Défis de collaboration entre villes et organismes communautaires

Souvent perçus comme de simples extensions des services municipaux, les organismes d’action communautaire autonome doivent composer avec des tentatives d’ingérence des villes dans leurs orientations et leurs approches. Pourtant, face aux crises qui s’accumulent, la collaboration entre le municipal et le communautaire s’impose comme une nécessité.

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Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Défis de collaboration entre villes et organismes communautaires

Caroline Toupin, Coordonnatrice, Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA)

Que l’on pense aux pratiques policières visant à encadrer le droit de manifester, au contrôle de l’espace public régissant le droit de cité des personnes en situation d’itinérance, aux îlots de chaleur qui compromettent le droit à la santé et à un environnement sain, au transport en commun et au droit à la mobilité, ou encore à la construction de logements sociaux et au droit au logement, les villes et les municipalités jouent un rôle majeur en matière de droits humains.

Dans un contexte politique prétendant à une décentralisation des interventions étatiques en matière de services de santé, sociaux et communautaires, ce rôle est appelé à augmenter. C’est le cas pour les villes et les municipalités, mais également pour les organismes communautaires.

En effet, à mesure que les inégalités se creusent et que les besoins non-répondus de la population débordent des fissures béantes du réseau public (causé par des années d’austérité et des réformes néolibérales), l’action communautaire autonome (ACA) est amenée malgré elle à combler les lacunes des services publics.

Positionné aux premières lignes du rapport entre l’appareil étatique et la population, le rôle joué par les gouvernements de proximité et les organismes communautaires dans la gestion des crises (sociale, sanitaire, climatique) sera tout autant décuplé.

Crédit : Meaghan Johnston

Collaboration nécessaire

Pour y faire face, la collaboration entre le milieu municipal et communautaire s’impose comme une nécessité dans les années à venir, pour garantir le respect des droits de tou-te-s. Cette relation, bien que prometteuse, présente des défis que nous devons surmonter. Nous nous trouvons à l’intersection de deux milieux aux nombreux points communs, mais où des préjugés tenaces subsistent de part et d’autre.

Encore aujourd’hui, les organismes d’ACA sont souvent perçus, particulièrement lorsque la municipalité offre du soutien financier ou des ressources, comme de simples extensions des services municipaux. Cette perception erronée engendre des attentes inappropriées concernant le développement de services et conduit à des tentatives d’ingérence dans leurs orientations et approches. Cette vision compromet dangereusement l’autonomie des organismes, un ingrédient vital à leur agilité en temps de crise. Elle nuit également à la mission de transformation sociale des organismes et à leur capacité à défendre les droits des membres de leur communauté.

Trois exemples

L’exemple de Saint-Constant illustre parfaitement ces défis et les conséquences graves d’une incompréhension du rôle des organismes communautaires et de leur autonomie. En 2018, la Ville a pris la décision drastique de retirer son soutien financier à la Maison des Jeunes et de l’expulser de ses locaux après 25 ans de collaboration, créant ainsi un précédent alarmant. La Ville a tenté d’imposer des changements majeurs dans les services offerts par l’organisme et dans les clientèles desservies, allant jusqu’à essayer d’imposer une direction générale. Cette action a provoqué une vague d’indignation au sein du conseil d’administration, qui a cependant résisté à toutes tentatives d’ingérence, préférant perdre gros plutôt que son autonomie. Au lieu de laisser la communauté décider des services de sa Maison des Jeunes, le maire a créé un service similaire sous contrôle municipal. Cette décision a non seulement menacé l’existence de l’organisme, mais a également privé la communauté de St-Constant et ses jeunes de la créativité et de la vitalité essentielles qu’ils apportent à leur ville.

Or, c’est le besoin qui crée un organisme d’ACA : dans ce cas-ci, le besoin des jeunes de se rassembler et de se doter d’un milieu de vie et d’un réseau de soutien à leur image. Et ce sont les personnes directement concernées qui exercent leur droit d’association en fondant un nouvel organisme. Avec l’exemple de Saint-Constant, l’intervention acharnée de la Ville pour le contrôle de la ressource a eu comme conséquence de saboter l’exercice du droit d’association des membres de l’organisme.

Un autre exemple récent est celui de la maison Benoît Labre à Montréal, qui aide les personnes sans-abri depuis 70 ans. La ville veut déplacer son centre de jour à cause de plaintes du voisinage. On dit que la maison est trop près d’une école et qu’elle cause des problèmes de cohabitation avec les gens du quartier. Dans ce cas précis, la Ville s’approprie un pouvoir qu’elle n’a pas et s’ingère dans l’autonomie de l’organisme car la Maison Benoît Labre est propriétaire de son édifice.

La maison Benoit Labre a été créée pour répondre aux besoins de sa communauté, par, pour et avec les personnes. Les interventions étatiques s’avèrent inappropriées pour garantir leur dignité et leur droit à la santé et à un logement. Le tollé soulevé par la Ville et les médias dans l’affaire fait craindre le pire pour les droits des personnes en situation d’itinérance et utilisatrices de drogues, alors que l’intolérance face à la détresse et la souffrance sociale alimentent le syndrome du pas dans ma cour, le déracinement des organismes communautaires et le déplacement des populations marginalisées.

Même situation du côté de Lévis où l’achalandage trop élevé de l’organisme Le 55, un refuge pour personnes en situation d’itinérance, créé des enjeux de cohabitation avec les commerces. C’est pourquoi le maire de Lévis a négocié une entente avec le refuge pour une relocalisation et qu’il a ensuite fait voter un règlement interdisant aux ressources communautaires de s’installer dans le Vieux-Lévis. Le droit d’association des citoyennes et citoyens soucieux de répondre aux besoins de leur communauté par la création d’organismes communautaires est compromis de plein fouet.

Malgré ces défis, il existe des points communs significatifs entre le milieu municipal et le milieu communautaire, qui font de nous des alliés naturels. La proximité avec les citoyennes et les citoyens est l’un de ces atouts majeurs, favorisant la démocratie et une participation citoyenne active.

Défis et points communs

L’insuffisance chronique du financement public à la mission fragilise les organismes et exacerbe ces problématiques. Les organismes sont placés dans des rapports de force défavorables où ils sont trop souvent forcés d’accepter des conditions et des pressions indues qui compromettent leur indépendance, par crainte de se mettre à dos les élu-e-s municipaux et leurs équipes.

Malgré ces défis, il existe des points communs significatifs entre le milieu municipal et le milieu communautaire, qui font de nous des alliés naturels. La proximité avec les citoyennes et les citoyens est l’un de ces atouts majeurs, favorisant la démocratie et une participation citoyenne active. L’exercice de la citoyenneté passe en grande partie par les rouages du filet communautaire, que la communauté a tissé pour faire face aux défis et aux crises. Les deux parties partagent un objectif commun fondamental : d’un côté, on parle de développement social, de l’autre, de transformation sociale. Bien que leurs approches puissent différer, leur engagement envers le bien-être de la communauté constitue un socle solide sur lequel nous devons construire les bases d’une collaboration plus forte et plus efficace.

Le respect de l’autonomie des organismes communautaires et du droit d’association des citoyen-ne-s désireux d’en fonder de nouveaux, sont des éléments majeurs et centraux dans cette collaboration à construire. Cette autonomie et cette impulsion citoyenne garantissant la participation pleine et entière de la communauté dans la résolution des problèmes sociaux sont des catalyseurs d’innovations et d’agilité, deux éléments essentiels en temps de crises. Les municipalités, quant à elles, doivent faire face à la multiplication et l’intensification des effets de la crise socio écologique sur leurs communautés, souvent sans disposer des moyens nécessaires pour y répondre adéquatement.

La collaboration entre le milieu municipal et le milieu communautaire n’est pas seulement souhaitable, elle est impérative. Elle nécessite un dialogue ouvert, honnête et un respect des autonomies respectives qui doivent cesser de s’opposer. Il s’agit là d’une des pièces maîtresses pour préserver un filet social robuste et démocratique, permettant à chaque partie de répondre aux besoins changeants de leurs communautés et en garantissant le respect des droits humains pour tou-te-s.