Une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution

Les prisons sont fondamentalement des lieux de violations des droits.

Cette lettre ouverte a été publiée dans Le Devoir, le 7 mars 2023.

Une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution

Laurence Guénette et Lynda Khelil, respectivement coordonnatrice et responsable de la mobilisation de la Ligue des droits et libertés

Depuis 2016, la Ligue des droits et libertés et de nombreuses organisations et personnes ne cessent de dénoncer les violations de droits qui ont lieu à la prison Leclerc de Laval, où les femmes détenues par le provincial pour des peines de moins de deux ans ou en attente de procès ont été transférées. La configuration architecturale oppressante, l’insalubrité et la vétusté des installations, les fouilles à nu abusives et humiliantes, l’accès défaillant à des soins de santé physique et psychologique, ainsi que l’usage de l’isolement et du confinement sont autant d’enjeux générant des conditions de détention dégradantes et inhumaines.

Ce régime de mépris institutionnel et d’atteintes aux droits des personnes incarcérées est bien connu des autorités carcérales et politiques. Il est présent dans l’ensemble des établissements de détention du Québec, où le taux de suicide est plus élevé que dans la population, ne laissant aucun doute quant au fait que les prisons sont fondamentalement des lieux de violations des droits.

Après des années d’indifférence et d’inaction, le nouveau ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, annonçait le 19 décembre 2022 la construction d’une nouvelle prison pour femmes de 237 places, au coût de 400 M$. Aux dires du gouvernement, cette nouvelle prison, qui ouvrirait en 2030, s’inscrit dans un plus large projet visant à offrir aux femmes incarcérées de «meilleures perspectives de réinsertion sociale grâce à un meilleur accès aux programmes et aux services dont elles ont besoin».

La Ligue des droits et libertés considère qu’une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution et elle s’y oppose. L’incarcération produit et reproduit des violations de droits, de la violence, de la détresse et des discriminations sexistes, racistes, coloniales, capacitistes et classistes que les « réformes » du système carcéral ne peuvent pas enrayer. En plus de mettre à mal les droits humains, l’incarcération échoue à remplir les fonctions censées justifier son existence, notamment la réinsertion sociale, la dissuasion et la diminution de la violence. Dans bien des cas, l’incarcération est une réponse punitive et restrictive de liberté à des enjeux sociaux, résultat d’un désengagement de l’État quant à ses obligations en matière de droits économiques et sociaux.

Rappelons que les femmes à la prison Leclerc sont pour la plupart peu scolarisées, viennent de milieux défavorisés et qu’elles ont, pour la grande majorité, commis des infractions en lien avec l’administration de la justice (défaut de se conformer à une ordonnance de probation ou omission de se conformer à un engagement) ou des infractions de subsistance, telles que la possession de drogues. Les femmes inuites et membres des Premières Nations y sont surreprésentées : elles représentent près de 10 % des femmes incarcérées. La plupart des femmes composent également avec des enjeux de santé mentale, en partie liés aux violences psychologiques, physiques ou sexuelles subies pendant leur enfance ou leur vie adulte.

Pour une remise en question de l’incarcération

Les personnes incarcérées à la prison Leclerc — et dans l’ensemble du système carcéral québécois — sont en grande partie condamnées à de courtes peines de moins de six mois. Or, il a été démontré que ces peines sont inefficaces. Elles n’ont pas d’impact sur le taux de récidive et nuisent à la réintégration sociale des personnes, provoquant notamment des pertes d’emplois, de logement et de prestations de solidarité sociale, en plus de briser les liens sociaux et familiaux et de porter atteinte à la santé mentale et physique. Ce type de peine d’incarcération devrait être aboli, ce qui réduirait aussi considérablement la population carcérale.

Il en va de même pour les courtes peines discontinues de « fins de semaine ». Dans un rapport d’enquête spéciale publié en 2018, le bureau du Protecteur du citoyen faisait état des conséquences de leur augmentation (conditions de détention difficiles, augmentation du risque de tensions et de violence, multiplication des fouilles à nu), laquelle est concomitante aux modifications au Code criminel imposant des peines minimales pour certaines infractions. Le Protecteur recommandait, entre autres, de privilégier d’autres voies que la détention. Durant la pandémie de COVID-19, les peines discontinues ont d’ailleurs été suspendues par décret gouvernemental pendant deux ans, ce qui montre bien qu’il est possible de mettre fin à ce type de peine.

La regrettée militante pour les droits humains et pionnière du droit carcéral, Lucie Lemonde, écrivait dans un texte paru dans la Revue Liberté et Le Devoir en 2022 : « [I]l est temps de voir la prison pour ce qu’elle est, c’est-à-dire tout, sauf une solution ». Cette vision est au coeur du travail de la Ligue des droits et libertés, où Lucie s’est impliquée activement pendant plusieurs décennies. Il en va de même pour la construction d’une nouvelle prison pour femmes : elle est tout, sauf une solution.