulement des enquêtes, les manquements au Règlement ainsi qu’en publiant l’ensemble du dossier d’enquête dans les cas où le Directeur des poursuites criminelles et pénales prend la décision de ne pas poursuivre les policières et policiers impliqués

 

Demandes aux conseils municipaux

  • Jouer un rôle de chien de garde et exiger des comptes de leurs corps policiers
  • Mettre en place des mécanismes pour que ces manquements ne se reproduisent plus

« Trop de drames sont survenus qui impliquent la mort d’une personne sans-abri sous les balles des policiers. Il y a beaucoup à faire pour en finir avec l’impunité policière et pour rétablir la confiance des populations itinérantes et marginalisées. Nous exigeons que les autorités politiques, le BEI et les corps de police établissent des mesures d’enquêtes et de surveillance des pratiques policières véritablement indépendantes et crédibles, déclare Pierre Gaudreau directeur du RAPSIM. »

« Dix ans après le décès de Fredy Villanueva, on constate encore que les pouvoirs publics n’ont pas le courage politique de s’opposer au pouvoir policier. Aujourd’hui, nous ne parlons pas de rétablir la confiance envers le BEI, nous parlons de l’établir, tout simplement, conclut Eve-Marie Lacasse.»

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Pour informations et entrevues :

Lysiane Roch, responsable des communications de la Ligue des droits et libertés

514-715-7727