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Alexandra Pierre,
présidente de la Ligue des droits et libertés
La mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette sous des insultes racistes le 28 septembre dernier a été un choc brutal pour de nombreuses personnes, à commencer évidemment par ses proches et la communauté Atikamekw de Manawan. Cette mort a ramené au coeur de l’actualité une réalité vécue quotidiennement par de nombreuses personnes autochtones : le racisme systémique qui les empêche de bénéficier de services de santé adéquats et du meilleur état de santé possible. Parce qu’elles sont autochtones, ces personnes sont traitées différemment par les services de santé québécois.
En 2018, le gouvernement du Québec mandatait le juge Jacques Viens pour présider la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (ci‑après appelée Commission Viens). Cette Commission avait le mandat d’étudier le traitement réservé aux peuples
autochtones par les services de santé, les services sociaux, la protection de la jeunesse ainsi que les services policiers, de justice et correctionnels. Rappelons que cette Commission a été instaurée à la suite de la dénonciation des violences qui auraient été perpétrées à Val-d’Or par des policiers de la Sûreté du Québec envers des femmes autochtones.
Le rapport Viens, déposé le 30 septembre 2019, près d’un an jour pour jour avant la mort de Joyce Echaquan, est clair : les structures et les processus en place dans le système de santé affichent une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles des peuples autochtones.
Selon ce rapport, la discrimination sur la base de la race est un facteur décisif pour comprendre les soins inadéquats et le manque d’accès aux services de santé auxquels font face les Autochtones. Mais ce n’est pas l’unique élément. En effet, le Commissaire Viens note que d’autres causes influencent cette situation, tout en renforçant les effets du racisme systémique.
Ainsi, les conditions de vie déplorables dans lesquelles vivent la majorité des communautés autochtones ont des impacts majeurs sur leur santé et la qualité des soins et services reçus. À titre d’exemple, le rapport Viens identifie les revenus insuffisants de nombreux foyers et le coût de la vie élevé dans plusieurs communautés autochtones. Ces réalités rendent difficile le fait de se procurer des denrées alimentaires à un coût raisonnable et la capacité d’obtenir certains services ou médicaments. L’éloignement (qui n’a pas qu’un caractère géographique dans ce contexte, mais aussi un caractère politique compte tenu de la manière de concevoir le développement du territoire) pèse aussi sur les conditions de soins, par exemple sur le type de soins offerts selon les infrastructures disponibles ou sur la possibilité d’être accompagné-e de ses proches lorsqu’on se fait soigner hors de son milieu.
Le rapport Viens souligne également que le manque d’accès à des logements abordables et de qualité a une incidence négative sur la santé des populations et des personnes autochtones. De même, la grande difficulté de recevoir des services de santé dans une langue autochtone ainsi que la normalisation de façons de faire ayant bien souvent très peu à voir avec les savoirs et les traditions autochtones, ou bien des pratiques réprouvant ces savoirs, représentent d’autres obstacles à l’atteinte du meilleur état de santé possible. Tout cela est renforcé par la très faible présence des personnes autochtones parmi les employé-e-s et professionnel-le-s des services de santé. Le Commissaire Viens fait d’ailleurs un lien entre cette faible présence et le traitement différencié des populations autochtones dans le système d’éducation québécois.
Ainsi, ce que le rapport Viens nous rappelle avec justesse, c’est que le respect du droit à la santé dépend du respect de tous les droits humains. Pour assurer le respect du droit à la santé de tous et toutes, tant au niveau physique que mental, les gouvernements doivent donc s’attaquer aux problèmes structurels et institutionnels qui minent la santé des populations, au premier rang celle des Autochtones. Le racisme systémique, la pauvreté et un faible accès à des logements convenables et à une éducation adaptée sont au nombre de ces problèmes.
Le Québec a adhéré aux principaux instruments internationaux de droits de la personne, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui garantit le droit à la santé. Le Pacte stipule que les politiques publiques doivent se conformer au cadre de référence des droits humains, sans distinction de race ou de sexe, notamment. Pourtant, le gouvernement du Québec tarde à traiter les enjeux de santé comme des enjeux de droits humains. Dans la foulée des exigences posées par ce droit, il est urgent d’exiger des changements systémiques et structurels, de la nature de ceux proposés par les organisations et communautés autochtones au fil des années et par la Commission Viens. Il faut aller bien au-delà de la responsabilisation individuelle des employé-e-s des services de santé.
Ainsi, le Conseil des Atikamekw de Manawan et celui de la Nation Atikamekw ont entrepris la promotion du Principe de Joyce et souhaitent le voir adopté par l’Assemblée nationale du Québec. Ce Principe vise à garantir sans aucune discrimination à tous les Autochtones le droit d’avoir accès à tous les services de santé et tous les services sociaux ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale. Concrétiser le droit à la santé en tenant compte de l’interdépendance de tous les droits humains, c’est le défi qui nous attend, avec les peuples autochtones et pour l’ensemble de la population du Québec.