Mitshetuteuat: Travailler ensemble pour protéger les territoires

Cette entrevue avec Vincent Dostaler et Charles CooCoo traite de l’importance de rassembler les Autochtones et les allochtones dans la lutte pour la protection des territoires et la défense des droits et titre autochtones.

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Maryse Poisson, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement, UQAM
Entrevue avec Vincent Dostaler et Charles CooCoo

 

Crédit photo: Frédéric C. McDuff

Au Québec, la multiplication des projets pétroliers, forestiers et miniers, couplés à la
crise climatique, alertent les mouvements écologistes et autochtones. Ceux-ci constatent la nécessité de travailler ensemble pour protéger les territoires, en passant notamment par la défense des droits et titres autochtones. Les deux événements Mitshetuteuat (mot innu qui signifie grand groupe qui marche), organisés conjointement par des Autochtones et des écologistes allochtones, constituent un exemple de démarche de rapprochement afin de travailler ensemble sur ces enjeux complexes mais urgents. Vincent Dostaler est membre de SOS Territoire, un comité du Groupe de Recherche d’Intérêt Public de l’UQÀM (GRIP-UQÀM), instigateur des Mitshetuteuat I et II. Quant à Charles CooCoo, il habite Wemotaci (réserve enclavée dans le territoire de la ville de La Tuque) et est reconnu comme un des pères spirituels de la nation atikamekw.

 

D’où vient l’idée du Mitshetuteuat II et comment l’événement s’est-il déroulé?

Vincent Dostaler :

En 2010, des aînés algonquins ont demandé à des membres de mon groupe, SOS Territoire, de les aider à protéger la forêt habitée de génération en génération par leurs familles. Nous avons essayé d’arrêter les coupes à blanc, notamment par les tribunaux. Ça a été difficile et nous n’avons pas réussi. Nous avons réalisé qu’il serait pertinent de mettre en commun les différentes luttes menées entre Autochtones et allochtones ailleurs au Québec pour apprendre et devenir plus forts. Nos écosystèmes se font détruire de plus en plus. Les écologistes allochtones sont de plus en plus conscient-e-s que ce sont les Peuples d’origine qui sont les plus affectés, mais manquent de moments de contact avec ceux-ci. Le Mitshetuteuat I, qui a eu lieu à l’UQÀM en 2014, visait donc à favoriser ces rapprochements et a rassemblé plus de 100 participant-e-s, dont une cinquantaine d’Autochtones écologistes de partout au Québec.

Le Mitshetuteuat II a eu lieu à Wemotaci, en territoire atikamekw, en septembre 2015 durant quatre jours, sur l’invitation d’un aîné de la communauté, Charles CooCoo. L’objectif était d’aller plus loin qu’en 2014, de se rencontrer et de partager, mais aussi de tenter d’avancer ensemble vers la formation d’un front commun entre Autochtones et écologistes allochtones pour la protection de la biodiversité. C’était un objectif ambitieux, et on évalue encore à quel rythme on sera capable de l’atteindre. Une soixantaine d’écologistes allochtones et plusieurs Autochtones y ont participé, et même si la participation de ces derniers a été moins importante qu’en 2014, on sent que des contacts essentiels à la compréhension ont été tissés entre les personnes présentes. Notamment, les allochtones ont pu comprendre la complexité des positions autochtones face au territoire, et l’importance de s’allier à ce que j’appelle les traditionalistes, ces Autochtones qui portent les traditions ancestrales de leurs aînés, même si Charles n’aime pas ce mot! (rires)

Durant l’événement, on privilégiait les cercles de parole, durant lesquels chacun peut parler sur les thématiques choisies autant qu’il le souhaite, sans être interrompu, sans non plus réagir sur ce que les autres disent. Les allochtones ont aussi participé à des tentes de sudation et à différentes cérémonies autochtones. Je crois que toutes ces expériences leur ont vraiment permis de s’ouvrir aux réalités, à la spiritualité et aux pensées autochtones, ce qui est nécessaire pour travailler ensemble.

 

Charles CooCoo :

Nous discutions depuis quelques années de l’idée du Mitshetuteuat avec Vincent et d’autres écologistes. Quand l’environnement est bouleversé, ça affecte la culture, les traditions et notre mode de vie. Le Mitshetuteuat I nous a permis de parler de ces questions. Le Mitshetuteuat II qui s’est tenu dans ma communauté a répondu à mes attentes parce que nous avons abordé nos préoccupations en termes d’actions conjointes. J’ai senti une vraie motivation à travailler ensemble, les échanges ont été très bénéfiques. À l’intérieur de notre communauté, il nous faut continuer cette discussion sur le développement économique et l’écologie. Le mot pimatisiwin, qui s’apparente au concept de la spiritualité dans la langue atikamekw, vient du mot vie et de mouvement circulaire . Notre relation à l’environnement, de la chasse à nos décisions en termes de développement économique, doit respecter cette idée d’une relation circulaire qui permet notre bien-être avec l’environnement.

 

Comment voyez-vous l’importance de rassembler les Autochtones et les allochtones dans des événements comme le Mitshetuteuat?

Vincent Dostaler :

Je crois que le besoin de créer des relations plus intimes et des amitiés entre Autochtones et écologistes allochtones est exprimé de différentes façons depuis longtemps. Il y a urgence d’agir face aux menaces environnementales, et ce sont ces relations profondes qui nous aideront à travailler ensemble. Ces rencontres permettent aux écologistes allochtones de comprendre que les Autochtones ne sont pas un groupe homogène, et de différencier les conseils de bande, créés par le gouvernement, des traditionalistes. Ces derniers sont très peu nombreux, passent beaucoup de temps en forêt, sont démunis et souvent très demandés pour des processus de guérison. Leur engagement est profond, parce que la protection de leur culture, de leur mode de vie, est imbriquée à celle de l’environnement. De plus en plus d’écologistes allochtones veulent travailler avec les Autochtones, et ces événements leur permettent de s’approcher des traditionalistes pour amorcer un travail commun en respectant leurs limites en termes de temps et d’énergie.

Créer des liens permet aussi aux allochtones de comprendre que les revendications territoriales autochtones ne visent pas à les expulser des territoires revendiqués, mais au contraire à protéger les forêts, les lacs et les cours d’eau. La vision des Autochtones traditionalistes n’est pas que le territoire leur appartient, mais qu’on appartient au territoire et que les Peuples d’origine en sont les premiers gardiens. Comme a si bien dit Kokum Ati, une grand-mère cree durant un cercle de parole : « Le territoire est commun, partagé, et doit être défendu conjointement. »

 

Charles CooCoo :

La protection de l’environnement et de la biodiversité n’est pas une question de nationalité, mais d’humanité. Notre désir de travailler ensemble et de créer un front commun pour la protection de la biodiversité a été pensé et travaillé pour rassembler des êtres humains, qui comme les animaux, les plantes et les arbres, respirent et collaborent pour vivre en synergie. Les anciens disent que quand il n’y aura plus d’oiseaux, quand il n’y aura plus de huards qui chantent dans les lacs, l’humain mourra de chagrin. C’est ce que Glenn Albrecht, un grand philosophe australien, appelle la solastalgia. Lorsqu’il y a destruction, harnachement de l’environnement, l’être humain ressent profondément ce déséquilibre. Ce sera la détresse humaine, la dépression, l’être humain perd espoir puisqu’il n’a plus de références sur la beauté de la Terre, il n’a plus de lieux avec lesquels il se sent affilié. Je suis touché, blessé par cet harnachement des rivières, des forêts, dans ma dignité humaine. Aurons-nous les ressources pour rétablir l’équilibre de l’humain à travers ces grands bouleversements?

Être un écologiste authentique devient alors une question d’humanité et de conscience, et pour cela, il faut donc développer l’équilibre entre la pensée matérialiste et la pensée spirituelle. La pensée matérialiste pèse trop fort dans la balance présentement, les désirs et l’éblouissement sont grands, et c’est ce qui fait vivre notre système économique capitaliste. Il faut récupérer notre pensée spirituelle, qui nous amène à réfléchir à ce que nous sommes en tant qu’être humain. C’est comme cela que nous entrons dans de profondes réflexions, et que nous cheminons vers l’écologisme authentique, Autochtones et allochtones.

 

Comment voyez-vous le rôle de ces rencontres pour la défense des droits autochtones au Québec?

Vincent Dostaler :

Dans les années précédant Mitshetuteuat, plusieurs aînés autochtones ont été détenus et maltraités en prison pendant six jours pour s’être opposés à des coupes forestières sur leur territoire traditionnel. Cette expérience a été extrêmement éprouvante pour eux. Ils nous ont exprimé un besoin d’être soutenus, car ils se sentent extrêmement isolés. Ils sont allés en cour pour défendre leurs droits ancestraux et ils ont perdu énormément de temps et d’argent. Leur expérience est que la voie juridique ne marche pas. Ils ne croient plus à notre système de justice, et plutôt que de revendiquer, elles et ils veulent agir, défendre ce qu’ils peuvent avec différentes stratégies, comme des blocages de route, ou la création d’un territoire indépendant, comme proposent les Anishnabes. Or, pour ça, ils veulent notre soutien comme écologistes.

 

Charles CooCoo :

On ne peut pas parler de lois ou des droits autochtones sans parler de la Loi sur les Indiens, qui est là pour dégénérer, abâtardir le Peuple autochtone, et nier la reconnaissance de nos droits. La Loi sur les Indiens nous enlève le pouvoir de porter nos propres lois et nos propres droits, de les définir nous-mêmes. Ainsi, les gens qui vivent à partir des ressources de la nature, qui préservent la nature, ne sont pas reconnus comme des êtres humains. Pour être un être humain, il faudrait que nous soyons civilisés, que nous ayons un système de gouvernement. Cet esprit du refus de l’humanité des Peuples de la forêt est encore présent au 21e siècle, et nie notre droit essentiel d’être reconnus comme des êtres humains à part entière.

La Cour suprême, en parlant d’accommodements et de consultations, permet aux gouvernements de faire des projets destructeurs de l’environnement en échange de dons ou d’argent aux Autochtones. Les conseils de bande se sentent obligés d’accepter l’argent des compagnies pour sortir leurs communautés de la pauvreté, de la déchéance. Mais aucun montant d’argent ne peut sortir les Autochtones de la pauvreté. La Cour suprême coupe ainsi les racines des Autochtones avec leur environnement en donnant la priorité au développement économique capitaliste. Politiquement, tout est pensé pour l’économie, et le système juridique appuie ça. Nos droits par l’accommodement et la consultation sont définis par le gouvernement, pas par nous. Dans ces jugements, on sent la peur, alors que nous voulons nous enraciner de nouveau à la Terre, qui est en train d’être bouleversée et saccagée, nous en sommes témoins. Comment parler de respect des droits autochtones dans ce contexte, alors que la qualité de l’environnement, c’est le vrai premier droit autochtone? Pour moi, la loi et les droits autochtones sont en suspens, ne peuvent pas exister et être respectés dans ce contexte.

La meilleure façon d’assimiler le Peuple autochtone, c’est d’éliminer d’où il vient. Nous sommes de la nature, de la terre, de la forêt. Éliminer tout ça, pour le gouvernement, c’est la meilleure façon d’assimiler les Autochtones. Cette assimilation nous rend les esclaves du développement économique, du capitalisme. Elle nous oblige à avoir toujours peur, à faire des courbettes devant le gouvernement et les multinationales, et à devenir les valets de ce système de développement économique. Au niveau planétaire, nous avons toutes et tous une seule conscience qui doit devenir plus harmonieuse, plus énergétique, et la démarche de Mitshetuteuat va dans ce sens.

Pour que les Autochtones aient des droits, il faut des changements fondamentaux, il faut que la société change, que le peuple se lève. Les leaders qui nous y mèneront devront être des personnes équilibrées et éclairées. Les directives pour notre développement ne doivent pas venir du gouvernement, puisque c’est notre culture qui est en jeu, pas la leur. Nous nous souvenons de ce que les anciens nous ont toujours dit : de protéger l’environnement et la biodiversité. Nous devons continuer à sensibiliser nos communautés, et nous poser la question suivante : « Devons-nous répondre aux besoins fixés par l’économie mondiale par le capitalisme? » Il faut prendre une décision de collaboration avec la nature, et à partir de là, trouver où et comment faire le développement économique. Voilà pour le tour de cette question… en bref. (rires)

 

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