La prison, c’est mauvais pour la santé

Il est plus que temps que le gouvernement, s’il entend véritablement prendre au sérieux la santé mentale et le soin, mette en place un plan de réduction du recours à l’incarcération au Québec en impliquant tous les ministères concernés.

Lettre ouverte publiée dans Le Devoir, le 2 décembre 2025.

Pour poursuivre la réflexion, consultez notre revue
Regards critiques sur l’incarcération

La prison, c’est mauvais pour la santé

Delphine Gauthier-Boiteau, avocate, doctorante en droit à l’Université d’Ottawa et militante dans le comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés

Lynda Khelil, responsable de dossiers politiques à la Ligue des droits et libertés

Alexandra Larose, doctorante en sociologie à l’Université de Montréal, et militante dans le comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés

Le 12 novembre, l’enquêteur correctionnel du Canada, Ivan Zinger, publiait un rapport critique du manque d’accès à des soins de santé mentale dans les pénitenciers du pays. Il y soulignait que le système carcéral « n’a jamais été conçu pour répondre aux besoins des personnes atteintes de maladies mentales graves », ajoutant que les « approches axées sur la sécurité compromettent les soins, la dignité et le rétablissement des patients ». En réponse à la passivité du gouvernement fédéral vis-à-vis des constats alarmants de son bureau au fil des ans, il annonçait par la même occasion qu’il quitterait ses fonctions en janvier, deux ans avant la fin de son mandat.

Presque au même moment, un dossier d’enquête en quatre volets était publié dans Le Devoir sur le manque criant de soins en santé mentale dans les prisons du Québec et sur ses conséquences. Le dossier fait état d’atteintes aux droits à la santé, à la sécurité et à la vie des personnes en détention.

La détresse entre les murs est alarmante. Les personnes incarcérées sont sept fois plus à risque de passer à l’acte suicidaire que la population hors des murs. Et le Québec se démarque sombrement : comme l’indique l’enquête du Devoir, le taux de suicide est considérablement plus élevé dans les prisons québécoises que dans les prisons ontariennes ou les pénitenciers fédéraux.

Entre 2009 et 2022, au moins 98 personnes se sont enlevé la vie dans les prisons québécoises. Cela représente 38 % des 256 décès survenus durant cette période. Au moins 411 tentatives de suicide ont également eu lieu entre les murs.

Face à cette réalité connue des autorités politiques et carcérales depuis des années, le nouveau ministre de la Sécurité publique, Ian Lafrenière, a récemment affirmé prendre le problème « au sérieux ». Qu’en est-il vraiment ?

Santé mentale et isolement en prison

Braquer les projecteurs sur les questions de santé mentale en prison doit nous conduire à examiner une mesure draconienne et pourtant extrêmement répandue dans les prisons québécoises : l’isolement, ou le fait d’être mis en prison dans une prison.

Les personnes considérées à risque suicidaire pendant leur incarcération sont très et trop souvent placées en isolement, ou seules dans une cellule double. Cette mesure, censée être une mesure d’exception et de courte durée, est une pratique systémique. Le fait que celle-ci met à mal la santé mentale et accélère le passage à l’acte suicidaire n’est plus à démontrer. L’étendue de son usage constitue une aberration.

Cette question concerne l’ensemble des personnes incarcérées. Pour des raisons dites administratives — la plupart du temps en raison d’un manque de personnel —, le recours à l’isolement est devenu un véritable mode de gestion de la population carcérale, en particulier depuis la pandémie de COVID-19. Le déni des droits est érigé en système.

Pendant des semaines, des personnes sont enfermées dans leur cellule de 22 à 24 heures par jour, sans préavis et pour une période indéterminée. Encore tout récemment, des proches de personnes incarcérées, alarmés par la situation dans les prisons de Bordeaux et de Rivière-des-Prairies à Montréal, nous ont contactés.

Alors que l’on sait que l’isolement crée des problèmes de santé mentale chez les personnes incarcérées et exacerbe les conditions préexistantes, comment prendre le ministre au sérieux lorsqu’il dit que la prévention du suicide est une « priorité » de son ministère ?

L’impasse du soin et des logiques d’enfermement

Les personnes incarcérées doivent avoir accès à des soins de santé mentale et physique adéquats et sans délai. Les conditions de détention doivent être améliorées, notamment en ce qui a trait aux problèmes d’insalubrité et à la surcarcéralisation. Il s’agit de réduire les impacts délétères de l’incarcération sur les personnes privées de liberté qui, en théorie, conservent tous leurs autres droits protégés par nos chartes.

Or, qu’en est-il ? La prison est un lieu où s’exercent dans l’ombre des violences étatiques et où les atteintes aux droits sont systémiques. Il s’y perpétue un cycle de détresse et des souffrances sociales, notamment causées par les politiques néolibérales qui affaiblissent nos services publics et qui appauvrissent les populations. L’institution carcérale — où la réhabilitation est un mirage — est bâtie sur le déni des droits et de l’humanité des personnes. La logique sécuritaire y est prédominante, si bien que la prison est un lieu où le soin, au sens du souci profond pour l’autre, est impossible.

Alors qu’il est urgent d’agir pour favoriser le respect et l’exercice des droits des personnes incarcérées, il est tout aussi urgent de réduire la population carcérale et de remettre en question le recours à la prison et, du même coup, à d’autres institutions qui s’appuient sur une logique d’enfermement et de coercition, comme les institutions psychiatriques, pour répondre aux problèmes sociaux.

Se pose aussi, en amont de l’enfermement, la question du type de soins (in) accessibles et des conditions dans lesquelles ceux-ci sont prodigués. Quelles sont les possibilités réelles d’avoir accès à des approches thérapeutiques ne se confinant pas au paradigme biomédical — c’est-à-dire essentiellement à une pilule ? Pourquoi, comme société, continuons-nous à tolérer le phénomène des portes tournantes, où des personnes bien souvent aux prises avec des problèmes de santé mentale se trouvent dans un cycle de criminalisation et d’enfermement, alternant entre la prison, l’institution psychiatrique, les tribunaux et une vie en communauté assujettie à nombre de conditions judiciaires ?

Il est donc plus que temps que le gouvernement, s’il entend véritablement prendre au sérieux la santé mentale et le soin, mette en place un plan de réduction du recours à l’incarcération au Québec en impliquant tous les ministères concernés.

 


Regards critiques sur l’incarcération

Pour poursuivre tes réflexions, consulte le numéro printemps/été 2024 de notre revue Droits et libertés !

Crédit : Eve