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Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021
Anne Hudon, pht, PhD, professeure adjointe, École de réadaptation, Université de Montréal
Kadija Perreault, pht, PhD, professeure agrégée, département de réadaptation, Université Laval
Marie-Eve Veilleux, personne atteinte d’arthrite
Un-e Canadien-ne sur cinq vit avec un handicap ou une limitation fonctionnelle[1]. Les atteintes sur le plan de la santé physique peuvent nuire au fonctionnement quotidien et à la participation sociale des personnes, en plus d’affecter leur santé mentale. Les services de santé disponibles à la population doivent donc non seulement couvrir le traitement des maladies, mais aussi viser la prévention et la diminution des déficiences (p. ex. douleur, raideur), des limitations fonctionnelles et des restrictions de participation, et promouvoir la santé, la qualité de vie et l’inclusion sociale des personnes de tous les âges[2].
Qu’est-ce que la réadaptation ?
La réadaptation est « un ensemble d’interventions nécessaires lorsqu’une personne est limitée ou risque d’être limitée dans son fonctionnement quotidien à cause de son âge ou d’une pathologie, notamment une maladie ou un trouble chroniques, une lésion ou un traumatisme. (…) »[3], Les services de réadaptation physique destinés aux enfants, adultes et aîné-e-s incluent, selon les besoins des personnes, des interventions physiques telles que l’entraînement à la marche ou au langage, des exercices physiques, auditifs ou visuels, ou l’utilisation d’aides techniques pour réduire l’impact des incapacités ainsi que des interventions ciblant des aspects psychologiques et sociaux, telles que des mesures d’adaptation de l’environnement, de l’entraînement cognitif et de l’enseignement sur la gestion des activités. Les services de réadaptation devraient être un élément essentiel de la couverture sanitaire universelle[4] et ainsi être fournis à travers tout le continuum de soins (p. ex. soins aigus, séjour hospitalier, soins ambulatoires, soins à domicile, milieux communautaires).
Réadaptation essentielle, mais accès restreint
Une question importante se pose donc : comment mieux intégrer les services de réadaptation dans le régime public, en visant une couverture universelle, afin de respecter le droit à la santé ? Plusieurs pistes de solutions, dont quelques-unes sont avancées dans ce texte, doivent être explorées et des actions posées, même si plusieurs ne seront peut-être pas uniques au champ de la réadaptation et que la recherche à cet égard reste encore en émergence.
Bien que les services de réadaptation soient jugés essentiels, leur accès est actuellement extrêmement restreint au sein du régime public québécois. Ce manque d’accès se traduit entre autres par de longs délais d’attente (allant de plusieurs mois jusqu’à des années) pour obtenir des services publics de physiothérapie, d’ergothérapie ou encore d’orthophonie à titre d’exemples[5]. L’impossibilité de recevoir des services dans un temps opportun engendre des conséquences néfastes, telles que la transition vers la douleur chronique, la diminution de la participation sociale, l’augmentation de la charge des soignants et l’augmentation de l’utilisation et des coûts des soins de santé[6]. En plus de ces délais excessifs ayant des impacts délétères, des iniquités dans l’accès aux services de réadaptation ont aussi été relevées au Canada, par exemple sur la base du statut d’autochtone, de la situation financière et de la localisation géographique des personnes[7]. En raison du manque d’accès dans le régime public, certaines personnes se tournent vers le privé pour recevoir des services ambulatoires de réadaptation, mais plusieurs n’y ont tout simplement pas accès, faute de couverture d’assurances suffisante ou de moyens financiers. De plus, la situation de l’accès se serait aggravée avec la pandémie liée à la COVID-19, notamment en raison de la suspension de certains services ambulatoires, de la libération des lits destinés à la réadaptation en soins aigus, et de la réaffectation du personnel[8].
Les besoins avant tout
Des actions tangibles doivent d’abord être déployées afin d’adopter une culture des services de santé orientée vers les besoins concrets et évolutifs des personnes et des populations. Le système de santé reste encore largement ancré dans une vision médicalocentrique et curative, basée sur des épisodes de soins très précis et délimités dans le temps. Les services de santé sont encore largement déterminés en fonction de l’expertise professionnelle et d’une vision de la santé axée sur le diagnostic d’atteintes spécifiques ou de maladies. Il existe aussi des disparités importantes entre les priorités de santé mises de l’avant par les professionnel-le-s comparativement à celles exprimées par les personnes nécessitant les services[9]. La culture dominante oriente donc l’offre de services sans que celle-ci permette de satisfaire pleinement les besoins des personnes. Ainsi, la reconnaissance, au sein du régime de santé, de la nécessité d’une pluralité de services intégrés, basés sur les besoins signifiants et évolutifs des personnes, notamment celles vivant avec un handicap, est nécessaire. De tels changements de culture passent vraisemblablement par des changements en matière de formation des professionnel-le-s, des gestionnaires et décideurs, mais également à travers l’éducation populaire afin que la conception des services de santé soit orientée vers une compréhension et une adoption plus inclusive des besoins des personnes.
Tous défenseurs du droit à la santé
La formation des professionnel-le-s de la réadaptation, tout comme celle de la plupart des professionnel-le-s de la santé, a été jusqu’ici davantage orientée vers les services cliniques individuels que vers des approches d’intervention qui adoptent une vision plus populationnelle, celle-ci étant caractérisée par une plus grande sensibilité à l’égard des déterminants sociaux et des disparités au sein des populations. Afin de mieux intégrer les services de réadaptation au cœur de notre régime, il importe que les décideurs, gestionnaires et professionnel-le-s puissent se montrer imputables et redevables envers la population quant à la réponse aux besoins variés des humains en matière de santé, selon une vision plus sociale de la santé.
Ces acteurs et actrices sont malheureusement témoins de besoins non rencontrés des personnes et, même si leurs moyens sont souvent limités dans le contexte actuel du régime, ces derniers pourraient se positionner davantage en défenseurs des droits à la santé, en collaboration avec les personnes qui nécessitent des services, notamment en matière d’accès à des services de réadaptation[10].
De même, l’expertise des personnes face à leur condition de santé et leur capacité à déterminer leurs propres besoins devraient être mieux reconnues et valorisées. Ainsi, ces personnes seraient davantage intégrées dans l’organisation et le déploiement des services de réadaptation qui les concernent.
Proximité, téléréadaptation et diversité
L’accroissement de l’offre de services de réadaptation ambulatoires publics hors centre hospitalier, tels qu’en groupe de médecine de famille et dans les milieux communautaires, à proximité de la population, pourrait aussi s’avérer bénéfique[11]. Une utilisation judicieuse et éthique de la téléréadaptation (services de réadaptation fournis par l’entremise de la technologie : système de vidéoconférence, téléphone, courriels, etc.) pourrait permettre de rejoindre de façon ponctuelle et efficiente un grand bassin de personnes nécessitant des soins[12], notamment celles se trouvant en régions éloignées, quoique l’équité d’accès à de tels services doive aussi être mieux évaluée. De plus, une plus grande sensibilisation et une formation adaptée auprès des acteurs du régime public sur la riche diversité des personnes auprès de qui les services sont offerts, par exemple en matière de représentation sociale de la santé, de culture et de diversité des corps et des handicaps, permettraient d’améliorer l’offre de services de réadaptation dans une perspective d’inclusion sociale et d’équité d’accès.
En somme, des transformations importantes s’imposent, notamment au niveau culturel, professionnel et organisationnel, afin d’améliorer l’accès aux services de réadaptation dans notre régime de santé et de services sociaux et ainsi mieux répondre aux besoins des personnes, des communautés et des populations.
[1] S. Morris et al., « A demographic, employment and income profile of Canadians with disabilities aged 15 years and over », https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-654-x/89-654-x2018002-eng.htm
[2] K. Perreault et al., Livre blanc sur l’accès aux services de physiothérapie au Québec, Association québécoise de physiothérapie, 2019, 36 pages.
[3] Organisation mondiale de la santé, « Réadaptation », https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/rehabilitation
[4] Organisation mondiale de la santé, Rehabilitation : Key for health in the 21stcentury, 2019, 6 pages.
[5] S. Deslauriers et al., « Access to publicly funded outpatient physiotherapy services in Quebec: waiting lists and management strategies », Disability and Rehabilitation, vol. 39, no 26, 2017 p. 2648-2656.
[6] World Health Organization Regional Office for Europe, « COVID-19 exposes the critical importance of patient rehabilitation », http://www.euro.who.int/en/health-topics/health-emergencies/coronavirus-covid-19/news/news/2020/4/covid-19-exposes-the-critical-importance-of-patient-rehabilitation
[7] S. Deslauriers et al., « Factors associated with waiting times for persons with rheumatic conditions in multidisciplinary pain treatment facilities », Journal of Pain Research, vol. 12, 2019, p. 2379.
[8] J.P. Bettger et al., « COVID-19: maintaining essential rehabilitation services across the care continuum », BMJ Global Health, vol. 5, no 5, p. 202.
[9] H. Raymond et al., « Referral Prioritization in Home Care Occupational Therapy: A Matter of Perspective », Canadian Journal of Occupational Therapy, 2020.
[10] M-J. Drolet et A. Hudon, « Les professionnels de la santé ont-ils un devoir d’advocacy ? », Éthica, vol. 18, no 2, 2014, p. 33-63.
[11] S. Deslauriers et al., « Integrating Physiotherapists into Publicly Funded Primary Care: A Call to Action ». Physiotherapy Canada, vol. 69, no 4, 2017, p. 275-279.
[12] D. Kairy et al., « A systematic review of clinical outcomes, clinical process, healthcare utilization and costs associated with telerehabilitation.», Disability and rehabilitation, vol. 31, no 6, 2009, p. 427-447.