Droits des peuples autochtones
Elisabeth Dupuis, responsable des communications
Nous avons discuté avec Me Alexis Wawanoloath, chargé de cours en droit des peuples autochtones à l’Université Laval, co-animateur à la radio Kwé-Bonjour au Canal M et député à l’Assemblée nationale de 2007 à 2008. Nous voulions connaitre son point de vue sur quelques enjeux actuels et futurs, comme les langues autochtones, qui pourraient favoriser ou non le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones.
Retour à la table des matières
Revue Droits et libertés, printemps / été 2023
Pour l’avenir des peuples autochtones, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) représente un instrument important pour reconnaitre les droits des Autochtones et influer sur les législations. Or, comme le souligne Me Wawanoloath, celle-ci reste non contraignante sur le plan juridique interne. En vertu de l’article 3 de la DNUDPA, les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. Ainsi, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel1. Si le Canada a finalement ratifié la DNUDPA et adopté, par la suite, différentes mesures pour mettre en œuvre certaines de ses dispositions, le gouvernement du Québec n’a pas véritablement enclenché le processus de sa mise en œuvre. Pourtant, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (Commission Viens) avait formulé un appel à l’action à ce sujet. Le gouvernement du Québec résiste à établir un véritable dialogue de nation à nations, à adopter le Principe de Joyce, à admettre l’existence du racisme systémique et à accepter que les nations autochtones exercent une pleine souveraineté dans différents domaines comme la protection de la jeunesse.
Les droits ancestraux
Les droits ancestraux découlent de l’héritage exclusif et spécifique d’un groupe autochtone, comme une pratique, une tradition ou une coutume2. Comme l’explique Me Wawanoloath, ils sont protégés en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et, depuis son adoption, la Cour suprême s’est prononcée à leur sujet notamment avec l’arrêt Sparrow. « Il y a des enjeux importants à résoudre car la preuve est très difficile à établir sur ce qu’est ou non un droit ancestral ».
Il considère que, pour les communautés autochtones, faire valoir leurs droits ancestraux implique souvent des coûts juridiques importants, de l’ordre de plusieurs millions. D’autres voies de passage pourraient être possibles comme celles de procéder par des revendications territoriales globales, qui portent sur des affaires non réglées dans des traités canadiens, afin d’arriver à un traité moderne. « Ainsi, plusieurs nations au Canada seraient en mesure d’améliorer les conditions de vie de leurs membres en développant des opportunités économiques intéressantes et une certaine autonomie, selon les traités qui pourraient être conclus entre les peuples autochtones et les gouvernements fédéral ou provinciaux ».
Partage
Au-delà de la reconnaissance des droits ancestraux, la reconnaissance de l’autodétermination des peuples autochtones implique leur souveraineté sur leurs territoires.
Comme le souligne Me Wawanoloath, seules trois nations, les Eeyou (Cris), les Naskapis et les Inuit, sont concernées par la Convention de la Baie James et la Paix des Braves, qui sont des traités modernes. Si les gouvernements du Québec et du Canada utilisent ces traités pour pavoiser à l’échelle internationale, il faut quand même se rappeler « qu’au départ, la Convention de la Baie James n’a pas été faite dans le but d’être équitable envers les Eeyou. C’est plutôt à la suite de l’arrêt Malouf et l’arrêt des travaux, qui représentait une menace à la réalisation de ce projet du siècle. Et on se devait de régler et d’avoir une prévisibilité juridique pour exploiter ce territoire-là. On ne fait pas des ententes de bonne foi pour respecter les droits ancestraux et les droits autochtones ; ce fut toujours fait dans l’intérêt de l’État colonial ».
Aujourd’hui, malgré la cession de territoires au gouvernement du Québec, les Eeyou détiennent plus de pouvoirs que beaucoup d’autres nations grâce aux moyens mis en place pour la consultation sur le territoire et l’entrée en fonction du Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James, le 1er janvier 2014. D’un autre côté, certains problèmes restent entiers si on examine les conditions de vie chez les Inuit en particulier, rappelle l’avocat Waban-Aki.
Le partage des ressources, des territoires et des pouvoirs reste à être défini pour la majorité des nations autochtones au Québec. Certaines nations vont préférer garder les titres ancestraux qui sont en fait des droits collectifs fondés sur l’usage et l’occupation traditionnels par un groupe autochtone d’une portion de terre3. Certaines nations, comme les Innus, ont un point de vue différent sur leur territoire, comme nous l’explique Me Wawanoloath : « Selon la logique des cessions des droits, on cède notre titre ancestral sur notre territoire pour les remplacer par quelque chose d’autre qui est inscrit dans une convention. Ce fut l’un des grands points d’achoppement avec les Innus à travers l’Approche commune ».
Néanmoins, pour le Regroupement Petapan, qui rassemble les communautés Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan, un pas de géant pourrait être franchi dans les prochaines années en termes d’autodétermination. L’Approche commune est une entente de principe initiée en 2000 entre les Innus et le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. Le Regroupement Petapan représente les Premières Nations innues de Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan dans le processus de négociation territoriale globale en cours avec les gouvernements du Canada et du Québec pour la signature d’un traité. Ce processus se déploie vers la finalisation de la négociation du texte du projet de traité, prévue le 31 mars 2023, mais dont le gouvernement du Québec tarde encore à finaliser le projet4. Dans les prochains mois, les populations formant le regroupement seront consultées sur le projet de traité et un référendum sera par la suite organisé. Les enjeux de cession de territoire pourraient toutefois refaire surface.
Le génocide
Me Wawanoloath insiste aussi sur l’importance de reconnaitre le terme génocide : « si certaines nations s’en sortent mieux économiquement, les effets du génocide se font encore sentir chez les peuples autochtones. Les impacts intergénérationnels du système des pensionnats, des politiques relatives à la rafle des années 1960, des enfants du millénaire, de la perte de la langue, de l’acculturation sont à prendre en compte, tout comme les enjeux de justice sociale ».
La définition de génocide5 s’applique aussi à la stérilisation imposée6 aux femmes autochtones au Québec dont la dernière procédure aurait été effectuée en 2019. Pour Me Wawanoloath, « c’est important de parler avec les bons mots car, encore aujourd’hui, beaucoup de personnes ont de la difficulté à reconnaitre le génocide des Premières Nations. Selon les conclusions de l’enquête nationale des femmes disparues et assassinées, ce génocide des Premières Nations se poursuit. Par le biais de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), on prend encore nos enfants ! Il faut aussi se rappeler que le gouvernement du Québec n’a pas voulu participer aux travaux7 du Comité sénatorial permanent des droits de la personne en disant que “ ça ne se passait pas ici ” ».
La Décennie internationale des langues autochtones
La Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032) déclarée par l’Organisation des Nations unies pourrait représenter un tremplin pour revitaliser les langues autochtones au pays. Cependant, pour Me Wawanoloath, « il faudrait accepter que les langues autochtones aient le même statut que la langue française au Québec, elles devraient être protégées et donc, ne pas les percevoir comme une menace. C’était un engagement de François Legault de faire une Charte des langues autochtones ». Selon lui, il serait aussi possible que les autochtones rédigent leurs propres lois pour protéger leurs langues8. Pour la revitalisation, la préservation et la reconnaissance des langues autochtones, de grands défis se posent comme le financement, les transferts intergénérationnels, le faible nombre de locuteurs et, aussi, le placement de jeunes autochtones dans des familles d’accueil allochtones.
La protection de la jeunesse
La protection de la jeunesse représente l’un des champs de pratique de Me Wawanoloath à son cabinet. Il nous explique que la Nation Atikamekw a gagné une certaine autonomie en matière de protection de la jeunesse après 18 ans de négociations. Cette entente en vigueur depuis 2018 permet d’appliquer le Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA) de façon indépendante du directeur de la DPJ9 et, surtout, elle assure de faire respecter les droits des enfants concernant leur culture, leur tradition, leur langue et leur identité.
Maintenant, de nouvelles voies se tracent avec la loi fédérale C-9210 qui affirme, par processus déclaratoire, la compétence autochtone en matière de services à l’enfance et à la famille comme un droit ancestral générique. De son côté, le gouvernement du Québec considère qu’il faudrait déterminer s’il s’agit réellement d’un droit ancestral et conteste l’application de C-92, déplore Me Wawanoloath.
Pour lui, il faut retenir un élément important avec C-92 : une communauté a un an pour essayer de s’entendre avec la province. Si, au bout d’un an, elle n’a pas réussi à s’entendre, la loi autochtone prend effet et trouve application sans avoir besoin d’entente avec le gouvernement du Québec. Tout comme Opitciwan, il y a plusieurs communautés au Québec et au Canada qui sont en train de développer leurs propres lois, en faisant un avis d’intention suivi d’une entente de coordination11.
Si la protection de la jeunesse est l’un des domaines d’intervention qui requiert une reconnaissance de l’autodétermination, il faut aussi considérer une reconnaissance constitutionnelle.
Le chemin constitutionnel
La discussion avec Me Wawanoloath se termine sur l’enjeu constitutionnel. « Si on veut vraiment respecter les autochtones en tant que peuples, il va falloir nous faire une place constitutionnelle dans le régime canadien, non comme des sujets de droits, mais comme des acteurs de droits. Lorsque j’étais député péquiste, ma vision était que la création d’un nouvel État inclurait, pour de vrai, les peuples autochtones ». Ratifiée par le Canada, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones affirme haut et fort le droit des peuples autochtones de disposer d’eux-mêmes. Pour ce faire, le chemin qui mène à une transformation de la Constitution du Canada devrait s’ouvrir dans l’avenir afin d’établir de véritables rapports de nation à nations.
- En ligne : https://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf
- Ghislain Otis, La revendication d’un titre ancestral sur le domaine privé au Québec. Les cahiers du droit, 62, no 1, 2021, p. 277–323. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2021-v62-n1-cd05902/1076011ar/
- En ligne : https://www.rcaanc-gc.ca/fra/1100100028608/1551194795637
- En ligne : https://petapan.ca/donnees/protected/communique/files/PETAPAN_Communique_Entente%20Canada_Attente%20Qc_2023-03-pdf
- Voir la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide à l’article 2. En ligne : https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide
- Voir le rapport Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec. Suzy Basile et Patricia Bouchard de l’Université de l’Abitibi-Témiscamingue, novembre 2022. En ligne : https://cssspnql.com/produit/consentement-libre-et-eclaire-et-les-sterilisations-imposees-de-femmes-des-premieres-nations-et-inuit-au-quebec/
- En ligne : https://sencanada.ca/content/sen/committee/432/RIDR/reports/2021-06-pdf
- En avril 2023, l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador (APNQL) et le Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN) ont déposé une demande de contrôle judiciaire pour contester la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, aussi appelée loi 96, devant la Cour supérieure du Québec. En ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/2023-04-20/loi-96-sur-le-francais/les-premieres-nations-s-adressent-aux-tribunaux.php
- En ligne : https://www.atikamekwsipi.com/fr/services/service-sociaux-atikamekw-onikam/services/systeme-dintervention-dautorite-atikamekw-siaa
- La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis
- En ligne : https://www.sac-gc.ca/fra/1608565826510/1608565862367?wbdisable=true