République démocratique du Congo – L’exploitation des travailleurs derrière les véhicules électriques

À quel prix devons-nous envisager une transition vers une énergie plus « verte » ? Vouloir éliminer les voitures à combustion en faveur des nouveaux véhicules électriques (« VE ») est honorable cependant, nous devons nous assurer que cette transition ne se fasse pas au détriment de certaines populations.

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Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Geneviève Thériault,
avocate, membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Chronique Ailleurs dans le monde
République démocratique du Congo
L’exploitation des travailleurs derrière les véhicules électriques

Une transition vers une énergie plus « verte » — oui, mais à quel prix ? Voici la question que nous devrions tous nous poser. Vouloir éliminer les voitures à combustion en faveur des nouveaux véhicules électriques (« VE ») est honorable cependant, nous devons nous assurer que cette transition ne se fasse pas au détriment de certaines populations.

Les véhicules électriques, le cobalt et le Congo

Le cobalt est un métal bleu argenté qui est venu définir notre monde technologique moderne. Un élément clé de nos téléphones portables, ordinateurs portables et tablettes, c’est le minéral utilisé dans les batteries lithium-ion rechargeables créé pour alimenter les dispositifs portables. Il est considéré comme un matériau essentiel dans de nombreux secteurs allant de l’industrie chimique à l’aéronautique, et peut être trouvé dans les dispositifs médicaux de tous les jours, les drones et montres intelligentes. Dans un énorme changement propulsé par l’attention croissante portée à la crise climatique, la demande de cobalt ne devrait qu’augmenter au cours des 30 prochaines années[1].

Plus de 70 % du cobalt mondial est présentement extrait en République démocratique du Congo (« Congo »)[2]. L’accélération de la production de VE est cruciale pour la transition vers une économie à faible émission de carbone. Toutefois, elle semble liée à de graves violations des droits des travailleuses et des travailleurs congolais.

Le secteur minier est essentiel à l’économie congolaise, représentant approximativement 30 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 2019[3] et 95 % des exportations totales (constitué presque entièrement de cuivre et de cobalt) en 2020[4]. En 2019, le secteur extractif représentait un quart de l’emploi total du Congo[5]. Malgré ses richesses minérales extraordinaires, le Congo reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec 73 % de la population, soit 60 millions de personnes, vivant sous le taux de pauvreté, soit 1,90 $ par jour[6].

Environ 20 % de la production du cobalt provient de l’économie informelle — de l’exploitation artisanale — tandis qu’environ 80 % provient de compagnies industrielles minières[7]. Plusieurs de ces entreprises ont été la cible de poursuites judiciaires internationales et de critiques de la société civile sur leur impact négatif sur l’environnement, les communautés et les droits des travailleuses et des travailleurs dans le monde[8].

Ces entreprises s’efforcent de démontrer publiquement leurs engagements envers les droits de l’homme, y compris, parmi les plus importants, les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et droits de l’homme (UNGP), les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et le Guide de diligence raisonnable pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque (Guide de l’OCDE pour des chaînes d’approvisionnement responsables).

Violation des droits des travailleuses et des travailleurs

Une grande partie des recherches menées à ce jour sur les violations des droits humains dans le secteur du cobalt au Congo se sont concentrées sur l’exploitation minière artisanale[9]. Les problèmes de la protection du droit des travailleuses et des travailleurs et les problèmes de main-d’œuvre dans le secteur industriel — représentant les 80 % de l’exploitation du cobalt — sont donc restés largement ignorés. Ce déséquilibre a été aggravé par des efforts concertés des sociétés minières internationales afin de créer une perception selon laquelle l’exploitation minière industrielle du cobalt est « propre » et exempte des pratiques hautement abusives qui caractérisent l’exploitation artisanale.

Or, il appert que plusieurs multinationales minières présentes au Congo utilisent des techniques afin d’éroder le droit des travailleuses et des travailleurs congolais[10]. Une d’entre elles est le fait d’engager une grande partie de leur main d’œuvre via des sous-traitants. Ces employé-e-s « indirects » peuvent finir par travailler à une mine pendant plusieurs années, voir décennies, sans toutefois avoir accès aux mêmes bénéfices et droits que les employé-e-s engagés directement par la mine. Alors que le recours à des sous-traitants ou à des agences de placement est normal et nécessaire pour des tâches de courte durée ou pour le recrutement de spécialistes, il existe des preuves suggérant que les sociétés minières utilisent des sous-traitants afin de fournir du personnel pour leurs activités de base de long terme.

Les organisations de la société civile ont décrit le recours croissant à la sous-traitance par les multinationales minières comme « très problématique au regard des droits fondamentaux des travailleuses et des travailleurs »[11]. « Ce phénomène provoque une précarisation inquiétante de la main-d’œuvre car il laisse les travailleuses et les travailleurs sans niveau de vie suffisant, rémunération égale pour un travail de valeur égale, égalité des chances dans les postes, la sécurité d’un contrat à durée indéterminée, la retraite et l’assurance maladie et, en pratique, le droit de former ou d’adhérer à un syndicat.[12] »

Cette pratique a comme conséquence directe de mettre ces employé-e-s sous grande précarité d’emploi. Ils sont presque toujours employé-e-s sous contrats à durée déterminée, mais renouvelés chaque année, ou même transférés de compagnies sous-traitantes à une autre. Elles et ils n’ont donc pas accès à l’augmentation obligatoire des salaires et peuvent être congédiés à tout instant — même après 10 ans d’emploi à la même mine — sans compensation. De plus, cette précarité rend difficile leur adhésion à un syndicat et diminue encore plus leur pouvoir de négociation face à leur employeur.

De plus, les employé-e- s de sous-traitants sont payés à un taux grandement plus bas que les employé-e-s « direct-e-s » de la mine. Leur salaire se situe majoritairement en dessous du salaire de subsistance. Plutôt que d’augmenter les salaires – et le niveau de vie général des congolais-e- – l’utilisation par les entreprises de sous-traitants contribue à réduire des salaires déjà très bas les laissant dans un cycle générationnel de pauvreté. Le recours systématique à des sous-traitants par les sociétés minières a également poussé ces travailleuses et ces travailleurs à travailler de manière significative au-delà de la limite légale congolaise de 45 heures par semaine, généralement sans rémunération des heures supplémentaires[13].

Ultimement, en sus de réduire les coûts pour les multinationales et de transférer la charge aux travailleuses et aux travailleurs, cette pratique permet de protéger ces entreprises contre des poursuites judiciaires futures et de limiter leur responsabilité légale et réputationnelle. Ils peuvent dévier les critiques vers ces compagnies sous-traitantes et « se laver les mains » de tous problèmes ou violations des droits des travailleurs. Toutefois, cette rhétorique n’est valable que si les deux parties sont à pouvoir égal. Or, dans le contexte congolais, les compagnies sous-traitantes — majoritairement locales et petites — n’ont que peu de pouvoir de négociation envers les multinationales qui dictent souvent les termes de leur accord.

À défaut de lois internationales contraignantes, il revient donc aux consommatrices et aux consommateurs d’exiger que leurs achats — ici, des véhicules électriques — profitent aux pays, et à leurs travailleuses et travailleurs, où nous extrayons les ressources naturelles primaires et essentielles à ces biens.


 

[1] Kirsten Lori Hund et Daniele La Porta, « Changing mining practices and greening value chains for a low

carbon-world », World Bank Group, 2019. En ligne : https://www.worldbank.org/en/news/feature/2019/10/07/changingmining-practices-and-greening-value-chains-for-a-low-carbon-world

[2] US Geological Survey, « Mineral Commodity Summaries 2020 », 2020.

[3] Jean Pierre Okenda, « Democratic Republic of the Congo : Updated Assessment of the Impact of the Coronavirus Pandemic on the Extractive Sector and Resource Governance », Natural Resource Governance Institute, 2020. En ligne : https://resourcegovernance.org/analysis-tools/publications/drc-updated-assessmentimpact-coronavirus

[4] International Monetary Fund (IMF), « Democratic Republic of the Congo: Technical Assistance Report – Governance and Anti-Corruption Assessment » Country Report No 2021/095, 25 mai 2021. En ligne : https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2021/05/25/Democratic-Republic-of-the-Congo-Technical-Assistance-ReportGovernance-and-Anti-Corruption-50191

[5] Comité exécutif ITIE-RDC, « Rapport Assoupli ITIE-RDC 2018, 2019 et 1er semestre 2020 », 16 mars 2021.

[6] World Bank, « The World Bank in DRC: Overview », 2 avril 2021. En ligne : https://www.worldbank.org/en/country/drc/overview

[7]Amnesty International et AfreWatch, « This Is What We Die For – Human Rights Abuses in the Democratic Republic of the Congo Power the Global Trade in Cobalt », 2016. En ligne : https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/05/AFR6231832016ENGLISH.pdf

[8] Voir par exemple: RAID, « DR Congo: Mine Workers at Risk During Covid-19 », 11 juin 2020. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/dr-congo-mine-workers-risk-during-covid-19;  Kate Hodal, « Mining giant Glencore faces human rights complaint over toxic spill in Chad », The Guardian, 28 janvier 2021. En ligne : https://www.theguardian.com/global-development/2021/jan/28/mining-giant-glencore-faces-human-rights-complaint-over-toxic-spill-in-chad; RAID, « Rights group says Glencore’s sustainability report lack credibility », 2 juin 2020. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/rights-groups-say-glencore-sustainability-report-lackscredibility; IndustriALL, « IndustriALL raises Glencore human rights violations with UN Human Rights Council », 28 juin 2018. En ligne : http://www.industriall-union.org/industriall-raises-glencore-humanrights-violations-with-un-human-rights-council

[9] Amnesty International et AfreWatch, « This Is What We Die For – Human Rights Abuses in the Democratic Republic of the Congo Power the Global Trade in Cobalt », 2016. En ligne : https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/05/AFR6231832016ENGLISH.pdf

[10] RAID, « The Road to Ruin? Electric vehicles and workers’ rights abuses at Congo’s industrial cobalt mines », novembre 2021. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/cobalt-workers-exploitation

[11] Traduction libre de : UN Human Rights Council, « Written statement submitted by Centre Europe – tiers monde, a nongovernmental organization in general consultative status », 38th Session, Item 3, 14 juin 2018. En ligne : https://www.cetim.ch/wp-content/uploads/Written_statement_CETIM_Glencore_ENG.pdf

[12] Id.

[13] RAID, « The Road to Ruin? Electric vehicles and workers’ rights abuses at Congo’s industrial cobalt mines », novembre 2021. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/cobalt-workers-exploitation

 

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