Un pas de recul s’impose avec le projet de loi 84

La Ligue des droits et libertés et la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) co-signent avec 100 organisations et 30 personnalités une lettre d’opinion dans le Devoir demandant des consultations publiques, larges et inclusives.

Lettre ouverte publiée dans Le Devoir, le 8 avril 2025.

Un pas de recul s’impose avec le projet de loi 84

Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.

Ils cosignent cette lettre avec une centaine  d’organismes de même qu’une trentaine de personnalités publiques et du monde intellectuel.*


Une centaine d’organismes — communautaires, de défense des droits humains, syndicales, etc. — ainsi que 32 personnalités publiques et du monde intellectuel demandent au gouvernement québécois de mettre sur pause le projet de loi 84, la Loi sur l’intégration nationale, dont l’étude détaillée a débuté le 3 avril dernier.

Cette proposition législative soulève d’importantes questions de société, qui ne sauraient faire l’économie d’un consensus rassemblant le plus grand nombre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et voici les raisons pour lesquelles nous demandons des consultations publiques, larges et inclusives.

Recul de l’interculturalisme et des droits au profit des valeurs

Le projet de loi 84 s’écarte du modèle de l’interculturalisme et opère un glissement dangereux vers un modèle d’intégration de type assimilationniste. Rappelons que le modèle assimilationniste, qui a longtemps prévalu au Québec et au Canada, s’appuie sur une rhétorique anti-immigration, un rejet du pluralisme et une volonté d’imposer les valeurs et la culture de la majorité.

En cherchant à imposer une culture commune et les prétendues valeurs québécoises aux personnes issues de l’immigration et aux membres des groupes ethniques et racisés, le projet de loi 84 s’écarte de manière radicale des principes de réciprocité, de dialogue et de respect du pluralisme qui sont les fondements du véritable interculturalisme.

Présenté comme un geste d’affirmation nationale, le projet de loi s’inscrit dans le prolongement de discours et de mesures qui ont fragilisé le vivre-ensemble au Québec ces dernières années. Ces discours, qui blâment de façon réductrice et mensongère les personnes immigrantes pour une panoplie de problèmes sociaux, servent à justifier des restrictions aux programmes d’immigration et d’intégration, tout en n’offrant aucune solution réelle pour résoudre ces problèmes.

Réaffirmer l’importance de la protection du français ainsi que de la culture et des valeurs québécoises sous le couvert de l’intégration stigmatise encore davantage les personnes immigrantes et certains groupes de population. Nous notons aussi que le projet de loi 84 ne contient aucune disposition se rattachant à la lutte contre la discrimination et le racisme systémique, une lutte pourtant essentielle pour faciliter et favoriser l’intégration.

Affaiblissement des droits et de la Charte québécoise

Le projet de loi 84 propose d’apporter d’importantes modifications à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui auraient pour effet de limiter la portée des droits qu’elle garantit. Selon les termes de ce texte législatif, l’exercice des droits humains devrait se faire dans le respect du modèle québécois d’intégration nationale, qui y est défini de façon très générale et dont les modalités restent à préciser par une politique qui sera adoptée ultérieurement par le gouvernement.

Il nous apparaît hautement problématique que la portée d’une loi quasi constitutionnelle puisse être restreinte par une politique gouvernementale, susceptible d’être modifiée au gré des humeurs politiques du moment, sans consultations auprès de la société civile ni débats à l’Assemblée nationale.

Entre autres choses, la possibilité pour le gouvernement de statuer sur les valeurs québécoises comporte des risques importants d’atteintes au droit à l’égalité et aux libertés de conscience et de religion.

Graves inquiétudes pour l’autonomie du communautaire

Les dispositions du projet de loi 84 pourraient grandement affecter l’autonomie des organismes communautaires recevant du financement gouvernemental, en les obligeant à se conformer à la future Politique sur l’intégration. De plus, le projet de loi permettrait au gouvernement de désigner quelles formes d’aide financière devraient dorénavant se conformer au modèle d’intégration nationale et à ses fondements, ce qui pourrait entraîner de nouvelles contraintes pour les organismes communautaires — notamment dans le domaine de l’immigration, mais pas exclusivement.

Cela constituerait une entorse supplémentaire à l’autonomie des organismes, alors que le gouvernement peine déjà à respecter pleinement ses propres politiques en matière d’action communautaire autonome.

Dans le domaine de l’immigration, les organismes ont développé des pratiques éprouvées pour l’accompagnement des personnes nouvellement arrivées, adoptant notamment l’approche interculturelle. Le gouvernement doit laisser les organismes déployer leur expertise sans contraintes additionnelles, imposées sans que les personnes concernées aient été dûment consultées.

Stop !

Le projet de loi 84 entend nous imposer collectivement — et de façon précipitée — ce que le ministre a qualifié de contrat social. Un modèle d’intégration qui affaiblit les droits au profit des valeurs, et qui tend vers l’assimilationnisme. Un modèle d’intégration qui, plutôt que de respecter les droits et libertés protégés par la Charte québécoise, entend modifier ladite Charte pour qu’elle se plie à l’idée que se fait le gouvernement actuel de l’intégration. Un modèle d’intégration qui met en péril l’autonomie des organismes communautaires si essentiels à notre société.

Pas question d’aller de l’avant sans des consultations publiques, larges et inclusives !

 

Liste des signataires personnalités publiques/académiques

  1. Rachad Antonius, Professeur associé, UQAM
  2. Céline Bellot, Professeure école de travail social, directrice Observatoire des profilages
  3. Chedly Belkhodja, Professeur, Université Concordia
  4. Farrah Bérubé, Professeure, UQTR
  5. Pierre Bosset, Professeur de droit, UQAM
  6. Gérard Bouchard, Professeur, Université du Québec à Chicoutimi
  7. David Carpentier, Doctorant, École d’études politiques, Université d’Ottawa
  8. Ryoa Chung, Professeure, département de philosophie, Université de Montréal
  9. Ramatoulaye Diallo, Trésorière du CCMM-CSN
  10. Catherine Dorion, Artiste
  11. Paul Eid, Professeur, département de sociologie, UQAM
  12. Bernard Gagnon, Professeur titulaire, UQAR
  13. Lara Gautier, Professeure adjointe, Université de Montréal
  14. Audrey Gonin, Professeure, Université du Québec à Montréal
  15. Jorge Frozzini, Professeur, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
  16. Sophie Hamisultane, Professeure, École de travail social, Université de Montréal
  17. Jill Hanley, Professeure, École de travail social, Université McGill
  18. Diane Lamoureux, Professeure émérite, Université Laval
  19. Louis-Philippe Lampron, Professeur, faculté de droit, Université Laval
  20. Chiara Letizia, Professeure, département de sciences des religions
  21. Dominique Leydet, Professeure, dépt de philosophie, Université du Québec à Montréal
  22. Christian Nadeau, Professeur, département de philosophie, Université de Montréal
  23. Alexandra Pierre, Militante féministe et anti-raciste
  24. Will Prosper, Documentariste
  25. Maryse Potvin, Professeure, UQAM
  26. Lilyane Rachédi, Professeure, école d etravail social, UQAM
  27. Geneviève Rail, Professeure émérite distinguée, Université Concordia
  28. François Rocher, Professeur émérite, École d’études politiques, Université d’Ottawa
  29. François Saillant, Auteur et militant pour les droits humains
  30. Bouchra Taïbi, Professeure, département de psychoéducation et travail social, UQTR
  31. Charles Taylor, Professeur émérite, Université  McGill
  32. Michèle Vatz Laaroussi, Professeure émérite École de travail social Université de Sherbrooke

Liste des signataires organisations

  1. À deux mains/Head and Hands
  2. Accueil et intégration BSL
  3. Action Autonomie le Collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal
  4. Action cancer du sein du Québec
  5. Action Environnement Basses-Laurentides
  6. Action Femmes et handicap
  7. Action Réfugiés Montréal
  8. AGIR Montréal : Action LGBTQ+ avec les immigrantEs et les réfugiéEs
  9. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux
  10. Alter Justice
  11. Amnistie internationale Canada francophone
  12. Assemblée des groupes de femmes d’interventions régionales de l’Outaouais
  13. Association canadienne des libertés civiles
  14. Association des juristes progressistes
  15. Au bas de l’échelle
  16. Auto-Psy (région de Québec)
  17. Bureau de consultation jeunesse
  18. CALACS du Saguenay
  19. Campagne québécoise pour la régularisation et la justice migrante
  20. Carrefour d’Action Interculturelle
  21. Carrefour d’aide aux nouveaux arrivants
  22. Carrefour d’Intercultures de Laval
  23. Carrefour de ressources en interculturel
  24. Carrefour le Moutier
  25. Centrale des syndicats démocratiques
  26. Centrale des syndicats du Québec
  27. Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal
  28. Centre de femmes l’Érige
  29. Centre de Femmes Mieux-Être de Jonquière
  30. Centre des femmes d’ici et d’ailleurs
  31. Centre des femmes de Longueuil
  32. Centre des Femmes du Ô Pays
  33. Centre des travailleurs et travailleuses immigrants
  34. Centre Entre-Femmes
  35. Centre international de solidarité ouvrière
  36. CLEF Mitis-Neigette (Rimouski)
  37. Clef pour l’intégration au travail des immigrants
  38. Clinique pour la justice migrante
  39. Collectif de la Revue À bâbord !
  40. Collectif de lutte et d’action contre le racisme
  41. Comité logement Bas-Saint-Laurent
  42. Comité pour la scolarisation
  43. Comité pour les droits humains en Amérique Latine
  44. Confédération des syndicats nationaux
  45. Conseil central du Bas-St-Laurent
  46. Co-Savoir
  47. Ex aequo
  48. Fédération des femmes du Québec
  49. Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
  50. Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec
  51. Fédération québécoise pour le planning des naissances
  52. Fondation Béati
  53. Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes
  54. Foyer du Monde
  55. FRAPRU
  56. Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec
  57. Inclusion
  58. Justice Pro Bono
  59. L’Hirondelle, accueil et intégration des immigrants
  60. L’Observatoire pour la justice migrante
  61. L’R des centres de femmes du Québec
  62. La Maison d’Aurore
  63. Le Centre de réfugiés —The Refugee Centre
  64. Le Collectif Bienvenue
  65. Ligue des droits et libertés — Section de Québec
  66. Ligue des droits et libertés
  67. Maison d’Haïti
  68. Maison des femmes des Bois-Francs
  69. Mission communautaire de Montréal
  70. Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec
  71. Mouvement pour l’autonomie dans l’enfantement
  72. Multi-Femmes
  73. Organisation populaire des Droits Sociaux
  74. RÉCIF 02
  75. Regroupement des femmes sans emploi du nord de Québec (ROSE du Nord)
  76. Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale
  77. Regroupement des organismes en hébergement pour personnes migrantes
  78. Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal
  79. Regroupement Naissances Respectées
  80. Regroupement québécois des CALACS
  81. Relais-Femmes
  82. Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec
  83. Réseau des groupes de femmes Chaudière-Appalaches
  84. Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec
  85. Réseau québécois de l’action communautaire autonome
  86. RIVO —Réseau d’intervention auprès des personnes ayant vécu la violence organisée
  87. Service d’Entraide Passerelle
  88. Service jésuite des réfugiés — Canada
  89. SIARI
  90. Solidarité ethnique régionale de la Yamaska
  91. Table de concertation de Laval en condition féminine
  92. Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie
  93. Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes
  94. Table de concertation du mouvement des femmes Centre-du-Québec
  95. Table de concertation féministe · Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine
  96. Table des groupes de femmes de Montréal
  97. Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles
  98. Table régionale des organismes volontaires d’éducation populaire (TROVEP) de Montréal
  99. Table ronde des organismes volontaires en éducation populaires de l’Outaouais
  100. Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique
  101. Vision Inter-Cultures