COP25. Nier les droits humains… J’ai compris ce que cela voulait dire

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Léa Ilardo,
porte-parole de La planète s’invite à l’université

En décembre dernier s’est tenue la 25e Conférence des Parties (COP25) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce qui m’a le plus frappée lorsque j’ai intégré cet espace où convergent 195 États et des milliers de personnes formant ce que l’on appelle la société civile, c’est l’impression de faire partie d’une micro-société. Ça grouille de monde qui a l’impression de savoir où il va, qui marche vite, voire qui court après le temps. Ce qui se cache derrière ces acronymes obscurs, c’est 28 ans de diplomatie consacrés à répondre à cette question : comment « stabiliser (…) les concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique[1] »?

Bref historique des négociations internationales sur le climat : récit d’une rencontre entre luttes environnementale et sociale

Annuellement depuis 1995, les États du monde se réunissent afin de trouver un terrain d’entente sur la façon de lutter conjointement contre le dérèglement climatique. Rapidement, le tournant techniciste et marchand du régime climatique a poussé beaucoup d’actrices et acteurs de la société civile à délaisser cet espace. Si, jusqu’en 2009, le dossier climat était monopolisé par le politique, mains liées avec le monde économique, la COP15 a constitué un tournant vers son ouverture aux questions de justice et de droits humains. Alors que très peu d’organisations de justice globale travaillaient sur ce sujet au début des années 2000, une progressive mise en relation des conséquences du réchauffement planétaire avec les problèmes de justice découlant de la mondialisation économique néolibérale s’est amorcée. La COP15 incarne donc un moment clé de diversification des mouvements qui prennent part aux négociations internationales sur le climat, imposant à l’agenda la question de la justice climatique.

Le régime international du climat ou le continuum d’une déresponsabilisation inquiétante

La crise climatique touche de manière disproportionnée les communautés les plus pauvres, notamment les États insulaires; ce n’est plus à prouver. En plus d’être victimes d’inégalités économiques et sociales, ces communautés sont celles qui subissent le plus lourdement les conséquences du réchauffement planétaire. Dès leur début, les négociations climatiques se sont empêtrées dans le débat sans fin de l’assignation des responsabilités : doit-on se baser sur les émissions historiquement ou actuellement produites pour décider à qui revient l’effort de moins polluer? À la COP25, seuls 79 États représentant 10,5 % des émissions mondiales de GES se sont engagés à rehausser leur cible d’ici 2020, les grands pollueurs comme les États-Unis ou le Canada manquant à l’appel. Pourquoi une telle impasse? Une tension s’est établie entre pouvoir et responsabilité : le premier reste concentré dans les mains des États les plus puissants sur la scène internationale (qui sont, par ailleurs, à l’origine des ravages climatiques) mais ces États ne cessent de se déresponsabiliser des actions à entreprendre pour contrer la crise en cours. Pendant ce temps où l’inaction domine (pas de responsable, pas d’action), chaque degré de réchauffement supplémentaire ne fait qu’aggraver l’atteinte directe aux droits humains les plus fondamentaux : droit à l’eau, à un environnement sain, à la santé et à tant d’autres, obligeant parfois à migrer pour survivre. Tandis qu’une réelle justice climatique appellerait à placer les principales victimes des changements climatiques au cœur de l’action, l’histoire de la gouvernance climatique montre que le système onusien les empêche d’avoir leur mot à dire.

À toi qui n’as pas de voix, je donne la parole

Après avoir vécu la COP25, j’ai compris que ce n’était pas mon témoignage qui importait, mais celui de celles et ceux à qui on ne donne pas la parole, ou que l’on n’écoute tout simplement pas. Marie-Christina Kolo, militante éco-féministe malgache, me racontait à la sortie d’un panel :

« On fait partie de ces pays qui sont sous-aidés et carrément oubliés dans les négociations. Dans la délégation officielle, on n’a que cinq personnes, c’est tout simplement ridicule ; pas de visibilité du tout. En tant que pays oublié, on ne vit pas moins les impacts des changements climatiques. Chez moi, la période de sécheresse, c’est chaque année, ça fait cinq ans qu’il n’a pas plu dans l’extrême sud de Madagascar. Chaque année, on a des cyclones de plus en plus intenses. On a plus d’un million de personnes qui, dans une seule région, sont en état d’insécurité alimentaire. (…) Je parlais hier avec le chef de délégation de Madagascar, et je lui demandais quelle était notre position par rapport à cette COP. Il me dit : « Mais nous, tu crois qu’on est un pays spécial? Nous, on suit le mouvement, on est comme les autres. Tu crois qu’on fait le poids face aux États-Unis ou face à ces pays-là? » ».

J’ai souvent pensé, pendant la COP25, qu’il suffirait d’écouter pour enfin se décider à agir ; pour arrêter de nier les drames humains qui se déroulent sous nos yeux. Je relatais en introduction l’impression d’intégrer à la COP une micro-société, où les inégalités persistent, crèvent les yeux. Pendant que les puissant-e-s bloquent les négociations, on rencontre des personnes qui pleurent de douleur, qui voient leur île disparaître et qui, même ici, ne sont pas entendues. À la COP, tout le monde ne parle pas d’environnement sous forme d’acronymes technicistes. Pour beaucoup, le sujet, c’est la survie. C’est la lutte pour la vie. Ce sont bien des vies qui, ultimement, sont négociées depuis une trentaine d’années.

[1] Nations Unies, 1992, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques