Martine Eloy, aînée engagée
Membre du comité racisme, laicité et exclusion sociale de la LDL
Il y a quelques années, j’ai quitté l’emploi rémunéré que j’occupais depuis plusieurs décennies. On appelle cela partir à la retraite. Retraite se définit comme l’acte de se retirer. Ce mot m’a toujours horripilée. Se retirer de quoi? Pourquoi? Je ne veux pas me retirer pour devenir spectatrice de la vie. Je veux continuer à en faire partie, même si c’est de manière différente, à un autre rythme.
Nous sommes contraints de vivre à un rythme effréné, tentant d’accorder vie personnelle et travail, tout en répondant à nos besoins vitaux, souvent au prix de sacrifices sur le plan humain. La retraite apparaît alors comme une porte de sortie de l’enfer quotidien. Et si le quotidien était moins contraignant, aurions-nous besoin de la rupture que représente la retraite? Pourquoi ne pas repenser l’organisation de la vie de façon à pouvoir prendre le temps de prendre soin les uns des autres, et de soigner notre milieu de vie?
Pour nous inviter à prendre notre retraite, on nous fait miroiter une vie composée d’une kyrielle de loisirs. Toutefois, ce n’est que mirage et chimères et, malheureusement, souvent, la retraite est plutôt synonyme de pauvreté et d’isolement. J’ai toujours été fascinée par l’importance des mots. Comme disait Yves Gingras dans une chronique le 20 janvier 2019, « les mots ne font pas que décrire le monde, mais sont aussi des actes qui contribuent à le transformer. […] Choisir un mot ou une expression n’a donc rien de banal, car le plus souvent, cela vise à agir sur le comportement des personnes. » Ainsi, lorsque nous nous disons retraité-e-s, nous nous présentons comme une personne qui est retirée. En nous situant d’emblée à l’extérieur, l’appellation de retraité nous prive du statut de citoyen-ne à part entière.
Par définition, une personne retirée n’est plus partie prenante de la société. On affirme souvent qu’il faut « laisser la place aux jeunes ». Pourquoi, laisser la place? Cela sous-entend qu’il n’y aurait qu’une place. N’y a-t-il pas de la place pour les personnes de tous les âges? Ne pouvons-nous pas toutes et tous agir ensemble, ajouter nos forces les unes aux autres en toute solidarité?
Il est intéressant de constater que le mot retraité-e définit une personne uniquement en fonction de son rapport au marché du travail, et non en fonction de sa place dans la cité. Comme le dit si bien Ignace Olazabal, dans notre société, « la valeur (de la vieillesse) est mesurée à l’aune de la productivité ». On parle des personnes âgées comme d’une charge économique puisqu’elles et ils ne contribuent plus au sacro-saint produit intérieur brut, qui ne comptabilise que les signes de dollars. La production de richesse sociale n’y figure jamais et l’apport social des personnes retraitées n’est donc pas comptabilisé. Elles et ils sont perçus comme un fardeau pour la société. Pourtant, dans différents domaines, les aîné-e-s peuvent jouer un rôle important en mettant à profit leur expérience et leurs connaissances, par exemple en tant que mentor-e-s.
Ces quelques réflexions ne s’appliquent d’ailleurs pas seulement aux personnes retraitées, mais aussi aux jeunes, aux femmes au foyer, aux chômeur-euse-s, aux assisté-e-s sociaux, aux personnes vivant avec un handicap, aux personnes itinérantes – en fait à tous ceux et celles qui sont exclus de la société marchande. La contribution et la reconnaissance sociale ne doivent pas être tributaires de notre participation au marché du travail.
J’ai un rêve… Je rêve d’une société où toutes et tous seront considérés comme des citoyen-ne-s avec des rôles qui évoluent suivant les différentes saisons de la vie. Il est permis – et nécessaire – de rêver! Lors de mon mot de départ au moment de ma retraite, j’ai dit à mes collègues : « Ne comptez pas sur moi pour me retirer. Je veux continuer d’être citoyenne jusqu’à mon dernier souffle… ».