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Droits et libertés, printemps / été 2024
Fonderie Horne : une allégorie de l’opacité
Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Alors que le droit à un environnement sain se développe avec de plus en plus de netteté en droit international, que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec le reconnait depuis 2006 et que l’adoption du projet de loi S-5 en juin 2023 en a consacré la reconnaissance dans la loi fédérale, que voit-on sur le terrain ? Des cas comme celui de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, désespérément emblématique de l’opacité des industries, dont se font complices les gouvernements.
La présente chronique attrape au bond la balle lancée par Mireille Elchacar lors de son allocution le 10 décembre dernier, à l’occasion de l’évènement de la LDL soulignant le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mme Elchacar est présidente de Mères au front, un organisme regroupant des mères, des grands-mères et leurs allié-e-s qui exigent une meilleure justice climatique pour nos enfants.
Elle nous rappelait en décembre 2023 que la fonderie, propriété de Glencore, et en activité depuis 1927, rejette des composants toxiques dangereux dans l’air, les sols et les eaux de la région depuis plusieurs décennies. En accord avec l’autorisation octroyée par le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, les quantités émises sont considérablement plus élevées que les taux permis selon les normes en vigueur dans le reste de la province.
Prenons l’exemple frappant de l’arsenic. Pendant longtemps, la fonderie pouvait rejeter jusqu’à 200 nanogrammes par mètre cube (ng m³) en vertu de l’exemption octroyée par le gouvernement, alors que la norme québécoise est de 3 ng m³. À partir de 2021, cette exemption a été réduite à 100 ng m³, ce qui reste 33 fois plus élevé que la norme provinciale. « L’arsenic est un poison, il n’y a pas de seuil où il est inoffensif », souligne Mme Elchacar. L’exemption pour la fonderie sera graduellement abaissée à 15 nanogrammes d’ici 2027, ce qui demeurera cinq fois plus élevé que la norme québécoise, et c’est sans tenir compte des 23 autres contaminants libérés par la fonderie, dont on ne connait pas les effets combinés.
Les liens entre certains composants toxiques rejetés par la fonderie et les risques de problèmes pulmonaires, neurologiques et de cancers sont avérés1. Les habitant-e-s de Rouyn-Noranda décèdent en moyenne six ans plus tôt que les autres habitant-e-s du Québec, nous rappelle Mme Elchacar.
Une lutte citoyenne — victorieuse — pour le droit à l’information
Les craintes pour la santé des habitant-e-s de Rouyn-Noranda — et les dénonciations des impacts de la fonderie — existent depuis belle lurette ; on n’a qu’à penser au documentaire Noranda réalisé en 1984 par Daniel Corvec et Robert Monderie avec une narration de Richard Desjardins. Cependant, au fil des décennies, les citoyen-ne-s n’ont pas eu accès à toutes les données disponibles. L’opacité était entretenue tant du côté du gouvernement que de l’entreprise, pour qui les intérêts économiques semblaient prédominer sur la santé des habitant-e-s.
En 2019, alors que Glencore et le gouvernement du Québec renégociaient les taux des rejets de contaminants permis pour la Fonderie Horne, une annexe a été discrètement retirée d’un rapport de la santé publique, ce qui n’a pas manqué de faire scandale par la suite. Mme Elchacar souligne avec ironie que cette annexe « aurait été drôlement pertinente pour prendre les bonnes décisions puisqu’elle concerne les taux de cancer liés à l’arsenic ».
Il s’agit là d’un enjeu de droit à l’information, qui se transforme souvent en obstacle très concret dans les luttes sociales et environnementales. Le droit à l’information est un droit humain consacré à l’article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) comme une composante essentielle de la liberté d’expression. Il est aussi reconnu à l’article 44 de la Charte québécoise. Le cadre juridique en vigueur permet d’accéder à des informations, mais propose aussi divers motifs de refus dont peuvent se prévaloir les tiers industriels ou commerciaux et les organismes publics comme les ministères. Ainsi, accéder à certaines informations pourtant d’intérêt public se transforme parfois en véritable lutte.
En 2020, Marc Nantel, porte-parole du Réseau Vigilance mines Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT), a formulé une demande d’accès à l’information pour obtenir les données sur les différentes émissions atmosphériques provenant de la Fonderie Horne pour l’année précédente. La Fonderie Horne s’est opposée à la divulgation de ces données. Plus de deux ans plus tard, la Commission d’accès à l’information (CAI), saisie du dossier, a tranché que Glencore devait fournir les informations demandées. La multinationale s’est acharnée à refuser, portant en appel du jugement de la CAI, mais la Cour du Québec a confirmé en décembre 2023 que les citoyen-ne-s étaient en droit d’avoir accès à ces données. Tant la CAI que la Cour du Québec ont rejeté les arguments de Glencore qui invoquait que la divulgation de ces données lui ferait perdre un avantage concurrentiel, et ont plutôt confirmé le droit du public d’accéder aux informations demandées.
La Cour du Québec a également souligné que l’accès aux informations ne suffit pas pour respecter le droit à l’information, il faut également qu’elles soient accessibles en temps utile pour que les citoyen-ne-s puissent en tenir compte avant que les décisions susceptibles de les impacter soient prises. On peut lire dans la décision de décembre 2023 : « Il parait évident dans la mécanique envisagée par le législateur que les demandes d’accès devraient être traitées et tranchées avec diligence et qu’inversement, il soit compris que des informations ou des renseignements qui ne sont transmis qu’au terme d’interminables procédures, perdront soit leur pertinence, soit leur utilité. Autrement dit, dans ces domaines, bien souvent, le seul écoulement du temps équivaut à un déni d’accès2 ».
Ce que nous dit le droit à un environnement sain
En vigueur depuis 2001, la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus) établit les éléments de procédure essentiels à l’exercice de notre droit à un environnement sain. Ces éléments démocratiques sont : l’accès à l’information, la participation du public aux processus décisionnels et l’accès à la justice et à des recours utiles.
Selon la Convention d’Aarhus, le public a droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques, et cet accès doit être large et facilité autant que possible. Les autorités publiques doivent collecter et diffuser toutes les informations requises en temps utile. La transparence doit être la règle, et le refus de transmettre des informations doit demeurer une exception. Bien entendu, la participation du public aux processus décisionnels ne peut s’exercer pleinement sans un
Il est aussi urgent de permettre une réelle participation du public aux processus décisionnels. Mme Elchacar nous rappelle que les autorités ont fait fi des consultations lorsqu’elles ont décidé de déplacer plus de 80 habitations pour créer une zone tampon autour de la fonderie. Elle ajoute que la communauté Anichinabé avoisinante, dont les territoires sont également impactés par les activités de la fonderie, n’est pas non plus consultée.
Sachant que tous les droits sont interdépendants, le cas de Rouyn-Noranda met en relief les liens entre le droit à l’information, la possibilité pour le public de prendre part aux processus décisionnels et la réalisation du droit à un environnement sain. Et bien entendu, il expose les liens étroits entre le droit à un environnement sain et la possibilité d’exercer son droit à la santé, c’est-à-dire d’atteindre le meilleur état de santé physique, mental et social possible.
Le droit à un environnement sain et l’ensemble des droits humains imposent aussi de remettre les gouvernements face à leurs obligations plutôt qu’à rejeter sur les individus le fardeau d’agir seuls sur leur situation. Mme Elchacar est sans équivoque :
« Le droit à un environnement sain ne doit pas être de la responsabilité individuelle. Ce n’est pas en demandant aux mères de Rouyn d’empêcher leurs enfants d’aller jouer dans la neige, ou en demandant à des mères de famille de recycler et de faire du compost qu’on va changer la situation. On doit avoir des mesures fortes qui soient prises par les gouvernements et les entreprises, et le gouvernement doit passer toutes ses décisions au crible de l’environnement ».